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Mois : juin 2014

Chroniques de résistance. Tony Hymas

L’idée de résistance est une donnée puissante de l’histoire de l’humanité. La musique aussi. La trajectoire musicale de Tony Hymas, riche en couleurs et en rencontres révèle au premier plan une forme d’histoire populaire dont la musique serait le récit dynamique. Le pianiste britannique a partagé des histoires avec des Indiens d’Amérique ou mis en musique la Commune de Paris. Tony Hymas est avant tout un créateur soucieux de la qualité du monde. Chroniques de résistance est une aventure musicale issue de multiples rencontres.
Une histoire dédiée aux résistants du passé du présent et du futur, qui prend racine en 1940 et, à partir d’événements choisis, cherche, non à être exhaustive, mais à en saisir la puissance tragique ou poétique, la détermination, et les incidences sur notre monde actuel. Musique, textes et chansons se mêlent pour nous raconter par la poésie de René Char, celle de Robert Desnos ou d’Armand Gatti, par les paroles de Sylvain Girault ou Serge Utgé-Royo, les intentions de John Holloway, Barney Bush ou David Miller, autant d’épisodes souvent oubliés ou écartés du grand roman national : la présence des étrangers dans les maquis ou les armées de la France Libre, grands oubliés de la victoire à laquelle ils ont pourtant tant contribué et parmi eux, cette présence capitale de milliers d’Espagnols qui continuaient une guerre contre le fascisme, commencée plus tôt chez eux, tel Francisco Vidal Ponzán et son extraordinaire réseau ou encore ces autres Espagnols de la Nueve qui entrèrent dans Paris le 24 août 1944, le maquis limousin de ce résistant hors normes que fut Georges Guingouin, l’action déterminante des femmes Marianne Cohn, Germaine Tillon, Suzet Chevet, Olga Bancic, la Libération contrariée et ce qu’il nous reste à parcourir. Tony Hymas a réuni pour ces Chroniques de résistance un orchestre, un « band », ou une bande pour être au plus près de ce compagnonnage composé de musiciens, acteurs, chanteurs. Nous vous en présentons 2 extraits : Souvenir de ponzan Souvenir de Ponzan, dit François Vidal (Tony Hymas – Serge Utgé-Royo / édit. musicales nato) La Nueve Citation : Raymond Dronne – Fermin Pujol (Tony Hymas / édit. musicales nato)


int-resistance.jpg Soit le trio Journal Intime avec le saxophoniste basse Fred Gastard, le tromboniste Matthias Mahler et le trompettiste Sylvain Bardiau, le saxophoniste baryton François Corneloup, le batteur Peter Hennig, la chanteuse Elsa Birgé, la slammeuse Desdamona et les acteurs Nathalie Richard et Frédéric Pierrot. Les illustrateurs Jeanne Puchol, Sylvie Fontaine, Vincent Bailly, Vaccaro, Daniel Cacouault, Stéphane Levallois ont rejoint l’ensemble pour prolonger la rencontre dans le livret de 148 pages. Éditions musicales nato, sortie le 18 août 2014.

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Documents joints

 

German Arrue « On est arrivé par la Porte d’Italie »

On est arrivés sans grands problèmes jusqu’aux environs de Paris. Pendant qu’on affrontait les Allemands, dans les alentours, Leclerc est arrivé en demandant à joindre Dronne. Je suis allé le chercher et, une fois arrivé, le général lui a dit qu’il devait filer avec la compagnie vers Paris; il fallait arriver cette même nuit. Je n’avais jamais été à Paris.

On a atteint rapidement l’Hôtel de Ville et on s’est installés autour, face aux quais de la Seine et à tous les endroits stratégiques. Tout de suite, les maquisards de la Résistance sont arrivés; ils montaient avec nous, dans nos voitures, et nous dirigeaient là où se trouvaient les Allemands.


(- Interview réalisée par Evelyn Mesquida -)

Le jour suivant, tôt, on a nettoyé toute la zone, libéré la rue des Archives, où se trouvaient encore des forces allemandes, et on s’est dirigés ensuite vers la place de la République où se trouvait une caserne encore occupée par une grande quantité d’Allemands. Après des affrontements durs, on est repartis avec plus de 300 prisonniers.

Là, on a dû être très fermes, parce que beaucoup de civils qui les insultaient voulaient aussi leur prendre leurs bottes et leurs vêtements. On ne les a pas laissé faire: ça ne nous plaisait pas, ça n’était pas digne. Après toute la misère qu’on avait subie pour arriver jusque-là, et une fois que tous ces gens étaient libres, ils n’avaient pas à prendre les bottes des prisonniers. Nous, sur le front, oui: on leur enlevait montres, bagues, stylos à plume et des choses comme ça, avant de les refiler aux Américains, qui étaient très contents et nous donnaient beaucoup de choses en échange, parce qu’ils pouvaient dire qu’ils avaient fait eux- mêmes des prisonniers…
Un jour, contre une montre prise à un Allemand, les Américains m’ont donné un pistolet: un colt. À Paris, on donnait tous nos prisonniers aux maquisards et aux résistants. Ils les emmenaient…

German Arrue  » J’étais sur le Teruel « 

 » Nos blindés avaient reçu les noms des principales batailles de la guerre civile, comme Guernica, Guadalajara, Ebro, Madrid. Le mien était le Teruel. Nous y étions cinq.

Chaque Espagnol avait aussi un drapeau républicain espagnol. Il était en toile. Je crois que c’est Granell qui les avait obtenus. Il nous en avait déjà donné un autre pour combattre en Tunisie. Les uns le portaient au bras, les autres à l’épaule. D’autres le portaient sous la forme de petits insignes : en Angleterre, on nous prenait pour des aviateurs.

