Même si la Retirada constitue l’arrivée la plus massive d’Espagnols en France et donc d’artistes, ce ne fut pas une première au XXe siècle, ce ne fut pas non plus la dernière.
Ceux que l’on nomma, les « Artistes ibériques de l’École de Paris », P. Picasso, J. Miro, J. Gris, S. Dali étaient déjà établis et reconnus en France avant 1936. Certains comme B. Lobo, H. Gomez sont aussi venus en France avant 1936.
Le sculpteur Apel.les Fenosa. Catalan, sympathisant anarchiste déserte en 1920 et se réfugie à Paris où il rencontre P. Picasso et les surréalistes. Il rentre en Espagne lors de la proclamation de la 1ère république et franchit de nouveau la frontière en 1939.
J-L Rey Villa ne fait pas partie des réfugiés de la Retirada : d’origine andalouse, il étudie à Barcelone. Il prend le pseudonyme de SIM en juillet 1936, car sa famille vit à Séville et subit la répression franquiste. Il participe pleinement aux activités de propagande du SDP de Barcelone jusqu’en 1937 (pour la CNT, l’UGT et la Generalitat). Le gouvernement catalan l’envoie à Paris pour le représenter au pavillon espagnol de l’exposition universelle (mai 1937). Il y restera.
Comment définir tous ces artistes espagnols en France ? Exilés oui ! Mais pas de la même manière. Eux se définissent comme antifranquistes et exilés politiques.
Avant l’exposition universelle de 1937 et le pavillon de la République espagnole, l’avant-garde artistique ibérique eut droit à une certaine reconnaissance en février 1936. Le musée du Jeux de Paume proposa une exposition sur l’art contemporain espagnol. Parrainée par Jean Cassou, elle fut co-organisée avec le gouvernement républicain. Elle présenta plus de 300 œuvres venant de Madrid, Barcelone et surtout de Paris.
L’armée, l’Église et la grande bourgeoisie ibérique, haïssaient ces artistes. Ils étaient la figure emblématique de la pseudo dégénérescence du peuple espagnol. C’est pourquoi, le 18 juillet 1936, F. Franco et ses acolytes ne voulaient pas seulement réussir un énième coup d’état. Les militaires et leurs complices (surtout l’Église) ambitionnaient d’éradiquer une possible république sociale fédéraliste et libertaire. Pour cela, il ne leur suffisait pas de gagner une guerre. Il s’agissait d’extirper de la tête du peuple espagnol l’idée même d’émancipation sociale et culturelle.
Cette logique exterminatrice du progrès fit que, dès juillet 1936, la répression s’est abattue non seulement sur les militants syndicaux et sociaux, mais aussi sur l’élite intellectuelle et artistique du pays. Tous les citoyens-e-s ayant contribué dans les années 1920/1930 à l’éducation, l’affranchissement intellectuel ou moral de l’église, de la bourgeoisie et de la droite espagnole devait être épurés immédiatement.
Le général Mola avait averti ses collègues militaires au printemps 1936 :
«On tiendra en compte le fait que l’action doit être d’une violence extrême afin de réduire au plus vite l’ennemi qui est fort et bien organisé. Tous les dirigeants des partis politiques, sociétés et syndicats non affiliés au Mouvement seront bien sûr emprisonnés ; des châtiments exemplaires seront appliqués aux dits individus afin d’étrangler les mouvements de rébellion ou de grève ».
« Il est nécessaire de propager un climat de terreur […] Quiconque est ouvertement ou secrètement un partisan du Front populaire doit être fusillé ».
En août 1936, une commission fût créée à cet effet. C’est pourquoi la propagande franquiste parla abondamment de croisade.
Ramon Acín à Saragosse et bien sûr Federico Garcia Lorca fusillé – avec un instituteur et 2 militants libertaires- pas loin de Grenade, furent deux emblèmes de cette extermination.
Cette guerre à «l’ intelligence » explique en partie le fait qu’en février 1939, il n’y avait pas qu’une armée en déroute qui passa la frontière vers la France, mais des gens de toutes conditions y compris un nombre important d’artistes, d’intellectuels, d’enseignants… Bref, c’est l’élite culturelle qui prit le chemin de l’exil. À lui seul, le camp d’Argelès recueillit plusieurs dizaines de ces artistes.