Quand un compagnon tombait, si on le pouvait, il était enterré avec son drapeau républicain. »


(Interview réalisée par Evelyn Mesquida )

(Periodistas-es.com) Un nuage espagnol libéra Paris … Mémoires ibériques de Utgé-Royo

Par Julio Feo Zarandieta

Ce dimanche 22 juin, dans la salle du théâtre ‘L’Européen » à Paris, un concert de l’auteur-compositeur-interprète Serge Utgé-Royo a marqué le lancement d’une série d’initiatives estivales organisées par l’association « 24 août 1944 », qui commémore cette année le 70ème anniversaire de la libération de Paris par les républicains espagnols de la Nueve, la célèbre division du général Leclerc.

Fils de républicains espagnols, son père était anarchiste catalan et sa mère socialiste castillane, exilés au moment de la Retirada, Serge Utgé-Royo a présenté pour l’occasion son dernier disque « Mémoires ibériques, chanter pour les miens », qui inclut une chanson hommage aux républicains espagnols qui combattirent dans la Nueve.

« Un nuage espagnol » est le titre poétique de cette chanson écrite par Utgé-Royo, sur la musique de son complice et pianiste Léo Nissim, en mémoire à la Nueve : « Entre deuil espagnol, et Allemagne en guerre, nous remontons vers le Nord au milieu de l’horreur … Un jour on saura crier dans le silence, qu’un nuage espagnol libéra Paris … » dit ce chant républicain aux couleurs du drapeau anarchiste noir et rouge.

« Mémoires ibériques … chanter pour les miens » est un ensemble de 23 chansons écrites par Serge Utgé-Royo, comme « Amis dessous la cendre », Carte de visite », ou « Quand la vie brûle, la mort a goût de miel », et d’autres chansons populaires et sociales qu’il interprète avec des arrangements musicaux originaux, parmi lesquelles : « Andaluces de Jaén », « La Estaca » ou « Grándola Vila Morena », « Te recuerdo Amanda », ou encore « El ejército del Ebro » … »

Serge Utgé-Royo a revisité dans son abondante discographie, l’œuvre poétique et musicale de Léo Ferré, mais également dans son CD : « Contrechants … de ma mémoire », un ensemble de chansons révolutionnaires et populaires d’hier et d’aujourd’hui, de Boris Vian à Victor Jara, Violeta Parra, Raimon, Luis LLach, José Alfonso, Pete Seeger … , du « Temps des cerises » à « La Butte rouge », « A las barricadas » ou « Bella ciao » et « Adio Lugano bella »…

Avec sa voix chaude et ses arrangements musicaux qui vont du jazz aux rythmes latinos, avec Léo Nissim au piano et Jean My Truong à la batterie, le ton très personnel de Utgé-Royo nous sert un savoureux banquet de mémoire de la chanson populaire internationale que nous devons saluer ; ce sont des chansons de lutte, de combat, d’amour et de solidarité, thèmes qui continuent d’être d’une actualité brûlante.

L’association « 24 août 1944 » organise pendant les mois d’août et septembre, une série d’actes commémoratifs de la participation des républicains espagnols à la libération de Paris. Quatre colloques auront lieu le 22 août dans les locaux parisiens de la Bourse du Travail, ayant pour thèmes : la révolution sociale en Espagne, l’exil des républicains et le combat des Espagnols dans la Résistance et dans la libération de Paris. Parmi les intervenants : l’historienne française Geneviève Dreyfus-Armand, l’écrivain français Frank Mintz, la journaliste et écrivaine espagnole Evelyn Mesquida, auteure du livre « La Nueve, 24 août 1944 ».

Le 23 août, le poète et dramaturge français Armand Gatti présentera au théâtre « La Parole errante » de Montreuil en banlieue parisienne, son œuvre « La Nueve, mise en scène ». Le dimanche 24 août à 14h00, une manifestation partira de la Porte d’Italie pour se rendre au pont Henri IV près de l’Hôtel de ville de Paris, suivant ainsi le parcours que firent les hommes de la Nueve ce même jour de 1944, libérant Paris de l’occupation nazie.

Le 5 septembre le cinéma « La Clef » projettera trois films emblématiques pour illustrer cet anniversaire : »Sous le signe libertaire » de Les, cinéaste de 1936, « Contes de l’exil ordinaire » de René Grando, et « La Nueve ou les oubliés de la victoire » du cinéaste argentin Alberto Marquardt.

German Arrue « Dans la 9ème compagnie, nous nous commandions nous-mêmes »

Dans de la Nueve, les anarchistes sont nombreux. Comme tous les républicains vaincus, ils concevaient ce combat comme la continuité de celui entamé en Espagne et espéraient – comme on leur avait promis – qu’il se poursuivrait, avec l’aide des alliés, contre la dictature de Franco.

Au combat, comme l’évoque German Arrue, «  ils se commandaient eux-mêmes « . « Ancien » de Teruel, il rejoint la 2è DB, participe à la Libération de Paris avec la Nueve, et avec eux, escorta le général de Gaulle le 26 août sur les Champs-Élysées.

« On nous avait mis là parce que je crois qu’ils avaient plus confiance en nous, comme troupe de choc, qu’en d’autres… Il fallait voir comme les gens criaient et applaudissaient! Au début du défilé, on a vu une grande banderole républicaine espagnole, longue de 20 ou 30 mètres, portée par un important groupe d’Espagnols qui n’arrêtaient pas de nous acclamer. Peu après, quelqu’un leur a fait retirer cette banderole.« 


( Interview réalisée par Evelyn Mesquida )

Lire le portrait de German Arrue

Muchas gracias

Nous savons tout, ou presque, sur la Libération de Paris, et c’est une bonne chose d’apprendre aux générations nouvelles, qu’avant de devenir des pépés rabâcheurs, les anciens combattants furent aussi des jeunes de leur âge, capables, le cas échéant, de mourir pour la liberté, à 20 ans, sinon avant. Mais il est une justice à rendre, puisque personne n’en a parlé, et que nous ne saurions négliger, nous, dont la métropole, Toulouse, fut, voilà une quinzaine de siècles, du temps des Wisigoths, la première capitale de l’Espagne.

Il convient donc de savoir que la fameuse division blindée du général Leclerc, la « Deuxième» qui devait devenir la première, celle qui, voilà quarante ans, fit son entrée dans Paris en colère, comprenait plus de trois mille Espagnols, soit le cinquième de ses effectifs. Ces anciens guérilleros d’une guerre civile, prélude à la mondiale, si mal accueillis chez nous dans les camps de concentration infâmes, s’étaient, après notre défaite, engagés ans la Légion étrangère ou enfuis en Angleterre. Certains d’ailleurs avaient déjà combattu en Tripolitaine contre le célèbre « Afrika Corps » du général Rommel. Et ces antimilitaristes, car pour la plupart anarchistes, étaient de l’avis unanime de leurs chefs, de magnifiques soldats. Répartis sur l’ensemble de la « IIe D.B. », ils constituaient la majorité du Régiment d’infanterie du Tchad, ainsi que de la neuvième compagnie de chars du troisième bataillon.

Ce denier était commandé par le colonel Putz, un vétéran des « Brigades internationales», qui, devant Teruel imprenable, avait évoqué, six ans auparavant : Ce coup-ci, c’est Verdun… Et il y revint pour se faire tuer, près de trente ans après. Le capitaine Raymond Dronne, un hispanisant, avait accepté la neuvième compagnie, dont aucun officier ne voulait, pour son caractère particulier. On y comptait, en effet, début août 1944, cent quarante-quatre Espagnols très exactement. Il en restera seize, guère plus de dix pour cent, dix mois plus tard, à la fin de la guerre. Or ce sont ces guérilleros qui sont entrés les premier dans Paris.

Les images de la Libération de la capitale, ou sa reconstitution, ne montrent guère qu’un char, baptisé « Romilly», celui qui fut, ces jours-ci, de toutes les cérémonies. Robert Aron, qui écrivit l’histoire de ces évènements, ne cite que lui, tandis que son collègue Adrien Dansette en ajoute deux autres, « Montmirail » et « Champaubert ». Ces historiens ne veulent voir que des chars français, conduits, à la rigueur, par des éléments marocains. Or, s’il s’agissait de blindés bien à nous, ils portaient des noms de combat espagnols, choisis par leurs équipages d’outre Pyrénées. Le capitaine Raymond Dronne, envoyé en avant-garde par le général Leclerc, témoigne d’ailleurs sans la moindre équivoque: Des half-tracks, portant des noms espagnols et conduits par des Espagnols de la neuvième compagnie, furent les premiers à entrer dans Paris.
Cette unité, composée de cent vingt hommes, avec vingt-deux blindés, était commandée par le lieutenant Elias, assisté du lieutenant Amado Granell et du sergent Campos, qui rêvait de partir ensuite animer la guérilla contre Franco. Elle déboucha place d’Italie, à 20h20. Le capitaine Dronne y prit part en personne, à la tête de la colonne, laquelle se présenta devant l’Hôtel-de-Ville, à 21h33, très exactement. Les premiers chars sur la place, atteste le lieutenant Granell, s’appelaient « Guadalajara », « Teruel », «Madrid » et « Ebro ».

Raymond Dronne pénétra seul à l’intérieur de l’Hôtel-de-Ville, où il fut reçu par une délégation du Comité national de la Résistance, à savoir : Georges Bidault, son président, assisté de Daniel Mayer, Joseph Laniel, Georges Marrane et Léo Hamon. Pendant ce temps, un tireur isolé semait la panique sur la place, où les blindés prenaient aussitôt position, en prévision d’une attaque. Sorti saluer leurs équipages, Léo Hamon confire à son tour : Ils ne parlaient pas très bien le français. C’était des républicains espagnols, engagés dans la division Leclerc.

Le sergent-chef Jesus Abenza, qui se trouvait aux premières loges, jure même que Leclerc en personne avait promis aux Espagnols qu’ils seraient placés en tête de colonne et conduiraient l’armée de Libération.
Il rapporte également que, sur le trajet de la Porte d’Italie à l’Hôtel-de-Ville, plusieurs chars arboraient le fanion de la République espagnole, et qu’on les acclamait comme tels. Ce même sergent-chef installa, sur la place, le premier canon, baptisé « El Abuelo », le grand-père. Ces témoignages vécus se retrouvent, si je ne m’abuse, dans le bouleversant ouvrage de Federica Montseny, la leader anarchiste, ancien ministre de la République : « Passion et mort des Espagnols en France ». Et nous citerons encore le tankiste V. Etchegaray, qui précise en substance : Les forces françaises de l’intérieur nous saluèrent à notre arrivée en anglais. Et nous étions déjà place de l’Hôtel-de-Ville, quand nous vîmes apparaître deux chars français. Les F.F.I. de la capitale étaient sous les ordres d’Henri Rol-Tanguy, le dernier chef du bataillon « Commune de Paris », vétéran des « Brigades internationales ».

Après avoir procédé au « nettoyage » de Paris, la neuvième compagnie du capitaine Dronne alignait, le 26 aout, ses chars devant l’Arc-de-Triomphe. Elle formait la garde d’honneur du Soldat Inconnu pour l’arrivée du général de Gaulle. Une immense banderole aux couleurs de la République espagnole barrait les Champs-Elysées. Entre-temps, plus de quatre mille réfugiés espagnols participaient au soulèvement de la capitale et l’un de leurs chefs, José Baron, s’était fait tuer place de la Concorde.
Cette émulation dans la course à la liberté, dont la Libération da Paris fut le symbole, ne change certes pas le sens de l’Histoire. Aussi, puisqu’il faut rendre à César ce qui lui revient. nous devons-nous de dire « muchas gracias » – merci beaucoup – à ces cousins de sang qui, vaincus à Madrid, où nous étions absents, firent un si long et douloureux parcours pour rentrer en vainqueurs dans Paris.
Mais la course à la liberté n’est-elle pas le rêve éternel de Don Quichotte?