Traités comme du bétail par le gouvernement de Daladier (ex-ministre du Front populaire), il était important pour ces milliers de réfugié.e.s de re-devenir des êtres humains, d’assurer une continuité sociale et culturelle avec ce qu’ils -elles- avaient construit à partir de juillet 1936 de l’autre côté des Pyrénées.
En peu de temps les activités artistiques et éducatives seront organisées au sein des camps du Languedoc : la Baraque artistique ; le Palais des expositions ou le Salon des beaux-arts et même au camp des Milles, à Aix-en-Provence, où étaient détenus réfugiés espagnols et juifs « indésirables » comme Max Ernst, Hans Bellmer.
En parallèle, le matériel de ces activités artistiques sera aussi détourné pour la fabrication de faux documents auxquels participa des affichistes tels que Gallo ou Badia Vilato. Gallo continuera ces activités « artistiques » clandestines au sein du célèbre réseau d’évasion Ponzan.
Heureusement, côté français un élan de solidarité se manifesta y compris dans les milieux artistiques. C’est ainsi que certains purent sortirent des camps. Josep Renau et son frère Juan grâce à l’intervention de Picasso et du réseau du Parti communiste. À Perpignan, le peintre Martin Vivès fut aussi très actif et exfiltrât du camp du Haras de nombreux artistes dont les affichistes C. Fontséré, J. Bardasano et A. Clavé. Antonio Lamolla est exfiltré du camp de St Cyprien par le maire de Dreux Maurice Violette. Lamolla y restera 40 ans et y a ouvert une école de dessin gratuite. D’autres comme B Lobo, L. Gallo, J. Bartoli, s’évadent.
Le 10 mars 1939, à Perpignan, Martin Vives présentent des œuvres de Clavé et de Fontseré sous le titre « scènes vécues de la Retirada » dans une pâtisserie – salon de thé « Vivant ». Antoni Clavé remercia Vivès en lui offrant son portrait. Suivirent des expositions de Gustau, Cochet, en mars ; de Pedro Flores en avril ; de Ferran Callicó; de Josep Puig-Pujades en juin.
Le 14 juin 1939, Albert Bausil, Martin Vivès et le comité d’entraide aux artistes républicains espagnols organisèrent une grande exposition au salon de l’hôtel Tivoli. Avec des œuvres venues de tous les camps du Languedoc. Elle fut transférée à Paris le 26 juin à la Maison de la culture avec comme titre : L’art sous les barbelés. Cette exposition programmée à Londres, à l’automne, a été annulée à cause de la guerre.
À Montpellier, le 6 Juillet, avec la présence de nombreux artistes, intellectuels et politiques « occitans » et catalans, le Musée du Travail accueille trente œuvres d’artistes, surtout catalans, internés.
Ces évènements eurent deux conséquences positives : Le milieu de l’art français découvrit ce qui se faisait en matière de sculpture, peinture, dessin, photo en Espagne dans les années 1930. Inversement, les artistes espagnols purent prendre contact avec les us et coutumes de l’univers artistique français : responsables de musées, galeristes, critiques d’art ou artistes déjà établis, surtout grâce aux Espagnols qui étaient établis et reconnus à Paris : P. Picasso ; J. Gris ; J. Miro, Apel.les Fenosa, etc.
Ces artistes avaient à peine retissé des liens familiaux et reconnecté les réseaux artistiques militants qu’ils furent dispersés une seconde fois. Ils subirent de nouveau la semi-clandestinité, les dispersions au gré des enrôlements forcés, des internements, d’autres camps, des vies de semi-clochardisées, etc. ou contraints à travailler pour les allemands comme Fontséré, Rey Villa, M. Blas, ou dans la publicité comme Badia Vilato, … Pendant quatre années supplémentaires. Si, J. Bartoli réussit à échapper à la Gestapo, ce qui ne fut pas le cas de tous, comme J. Sau, M. Camps Vicents, H. Brugarolas, et d’autres encore. Pour ceux qui le pouvait, il fallait donc continuer à peindre, à sculpter, à créer pour résister au fascisme.
« Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi. » P. Picasso.
Travailler dans son atelier, oui. Mais, exposer -en tant que réfugié antifranquiste- fut quasiment impossible pendant l’occupation nazie.
Une exception notable : José Luis Rey Villa plus connu dans l’Espagne républicaine sous le pseudonyme de SIM. Si l’on en croit ses biographes, en 1941, il se marie avec une Française. Il abandonne son pseudo et expose au salon Tardor. Le critique d’art Patrice Buet signale cette exposition dans la « Revue moderne des arts et de la vie ». En 1943, il participe à une exposition collective consacrée aux « artistes espagnols de Paris », enfin, en 1944, au salon des sports (toujours à Paris) où il vendra une œuvre consacrée au rugby.