René MAURIES

Muchas gracias. La dépêche du midi 27/08/1984
Muchas gracias. La dépêche du midi 27/08/1984

Manuel Lozano. L’un des premiers à entrer dans la capitale occupée

Manuel, républicain espagnol et anarcho-syndicaliste, raconte comment, en compagnie de nombre de ses compatriotes, il fut l’un des premiers soldats de la deuxième division blindée à entrer dans la capitale occupée, le soir du 24 aout 1944.

C’est au cinquième étage d`un vieil immeuble du dix-neuvième arrondissement qu’habite Manuel Lozano, un de ces immeubles trapus et centenaires comme on en trouve encore dans certains quartiers de Paris.
La ressemblance entre le maitre des lieux et le héros de Cervantes, l’immortel Chevalier à la triste figure est frappante : même sècheresse de corps, même souveraine hauteur un peu courbée ; même idéalisme aussi, intransigeant et utopique.
Sur les murs, constellés d’innombrables petits dessins abstraits, s’égrènent les souvenirs, témoignages d’un passé peu commun : photos bien sûr, mais aussi décorations militaires et citations diverses. L’une d’elles attire plus particulièrement l’attention, qui attribue au soldat Manuel Lozano la croix de guerre. Elle est signée du général Leclerc.

Manuel se souvient. II y a quarante et un ans, le 24 aout 1944, un détachement de la deuxième division blindée, commandé par le capitaine Dronne, roulait silencieusement vers Paris. Manuel était en tête du convoi, juste devant la jeep du capitaine. Vers 20h45, la Porte d’Italie est franchie. Le véhicule à bord duquel prennent place Manuel et quatre de ses compatriotes est le premier des forces alliées à pénétrer dans la capitale occupée.

La terreur franquiste

Juillet 1936: les armées espagnoles d’Afrique, bientôt placées sous le commandement du général Franco, se soulèvent contre le gouvernement légal de la République. En ce mois de juillet torride, Manuel travaille dans les vastes vignobles autour de Jerez de la Frontera, sa ville natale, située à l’extrême sud-ouest de l’Andalousie. À 19 ans, il est déjà membre, depuis 1932, d`un syndicat d’ouvriers viticoles et milite dans les rangs des jeunesses libertaires. Aussi, lorsque Jerez, dès le début des hostilités, tombe sous la coupe des rebelles, c’est tout naturellement qu’il s’enfuit pour rejoindre les bataillons de l’armée républicaine.

Les vicissitudes de la guerre vont alors le conduire sur de multiples fronts, de Malaga à Murcia, en passant par Grenade, Marbella, Almeria et Alicante. En mars 1939, c’est la débâcle des républicains. Le 28 mars Manuel embarque donc à bord de la « Joven Maria », et le 1er avril, la silhouette tranquille du port d’Oran, territoire français à l’époque, se profile enfin à l’horizon.

Il raconte : « Le port était encombré d’un tas de bateaux, chargés de réfugiés, comme nous. Les autorités leur interdisaient de débarquer et ne les ravitaillaient même pas. Les maladies étaient nombreuses. » Manuel et ses compagnons parviennent cependant à quitter leur bateau. Mais le lendemain même, alors qu’il se promène dans les rues animées d’Oran, Manuel est arrêté par la police et immédiatement placé dans un camp réservé aux réfugiés espagnols clandestins. « Les conditions de vie étaient épouvantables », précise-t-il d’une voix pleine d’émotion. On n’imagine pas que Manuel a vécu là une expérience unique. À partir de 1939, ce sont des centaines de milliers de réfugiés espagnols fuyant la terreur franquiste que les autorités françaises parquent systématiquement dans ce qu’il n’est pas possible d’appeler autrement que des camps de concentration.
La libération survient en novembre 1942. avec le débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord. Les Corps Francs d’Afrique sont alors créés, dont tous les membres sont des volontaires antifascistes venus de divers horizons : Italiens, Allemands, Espagnols… Manuel est parmi eux.

Toutes les familles politiques

Commence alors la longue et difficile campagne d’Afrique à laquelle les Corps Francs participent, intégrés à la 2ème D.B. Dans la division de Leclerc. Manuel fait partie de la neuvième compagnie du troisième régiment de marche du Tchad, surnommée la Nueve parce qu’elle est presque exclusivement constituée d’Espagnols. « Une compagnie qui faisait peur à tout le monde », tient-il à préciser. On retrouve là toutes les familles politiques de ce vaste front républicain qui, trois ans durant, a désespérément combattu la rébellion franquiste : républicains modérés, socialistes, communistes, et bien sûr, anarchistes, les plus nombreux.
Au mois de mai 1944, c’est l’embarquement pour l’Angleterre, en vue de vaste offensive alliée qui, à cette date n’est pas encore prévue pour le 6 juin. Manuel pose le pied pour la première fois sur le territoire français le 4 aout l944. En compagnie de toutes les troupes de la 2ème D.B.
L’accueil de la population est ambigu. C’est du moins, l’impression ressentie par Manuel : « Les bravos, l’accueil chaleureux et enthousiaste, la liesse, c’était dans les grandes villes. Pas à la campagne.»