1939-1944, ce sont cinq années d’errances, de pauvreté, de précarité sociale et culturelle.
Pour les artistes s’ajoutait la débrouille extrême pour récupérer des supports, des matériaux, des outils, de la peinture, etc. afin d’exercer leur passion. Citons par exemple le cas de Joaquim Vicents Gironella qui se mit à travailler le liège -à partir de 1941- parce qu’il fut embauché à Toulouse dans une usine fabriquant… des bouchons en liège. Il avait donc un accès direct au matériau de base. Certains deviendront dessinateurs de presse comme Esbelt, Gallo (qui signe désormais Coq dans la presse parisienne), Arguello.
Avec l’euphorie liée à la Libération, les expositions reprirent partout où cela était possible. Les commandes officielles aussi, comme pour B. Lobo. À part quelques noms déjà connus comme : Rey Villa, Lobo, Fontséré, Badia Vilato, les éxilés auront du mal à se faire accepter -individuellement- par les galeries ou les musées. Selon Amanda Herold-Marme à Paris et en province : « Entre 1945 et 1947, la période d’activité la plus intense, au moins huit expositions collectives importantes ont lieu dans le but de lever des fonds et d’attirer l’attention sur la cause antifranquiste ».
Dès 1945, une rétrospective d’affiches espagnoles éditées en 1936 / 1939 est présentée salle Lancry à Paris.
Une différence notable avec la période 1939-1940, la réapparition officielle des organisations syndicales et politiques espagnoles : UGT / CNT ; PSOE, PCE, POUM, FAI, organisations de soutien à la lutte intérieure.
Ces organisations officialisées éditèrent de nombreux supports de propagande contre le régime franquiste : journaux (jusqu’à treize à Toulouse) ; brochures ; livres ; cartes postales ; timbres ; calendrier ; affiches ; etc. Ce qui permit à tous ces artistes de s’exprimer de nouveau dans les réseaux espagnols. Ce sont aussi ces organisations qui vont prendre les initiatives collectives en faveur de l’Espagne anti-franquistes.
Dès lors, Toulouse et Paris deviennent les deux capitales politique et artistiques de l’exil.
Entre la Libération et le début des années 1950, une part importante des meilleurs, graphistes, peintres, affichistes qui ont contribué à l’explosion picturale entre 1936 et 1939 ne sont plus en France. Certains sont toujours en Espagne, au bagne, en prison ou en semi-liberté : M Monleon, les frères Ballester, Bausset, T. Vidal, Esbelt, H. Gomez, R. Calsina, Benages, R. Puyol. ; J. Ricars Obiols ; Manuel Viola (José Viola Gamón) pour ne citer que les plus connus. Ils reprennent le plus souvent leur travail d’avant 1936 : Publicistes, dessinateurs, ils rénovent ou décorent palais et églises.
D’autres ont rejoint l’Amérique latine : J. Bartoli a rejoint les cercles trotskistes à Mexico, C. Fontséré rejoindra le Mexique (1948), puis, les USA (1949) ; Badia Vitalo en Bolivie (1954) ; J. Renau d’abord au Mexique puis, en 1958, il deviendra peintre officiel en RDA ; J. Bofarull au Venezuela ; J. Bardasano, Schum ; Carmora,…
Une nouvelle génération de graphistes militants émerge : J. Call, Arguello, Lamolla, Joan Jorda, …
La première grande exposition collective, bénéficiant d’une forte notoriété, sera l’œuvre de Joaquín Peinado avec le soutien de la mouvance communiste : « L’art de l’Espagne républicaine. Les artistes espagnols de l’École de Paris ». Elle se tient en Tchécoslovaquie, du 30 janvier au le 23 février 1946, dans le cadre d’évènement plus large comprenant : des meetings, des interventions théâtrales à Prague (le bâtiment de l’Association Manes), puis à Brno et Bratislava. Elle réunit une vingtaine de plasticiens et peintres. Une partie de ces artistes étaient arrivés en France bien avant 1939 et d’autres comme A. Clavé, B. Lobo, B. Giner García, ont vécu la Retirada. Il y avait même un tableau de Julio Gonzales décédé en 1942. Cet évènement largement soutenu par le gouvernement Tchécoslovaque, fera l’objet d’une brève dans Unidad y Lucha et d’un article dans le premier numéro « français » de Mundo Obrero (16 février).