Du 4 au 19 aout, la division livre sa bataille de Normandie : Alençon est libéré, puis, après sept jours de violents affrontements, Ecouché. Le 19 août, éclate l’insurrection parisienne. Le 22, le général Leclerc reçoit du général Bradley, son supérieur hiérarchique, l’autorisation de marcher sur Paris. Mais les Allemands résistent. Les accrochages sont fréquents, à Longjumeau, Antony, Fresnes. Ils retardent l’avance du convoi. Le 24, les combats se poursuivent.
Le capitaine Dronne parvient cependant à dégager sa compagnie et constatant que devant lui la route est libre, il décide de foncer vers la capitale dont il franchit les limites vers 20 h 45.
Les Espagnols représentaient presque les trois quart des effectifs de ce détachement qui fut le premier à entrer dans Paris. Les autres troupes de la 2ème D.B. ne pénétreront dans la capitale que le lendemain 25 août.
Pour Manuel, le hasard a bien fait les choses en plaçant des Espagnols à l’avant-garde des combats : « Parmi les soldats, et en dehors des officiers français qui avaient fait la campagne d’Afrique, seuls les Espagnols connaissaient bien la guerre. »

Est-ce fortuit ou volontaire, l’histoire ne garde rien, ou presque, du rôle prédominant que jouèrent les Espagnols durant ces heures décisives. Parmi les ouvrages les plus connus, citons celui de Dominique Lapierre et Larry Collins[[Paris brûle-t-il ?, de Dominique Lapierre et Larry Collins, Robert Laffont. 1964]], et celui d’Henri Michel [[ La Libération de Paris, de Henri Michel, éditions Complexe, 1980]]. Ni l’un ni l’autre ne font la moindre allusion à une quelconque présence espagnole dans le détachement de Dronne. Admettons cependant que les auteurs de ces deux ouvrages aient pu être induits en erreur par des sources communes, fausses ou incomplètes.
Le premier grand ouvrage écrit sur la libération de Paris est celui d’Adrien Dansette [[Histoire de la libération de Paris, de Adrien Dansette, fayard, 1946]], publié en 1946. Dansette ne signale aucune présence espagnole aux côtés du capitaine Dronne. Mieux encore, devant les nombreux rapports faisant état de la présence active d’Espagnols à l’avant-garde des combats, il prétendra qu’il s’agissait de Marocains !

Après la France, l’Espagne

Ainsi s’est progressivement constitué l’image des « Français libérés eux-mêmes ». Image inaugurée par de Gaulle dans son célèbre discours du 25 août à l`Hôtel de ville, relayé par des générations d’écrivains et d’historiens, puis finalement assimilé par la communauté nationale.
C’est ce consensus national implicite autour d’une rassurante simplification historique qu’est venu ébranler, il y a quelques semaines, le film de Mosco. Des « terroristes » à la retraite, dont l’intérêt réside en bonne partie dans le rappel des combats historiques que les travailleurs immigrés menèrent en France contre l’occupant nazi.

Mais l’odyssée de la 2ème D.B. ne s’arrête pas à Paris. Après les violents combats du 25 août, puis le célèbre défilé du 26 aux Champs-Elysées, auquel Manuel a participé aux tous premiers rangs (voir notre photo), ce sera la libération de Strasbourg le 23 septembre, le passage au camp de Dachau récemment libéré par les Américains, puis l’ultime étape, Berchtesgaden, le nid de l’aigle.

Pour les Espagnols cependant, La mission de la 2ème D.B. n`est pas finie. Manuel raconte: « Nous nous étions engagés dans la division Leclerc car nous pensions qu’après la France, nous irions libérer l’Espagne. Dans ma compagnie, la Nueve, tout le monde était prêt à déserter avec tout le matériel. Campos, le chef de la 3ème section, prit contact avec les guérilleros espagnols de l’Union Nationale, qui combattaient dans les Pyrénées. Mais l’Union Nationale était noyautée par les communistes, et nous avons du renoncer »
Mais si cela n’avait pas été le cas, si les communistes n’avaient pas été prédominants dans l’Union Nationale?
« Alors nous aurions embarqué la compagnie, et non seulement la compagnie, mais tous les autres bataillons où il y avait des Espagnols. Nous avions tout étudié. Avec les camions chargés de matériel, d’essence, nous serions allés jusqu’à Barcelone. Alors, qui sait si l’histoire de l’Espagne n’aurait pas été changée… »

Laurent GIMENEZ


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Portrait de Manuel Lozano

 

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Témoignage Chrétien No 2146 du 26 août au 11 septembre 1985
Témoignage Chrétien No 2146 du 26 août au 11 septembre 1985

Angel Cariño-Lopez

Né le 16 Mars 1914 à La Piedra, en Galice, Cariño, membre de la C.N.T, exerçait le métier de marin pêcheur.

Fin 1937, il fut mobilisé dans l’armée franquiste qui avait soumis la Galice dès 1936. Après un entraînement rapide il partit pour Burgos avant d ‘être envoyé au combat sur le front de Tolède. Avec un grand nombre de ses camarades il ne tarde pas à déserter le camp franquiste pour rejoindre les rangs républicains.

À la fin de la guerre, en 1939, avec quelques compagnons il a quitté l’Espagne à bord d’une chaloupe. À la rame, depuis le port d’Alicante, ils atteignirent les côtes de l’Algérie française, à Beni-Saf.

Les autorités françaises les accueillent comme des indésirables : Avec ses amis, il fut envoyé au camp de travailleurs étrangers de Morand à Boghari bien connu pour ses méthodes disciplinaires très dures. Il s’évada du camps avec quatre de ses camarades d’infortune.

Repris à Colomb-Bechar, il fut contraint de s’engager dans la Légion. Mais il ne tarda à déserter  la Légion pour rejoindre les Corps Francs d’Afrique (où il fut blessé dans la campagne de Tunis) et plus tard la Deuxième Division Blindée du général Leclerc, où il fut incorporé au sein de « la Nueve », comme canonnier sur le half-Track « Guernica ». Son canon, bien connu des troupes nazis, portait le nom de « Mar y Luz » (Mer y Lumière…) .

Avec ses compagnons de « la Nueve », il à participé à la Libération de Paris et à terminé la guerre avec le grade de Caporal-Chef.

Pour ses faits d’armes il a reçu une citation à l’ordre du régiment, une autre, à l’ordre de l’armée et la Croix de Guerre avec palme du Général de Gaulle le 26 Septembre 1944 à Nancy.

Démobilisé le 25-07-1945, il s’installa en France, d’abord dans l’Indre puis, jusqu’à sa mort, dans l’Essonne. Il n’est jamais retourné en Espagne.

Il aimait particulièrement la Bretagne, où il retrouvait les paysages de sa Galice natal.

La Nueve. 24 Août 1944. Par Evelyn Mesquida

La Nueve, ou neuvième compagnie, c’est le titre de ce livre qui vient d’être réédité et le nom de l’une des unités qui composaient la fameuse 2e Division blindée qui s’est illustrée sur le sol africain et européen en 1944-1945 pour repousser jusque dans leur dernier retranchement, le nid d’aigle de Berchtesgaden, les troupes hitlériennes. Elle était majoritairement composée de républicains espagnols, réfugiés en France après la victoire de Franco. C’est l’histoire de ces oubliés de l’« histoire officielle » que raconte la journaliste Evelyn Mesquida.

Il s’agit pour l’auteure de sortir de l’oubli les combattants d’une compagnie emblématique et, au-delà, tous les Espagnols qui ont participé à la Seconde guerre mondiale aux côtés des troupes alliées, et d’autre part de rappeler que le 24 août 1944, date de l’entrée des troupes alliées dans la capitale, les Espagnols étaient au premier rang.

Sur les 160 hommes de la Nueve, 146 d’entre eux étaient Espagnols ou d’origine hispanique. Il y avait aussi des Espagnols dans d’autres unités mais la Nueve était la plus homogène. Evelyn Mesquida rappelle d’ailleurs que la 2e Division blindée était composée de soldats de plus de vingt nationalités différentes. Les Espagnols étaient les plus nombreux : le livre s’ouvre sur l’exode vers la France de plus de 500 000 d’entre eux après la victoire franquiste en février 1939, dont quelque 250 000 hommes. La plupart reprendront les armes contre le nazisme après de terribles séjours dans les camps d’internement du sud de la France ou d’Afrique du Nord. Comme le rappelle Jorge Semprun dans la préface du livre, les Espagnols qui se joignirent aux combats n’étaient pas « une poignée » mais des dizaines de milliers.
Dans la première partie du livre, on suit pas à pas, des côtes de l’Afrique équatoriale à l’ultime repère de Berchtesgaden, en passant par la Tunisie et la France, la geste des troupes du général Leclerc. Au passage, Evelyn Mesquida rappelle aussi comment les combattants africains furent écartés des rangs lorsque la 2e DB fut constituée en août 1943, malgré les protestations de Leclerc. A eux non plus, la geste nationale de la reconquête n’a pas rendu justice.
Le 24 août 1944, le premier officier de la fameuse 2è DB à entrer dans l’Hôtel de ville de Paris, déjà occupé par le Comité national de la résistance, était un Espagnol, Amado Granell, lieutenant de la Nueve. Et les premiers véhicules à entrer sur la place de l’Hôtel de Ville n’étaient pas – contrairement à ce que retiendra l’histoire officielle – les chars Romilly, Champaubert et Montmirail dont les noms fleurent bon la France profonde mais des half-tracks, des véhicules blindés plus légers et munis de mitrailleuses, pilotés par des Espagnols de la Nueve et nommés Guadalajara, Teruel ou encore Guernica.
Dans une seconde partie, les survivants de la Nueve se racontent à l’auteur. Elle donne chair au récit, rappelant que l’épopée militaire, ce sont les hommes qui la fabriquent avec leur sang et le sang a beaucoup coulé dans cette compagnie qui était la troupe de choc de la 2e DB. L’enfance en Espagne, les trois guerres –la guerre d’Espagne, la guerre de Tunisie contre les troupes du général allemand Rommel et la libération de la France, les acteurs égrainent leurs souvenirs. « La majorité des hommes qui composaient la Nueve avaient moins de vingt ans lorsqu’ils prirent les armes, en 1936, pour défendre la République espagnole : les survivants ne les déposeraient que huit ans plus tard ». Ils devraient déposer des armes qu’ils avaient pensé pouvoir utiliser pour combattre la dictature franquiste en Espagne. Mais après la guerre, chasser Franco était d’autant moins une priorité que dans le monde bipolaire qui émergeait une Espagne verrouillée était un moindre mal.

Tous les témoignages se terminent sur un sentiment de « travail » non achevé. L’un des acteurs raconte : « je me souviens qu’un médecin américain m’avait demandé, un jour, pourquoi nous, les Espagnols, on luttait avec les Français, après les coups de pieds qu’ils nous avaient donnés. J’ai répondu qu’on luttait contre Hitler, qu’on savait que les Français profitaient de cette lutte, mais qu’ils nous avaient donné la possibilité de faire la guerre contre les nazis ». Certains sont morts sans jamais être retournés en Espagne.

Tous ces hommes ont fait leur vie en France. Après la guerre ils ont dû apprendre la langue, apprendre un métier, chercher un travail. La plupart ont rejoint la foule des héros anonymes même si certains ont été l’objet d’hommages publics, tant en France qu’en Espagne. Publics mais tardifs, dans les deux pays. Si tous les soldats de la Nueve ont été décorés de la médaille militaire, tous n’ont pas eu la Légion d’honneur ; un « oubli » que l’auteur s’emploie à réparer. « J’ai demandé la Légion d’honneur pour ceux que j’ai rencontrés qui ne l’avaient pas eu. Deux l’ont eu et trois sont morts sans l’avoir », raconte Evelyn Mesquida, et ce alors que leurs faits d’armes, au regard de ceux accomplis par d’autres combattants, leur auraient largement valu cette reconnaissance.
Comme l’explique Jorge Semprun dans sa préface, l’histoire n’a retenu que ce qui pouvait servir à la construction d’une geste nationale et nationaliste et les étrangers n’y avaient pas leur place. Cette « francisation » de la Libération fut selon lui « une opération politique consciente et volontaire de la part des autorités gaullistes et, dans le même temps, des dirigeants du Parti communiste français ». L’épopée gaulliste et l’épopée communiste de la Libération ne pouvaient être que nationales. « La participation armée des Espagnols a été récupérée par les gaullistes ».