Au même moment, à Paris à la Galerie Visconti, Pablo Picasso assite au vernissage d’une exposition organisée par le PCE et Mundo Obrero d’un côté / le PCF et L’Humanité de l’autre, sous la présidence de Paul Éluard et Jean Cassou.
Paris accueille aussi une exposition de l’art moderne catalan fin 1945 en présence de dirigeants de la Generalitat, puis en novembre 1946, le « Premier Salon d’art catalan » à la galerie Reyman qui accueille des artistes catalans « espagnols & français » : Feliu Elias, Francesc Riba Rovira ou Antoni Clavé.
Les anarchistes ne furent pas en reste. À partir 1946, la CNT demande à sa section culture (notamment Puig Elias) d’organiser régulièrement des manifestations du même type à Toulouse et à Paris. La première aura lieu à partir du 22 février 1947 à la Chambre de Commerce de Toulouse. L’exposition au centre de l’événement propose des œuvres de 90 artistes espagnols majoritairement libertaires, mais aussi des militants communistes connus comme P. Picasso, A. Clavé ou J. Bofarull. Chacun des ces artistes peut présenter plusieurs œuvres et ainsi donner aux visiteurs un aperçu complet de leur style. Concerts, danses, conférences et veillées complètent le programme. L’affiche annonçant cette manifestation est l’œuvre d’Arguello qui dessine pour la presse libertaire et socialiste. Cette initiative eut un écho très important dans la presse régionale.
En Avril, la CNT parisienne et la galerie La Boétie trouvent un accord afin d’accueillir une partie des œuvres présentées à Toulouse. Le rédacteur en chef du journal Franc-tireur, Georges Altman prononça le discours lors du vernissage, une soirée animée aussi par la pianiste Mercedes Bevia. L’AFP, Franc-Tireur, l’Echo du Soir, la Radio diffusion Française et bien sûr Solidaridad Obrera en firent un compte-rendu. La CNT édita un catalogue avec la liste des œuvres présentées.
Deux nouveaux évènements du même type se déroulèrent en 1952 et 1958 à Toulouse : Chambre de commerce et au Palais des beaux-arts. Affiches de Camps de Vicens et J. Call. À noter aussi des évènements plus restreints à Bagnères de Bigorre, à la Colonie libertaire espagnole d’Aymare (Lot) et à Paris en 1955, au siège de la CNT (place Ste Marthe- Xè) en présence de Madeleine Lambéret qui fit plusieurs séjours en Espagne entre 1936- 1938. Elle en rapporta de nombreux dessins.
Pour l’UGT (et le PSOE), c’est le 4 mai 1957 que El socialista annonce le vernissage d’une « exposition art et exil espagnol » avenue du Maine à Paris, au siège de Force Ouvrière. En novembre 1958, un second salon présentera des artistes espagnols en exil, de nouveau au siège de FO, sous la présidence d’honneur d’A. Camus.
En Dehors de ces salons « politiques », beaucoup participèrent aux évènements collectifs dédiés aux artistes, catalans, basques ou occitans qui se sont tenus tant à Paris qu’en province.
À la fin des années 1950, la reconnaissance de l’Espagne franquiste par les démocraties et son entrée à l’UNESCO et à l’ONU a eu un impact important sur l’exil et donc sur les parcours de ces artistes.
On peut constater :
– L’effondrement de la production graphique politique espagnole en dehors des dessins dans la presse de l’exil et des calendriers SIA.
– L’arrêt des expositions collectives organisées par les principales organisations de l’exil.
– La reconnaissance individuelle de tous ces camarades dans les milieux de l’art et auprès des publics avertis en France et à l’étranger.
Le fait que des revues d’arts annoncèrent ces manifestations collectives eut un effet bénéfique pour la reconnaissance et le parcours individuel artistique de ces artistes arrivés en France en 1939. En effet, on peut remarquer à travers les biographies de ces plasticiens qu’une majorité d’artistes exilés en province ne purent accéder individuellement à des galeries qu’à partir de la fin des années 1950 : Vicents Gironella, J. Sau ; A. Alos ; Camps-Vicents ; H Brugarolas n’exposèrent pas avant 1959 dans la région toulousaine. Il a même fallu attendre de José Jornet et de Violeta Izquierdo pour qu’en 2002 une exposition soit organisée au centre culturel de Blagnac : « Artistes de l’exil en région toulousaine ».