Pour ce qui est de la participation des Espagnols à la Résistance, c’est l’objet du prochain livre d’Evelyn Mesquida.

La Nueve 24 août 1944 : ces républicains espagnols qui ont libéré Paris,
– Evelyn Mesquida, traduction de Serge Utgé Royo,
– éd. Le Cherche-midi, Paris, 2014.

Solana Faustino

« Je suis né à Santander, dans une famille nombreuse de sept enfants.
Une enfance difficile : on avait à peine de quoi vivre. J’ai dû me mettre à travailler très jeune. Depuis tout petit, j’avais décidé d’apprendre le métier de barbier. J’ai été élevé près de groupes anarchistes qui m’ont beaucoup aidé.
Quand la République est arrivée, ça a été le jour le plus heureux de ma vie. Une des premières choses qu’on ait faite, ça a été d’aller à la prison pour libérer les prisonniers. J’avais seize ans.
En 1936 – j’avais déjà vingt-et-un ans –, j’ai dû me rendre à Pampelune  et j’y étais quand la guerre a éclaté. J’ai ensuite demandé à aller au front en tant que barbier et je suis parti avec les anarchistes. Peu après, j’ai été blessé à la jambe et on m’a transporté à l’hôpital. Le médecin qui me soignait voulait me couper la jambe. J’ai refusé. Il a insisté en me disant que la balle était dedans. J’ai rétorqué que la balle était sortie. Comme il insistait, j’ai sorti mon pistolet, je l’ai visé et l’ai assuré de nouveau que la balle était sortie… On ne m’a pas coupé la jambe.

Arrivés en France, on nous a mis dans des camps de concentration d’Argelès-sur-Mer et Gurs. Avant, on nous avait demandé : « République ou Franco ? » On est tous allés du côté républicain. Après, je me suis engagé dans la Légion et on m’a envoyé en Afrique du Nord. Avec la Légion, je me suis engagé dans les corps francs d’Afrique et j’ai fait la campagne de Tunisie contre les Allemands ; une guerre dure. J’y suis resté deux ans jusqu’à ce que je déserte pour rejoindre Leclerc. J’ai déserté en emportant une gourde et un fusil.
Quand Leclerc est arrivé et il a demandé des volontaires, la grande majorité des Espagnols ont déserté, et on est parti avec lui. On est resté quelque temps en Afrique, pour se préparer. La Nueve est devenue une compagnie de choc.

Quand ils nous ont enfin fait embarquer, on savait qu’on n’allait pas tarder à affronter de nouveau les Allemands. On attendait ça parce qu’on avait maintenant en mains un puissant matériel ; et surtout parce qu’on pensait que, dès qu’on en aurait fini avec eux, on irait de nouveau faire la guerre en Espagne.
En Espagne, on avait eu l’occasion de bien connaître les Allemands. En Afrique et en France, on a eu l’occasion de mieux les connaître… Les affrontements étaient très durs. Un jour que j’étais avec mon meilleur ami près d’un des half-tracks, un obus lui a coupé la tête qui a sauté en l’air et m’est retombée sur la poitrine…
De nombreux officiers avaient peur des Espagnols, parce qu’ils disaient qu’on n’obéissait pas. En vérité, c’est qu’on n’obéissait pas « comme ça ».La traversée depuis l’Afrique vers l’Angleterre a été dure : j’ai eu un terrible mal de mer….. Un peu plus tard on a quitté l’Angleterre pour la France sur un Liberty ship qui bougeait tellement qu’on croyait qu’il allait se retourner. On a passé encore un mauvais moment…

On a débarqué à Sainte-Mère-l’Église. La lutte a réellement commencé à Écouché ; des combats violents. Quand on est au combat, il n’y a pas moyen de voir un obstacle sans mettre la tête en avant en restant très attentif à tout. C’est comme ça qu’on a affronté les Allemands et libéré quelques villes, jusqu’à arriver à Paris. Arriver dans la capitale française a été pour nous une grande joie.
On a continué ensuite la lutte en Alsace. On a traversé le Rhin et on est arrivé à Berchtesgaden. Je n’ai pas pu monter jusqu’au nid d’aigle de Hitler parce que j’ai été blessé avant d’arriver au village. Mais j’étais déjà satisfait d’être arrivé jusque là.

En revenant, on était obsédés par le retour en Espagne. J’ai appris qu’on préparait une action pour aller lutter contre Franco. Quelques-uns d’entre nous commençaient à cacher des bidons de gazole ; on les économisait à partir des voitures qu’on conduisait, pour organiser le voyage. Je voulais y aller mais les choses n’étaient pas claires. J’ai décidé de ne pas y participer…

En visite à Elbeuf, en Normandie, il y rencontre sa future épouse et s’installe avec elle dans cette ville. Pour ses voisins, il restera « l’ami anarchiste ».

Ces années là on ne peut pas les oublier. C’était une époque très importante. Je crois qu’on a été la dernière génération à lutter pour des idéaux. On avait l’espoir de voir un monde meilleur.

Granell Amado

Mise au point d’après les recherches de Carmen Blanc et de Diego Gaspar Celaya 

Le soldat qui a « libéré » Paris ; Comment une telle personnalisation a pu être écrite, là où justement il s’agit d’hommes solidaires agissant avec un esprit d’équipe qui leur sauva la vie à plusieurs reprises. 

Dans l’enthousiasme de voir venir enfin la fin du cauchemar, le journal Libération, a des envolées lyriques bien compréhensibles après tant d’années d’obscurité ! Le lendemain, ce journal en date du 25 août 1944, publie en première page la seule photographie connue de cet instant. La photo montre le premier soldat « français » arrivé à Paris, posant avec Marcel Flouret, Préfet de la Seine, près d’une fenêtre, à l’intérieur de la mairie. Ce soldat était le lieutenant Amado Granell, et il apparaissait à la une du journal, sous le titre « Ils sont arrivés ».