Dans la région parisienne, la reconnaissance individuelle fût plus rapide du fait que les artistes les plus reconnus sur le marché de l’art (Picasso, Miro, Gris,) et les intellectuels français anti-franquistes (Breton, Cassou, Éluard, Camus) aidèrent rapidement ceux arrivés en 1939.
Badia Vilato s’est rapidement fait connaître grâce à ses affiches pour Air France, M. Chevalier ou pour la compagnie Renaud Barrault. Il a même représenté la ville de Paris à un salon dédié à l’affiche publicitaire.
M. García Vivancos put exposer grâce à l’aide de P. Picasso (en 1948) et A. Breton qui lui consacra une critique élogieuse dans le Libertaire en 1950.
Antoni Clavé suite à l’exposition de Prague (1946) a été contacté par une galerie à Londres (1947), puis à Rome (1951) ; Milan ; Paris (Drouant) ; New-York (1952).
A. Lamolla expose à Dreux et à Montmartre grâce au journal le Monde Libertaire (1956), etc.
La double nationalité d’une partie d’entre eux, facilita la possibilité d’exposer ou de voyager en Espagne. Dès les années 1960, J-L Rey Villa, Baltasar Lobo (pourtant connu comme militant des jeunesses libertaires puis communiste), J. Bofarull, A. Lamolla ou C. Fontséré profiteront de ces « ouvertures ».
Avec Mai 1968, tant en Espagne qu’en France une nouvelle génération de militant.e.s et d’artistes va investir le champs social et artistique. Certains sont arrivés très jeunes en France en 1939 et ont fait toutes leurs études en France. D’autres sont nés en France entre 1940 et l’immédiat après-guerre. Enfin, il faut aussi considérer ceux et celles qui ne purent s’exprimer librement dans l’Espagne franquiste et émigrèrent à la fin des années 1960. Deux exemples parmi d’autres :
R. Faurià Gort, né en 1934 à LLeida, arrive en France en 1939. Lui et sa famille subissent toutes les péripéties des exilés espagnols. Sa famille s’installe à Toulouse en 1950. Il y suit les cours de l’école des beaux-arts et rencontre d’autres artistes exilés. À partir de 1974, il participe à divers salons indépendants et occitans notamment avec H. Brugaloras.
Sylvie Badia, née en 1947 et fille de Badia Vilato. Elle s’intéresse d’abord aux arts dramatiques, puis en 1981, Sylvie Badia s’investit dans les arts plastiques après avoir suivi des études d’architecture. Elle participe à plusieurs ateliers éphémères et squats artistiques en région parisienne Champigny, Clichy, Paris,… Elle expose à La Coopérative-Musée Cérès Franco, dans l’Aude. En parallèle, elle rejoint le mouvement libertaire, elle participe ainsi aux rencontres internationales de St Imier (2012).
Peuvent-ils être considérés comme des artistes exilés ? Question complexe.
À la mort de Franco, en 1975, rien ne changea ou presque en Espagne. Dans la région toulousaine, la mort du dictateur relancera quelques initiatives : expositions collectives à Toulouse (1977, Artistes espagnols à Toulouse et hommage à Pablo Casals en 1978) ; un colloque : La Labor cultural de los libertarios espanoles exilado en Toulouse (1978).
Il faut attendre la fin des années 1980 pour qu’en Espagne : livres, fondations, musées, rétrospectives et autres conférences rendre hommage à ces camarades.
Manuel Viola (José Viola Gamón) ne reçut la première reconnaissance de sa ville natale qu’en 1980, alors qu’il était revenu en 1949 ; Josep Sau en 1983 ; J. Vicents Gironella en 1985, etc. C. Fontséré rentré en 1973 en Catalogne attend les années 1980 pour militer activement pour l’ouverture des archives conservées à Salamanque. Il faut attendre 1986 pour que la municipalité de Barcelone propose une exposition : Art Contra la Guerra et une rétrospective des affiches éditées entre 1936 et 1939.
Aujourd’hui encore, artistes survivants de cette époque (il n’y en a évidemment presque plus) ou contemporains continuent d’évoquer cette période historique à travers leur art. Ainsi en novembre 2019, l’association mémorielle « 24 août 1944 » organisa à l’Institut Cervantès de Paris une exposition intitulée « L’utopie en exil – Quand l’art devient histoire ». À cette occasion 33 artistes exposèrent 115 œuvres pour dire combien la Révolution espagnole et l’exil qui s’en est suivi ont marqué les esprits de toutes les générations de manière intemporelle et indélébile. À travers peintures, sculptures, dessins, planches de bandes dessinées, objets rendus vivants et libres par des mains de prisonniers, c’est la mémoire de cette expérience sociale révolutionnaire jamais égalée et de cet exode qui a ainsi été évoquée.
Actuellement, toujours à l’initiative de l’association « 24 août 1944 », c’est une exposition d’une centaine de photos inédites de Philippe Gaussot sur la Retirada et « l’accueil » des réfugiés espagnols dans des camps de concentration français en 1939 qui tourne en France et en Espagne. Aujourd’hui comme hier, ici et ailleurs, l’art est toujours au service de l’Histoire des peuples opprimés.
Wally Rosell et Ramón Pino
Références (dans le désordre)
1- Exposition : L’Art espagnol contemporain. Peintures et sculptures. 12 février 1936 – Mars 1936
2- SDP (Syndicat des dessinateurs professionnels) UGT Barcelone : http://affiches-combattants-liberte.org/fr/content/23-le-sdp
3- Les intellectuels espagnols face à la Guerre Civile (1936-1939) Paul Aubert.
4- Les-artistes sur le front la guerre des images entre les deux Espagne affiches peinture sculpture photographie (ENS Lyon)
5- https://www.memorial-argeles.eu/fr/1939/1939-1ere-periode-fevrier-mars-1939/des-centaines-d-artistes-dans-le-camp.html
6- Les camps de la honte A. Grynberg et S. Caucanas actes du colloque « les français et la guerre d’Espagne à perpignan »
7- esbelt : lapiz de la revolucion
8- https://www.paperblog.fr/5915721/que-faisaient-les-artistes-pendant-la-seconde-guerre-mondiale/
9- Lamolla : mon oncle
10- Jacint-Bofarull : memoria oblidada
11- Carles Fontserè: Memòries d’un cartellista català (1931-1939) – 1995
12- « SIM l’enigma d’un gran artista » / Mercè Balda Rey; 2016. « SIM Dibuxant de la revolucio » (Fondation Salvador Segui)
13- Helios Gomez : http://www.heliosgomez.org/ – H. Gomez la révolution graphique – l’affichiste à la cravate rouge.
14- Bartoli : Josep Bartoli la Retirada
15- Garcia Vivancos : http://www.estelnegre.org/documents/garciavivancos/vivancos.html
16- Baltasar Lobo : https://fundacionbaltasarlobo.com/ (Zamora)
17- Les artistes espagnols à Paris à partir de la guerre civile. Amanda Herold-Marme
18- L’art de l’exil républicain espagnol, Violeta Izquierdo – 2002
19- Antoni Clavé : https://www.antoni-clave.org/biographie
20- J. Obiols : https://ca.wikipedia.org/wiki/Josep_Obiols_i_Palau
21- M. Monleon Diseno y vanguardia (Fondacion Salvador Segui)
22- Gallo / Coq : https://www.tebeosfera.com/autores/garcia_gallo_luis.html
23- Les artistes plasticiens espagnols et l’exil en France. Dolores Fernández Martínez in Revue Exils et migrations ibériques N° 6 2014
24- Université du Mirail 25 avril 12 mai 1978
25- Sylvie Badia : https://www.troisiemerive.com/badia/
26- L’Utopie en exil – Quand l’Art devient histoire
27- Chemins de l’exil – photographies de Philippe Gaussot
Archives de la presse espagnole en exil consultées : CNT ; El Socialista ; Mundo Obrero ; Solidaridad Obrera ; Unidad y Lucha ;
Les affiches de la Guerre civile : les biographies des principaux graphistes Bartoli, Fontseré, Gomez, Monleón, Renau, Sim. 2000 carteles de la Guerra civil ; Arte y Propaganda en Valencia ; El color de la Guerra ; Les affiches des combattants de la Liberté. Pinturas de guerra: dibujantes antifascistas en la guerra civil española
Sur l’Exil : Geneviève Dreyfus-Armand : L’Exil des républicains espagnols en France. Espagne passion française Geneviève Dreyfus-Armand et Odette Martinez ; Odyssée pour la Liberté de M-C. Rafaneau Boj ; Par-delà l’exil et la mort de L Stein, etc.