Et d’après le récit des témoins de l’époque (ceux du Capitaine Dronne, ceux des soldats de la colonne et de la Nueve, donc) : La colonne toute entière est l’avant-garde qui parvient à l’Hôtel de Ville de Paris le 24 août vers 21h20 (heure allemande), la jeep du capitaine en tête. Le capitaine Dronne gravit le premier les marches de l’édifice qui le mènent aux responsables du conseil National de la résistance, parce qu’il est l’officier responsable du détachement !

L’étude de la presse parue le même jour a permis de retrouver un récit plus explicite de cet événement, passé sous silence car invalidant l’affirmation qui peu à peu s’installe comme vérité historique : « que Amado Grannell est le premier officier « français » à gravir les marches de l’Hôtel de ville ».

L’arrivée de Dronne en premier est attestée par au moins deux journaux, l’article le plus explicite étant celui du journal Front National édition de Paris, 5 heures du matin : « Capitaine Dronne … Soldat Pirlian … premiers à arriver à l’Hôtel de Ville ». Le journal L’Aube rapporte : « Le capitaine Dionne (sic) a fait son entrée à 21h28. C’est le premier officier français entré à l’Hôtel de Ville. Georges Bidault l’accueille dans des termes émouvants. » Ceci confirme la version donnée par Dronne dans ses mémoires. Une explication plus simple de la présence de Granell sur ce cliché est que celui-ci ait été pris après que Dronne ait confié le commandement de la colonne à Granell pour aller à la Préfecture de Police.

Amado Granell, dans lequel Dronne a toute confiance (ils sont liés par des mois de combat au coude à coude), prend le commandement des troupes stationnées en hérisson devant l’Hôtel de ville quand le capitaine doit aller rejoindre la préfecture. En l’absence du capitaine, il sera l’interlocuteur du conseil de la résistance.

Le 26 août 1944, après avoir rendu hommage aux troupes du général Leclerc installées en face de l’Arc de Triomphe, le général de Gaulle commença à pied, entouré de ses hommes, le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées. Devant eux, au centre de l’avenue, le lieutenant Amado Granell ouvrait le défilé, à bord d’une grosse cylindrée – prise à un général allemand – qui arborait deux drapeaux, celui à la croix de Lorraine de la France libre, et le drapeau républicain espagnol.

 

Qui est le Lieutenant Amado Granell :

Né en 1898 à Burriana, petite ville de la province de Castellón et mobilisé au début de la guerre civile, il eut comme première affectation le bataillon Levante, à Valence. Nommé capitaine au début de novembre 1936, il fut affecté au bataillon « de Hierro » (« de Fer »), unité de choc qui deviendra plus tard le régiment motorisé de mitrailleuses. En décembre 1938, avec le grade de commandant, il reçut le commandement de la 49e brigade mixte, formée par quatre bataillons, et, peu après, il prit le commandement de la 49e division de l’armée populaire de la République, avec laquelle il participa à l’offensive réalisée dans le secteur de Fuenteovejuna.

Granell s’éloigna du front quand il apprit que la flotte républicaine venait de quitter Carthagène en direction de l’Afrique du Nord. Le 28 mars 1939, trois jours avant la fin de la guerre, il embarqua sur le Stanbrook, dernier navire à quitter le port d’Alicante, à destination d’Oran.

Amado Granell passa par un camp de concentration français avant d’entrer dans les Corps Francs d’Afrique, en décembre 1942, après le débarquement allié. Invité à intégrer une unité américaine, Granell préféra les corps francs commandés par le général de Monsabert. Avec eux, il se battit, durant la guerre de Tunisie, contre les troupes de Rommel, et y gagna ses galons de lieutenant. C’est là qu’il connut plusieurs des futurs compagnons de la Nueve et, surtout, le commandant Putz ; ils intégrèrent ensemble la 2e division blindée du général Leclerc.

Nommé adjoint du capitaine Dronne, Granell fut indiscutablement un des meilleurs officiers de la Nueve et de la 2e division, comme l’attestent les nombreuses médailles et citations obtenues, et parmi elles la Croix de guerre avec palmes et la Légion d’honneur. Le décret qui lui accorde cette nomination explicite clairement quelques-unes de ses qualités :

« (…) D’un courage proche de la témérité, toujours en tête de ses hommes, avec un mépris total du danger. Il s’est illustré tout au long de la campagne, depuis le débarquement jusqu’à Strasbourg, d’Écouché à Paris, Andelot, Remoncourt, Châtel-sur-Moselle, Vaxancourt, Vacqueville, s’est imposé à l’ennemi, obtenant victoire sur victoire ».

En novembre 1944, malade et abattu par la disparition de la majorité de ses hommes et compagnons et extrêmement déçu devant les arguties politiques qui écartaient de la bataille le général Leclerc et ses troupes pour réinstaller l’ancien ordre militaire français, il décida de cesser le combat et accepta d’être hospitalisé. Avant de s’en aller, il voulut arriver jusqu’au Rhin, où il se lava le visage et les mains. Il voulut finir sa guerre de cette manière. Le jour où Granell abandonna la compagnie, le 28 novembre 1944, Dronne écrivit dans son journal : « Avec Granell s’en va une partie de l’âme de la Nueve. »

Croix de guerre avec palme et cinq citations, officier de la Légion d’honneur, Amado Granell, retourne vivre en Espagne dans la clandestinité. Il est mort dans un accident de voiture en 1972. Il est enterré dans le cimetière de Sueca, dans la province de Valence. La pierre tombale, où figurent les lettres LH (Légion d’honneur) et une feuille de palme, a été offerte par le gouvernement de la République française.