SAMEDI 26 SEPTEMBRE 2015 – COLLOQUE ET DÉBATS
Il est 14 h… Des personnes arrivent régulièrement depuis plus d’une heure, effectuant une première visite de la salle et prenant au passage dépliants, journaux et communiqués mis à disposition : • Le 4 pages « Présentation » de l’association ; • Le 4 pages « Déportation » qui met l’accent sur les actes de solidarité entre déportés ; • Le « Programme été-automne 2015 », illustré de superbes photos ; • Le dépliant Colloque et concert de ces journées et du concert du 23/11 prochain… Sur la table suivante, on trouve : • Des livres, disques et DVD, • L’article sur « Les photographies de Mauthausen, aspects nouveaux d’une affaire célèbre » de David Wingeatre Pike, • Les exemplaires de plusieurs numéros du journal Le Proscrit, publication de la Fédération Nationale des Victimes et Resapés des Camps Nazis du Travail Forcé, ainsi que la brochure spéciale 70e anniversaire : « Un livre noir sur une période noire ». • La présentation du livre de M. Estivil, Les blancs il faut les manger crus, édit L’Harmattan … Sur les murs, les portraits des combattants antifascistes de la Nueve : les quatorze tableaux de Juan Chica Ventura sont là et trois nouveaux portraits sont venus rejoindre les autres : ceux de José Cortès et des frères Solé Miguel et Pedro, dont nos recherches ont permis de retrouver les fils et fille. Nous tenons à remercier chacun-e d’avoir mis à disposition ces publications et tableaux qui retracent des épisodes oubliés de la Seconde Guerre mondiale. 14 h 15, l’assistance se dirige vers la salle de cinéma où va avoir lieu le colloque…
« Faire attention à l’histoire que l’imposture se charge d’écrire », Chateaubriand, in Mémoires d’outre-tombe
Il était avec nous l’an passé…
La journée est dédiée à José Rocabert, père de Jean-Pierre, directeur de l’Espace « La Clef », qui nous accueille. José, qui était parmi nous en 2014, avec une mémoire très vivace et de la gourmandise plein les yeux, vient de nous tirer sa dernière révérence, doucement, sans faire de bruit… Jean-Pierre évoque son papa : « José, en 1940, était un très jeune homme pétri de justice et d’idéal, qui venait de subir une guerre terrible et se trouvait avec sa famille, démuni, dans un exil inhospitalier. Ses yeux s’écarquillaient d’incompréhension, lui qui aimait tant la vie et les humains. Pourtant, il a su réagir et s’engager pour sa liberté et la nôtre. Il a rejoint les maquis… À Angoulême, José et sa famille échappent à la déportation. Au début de l’année 1943, José, charbonnier dans la forêt de La Braconne, rencontre des jeunes, cachés dans des fermes, dans des cabanes, dans les bois. Ils avaient fui leur « réquisition » pour le Service du Travail Obligatoire (S.T.O). En mai 1944, il rejoint le groupe « Rico », participe à la libération d’Angoulême, puis, avec ce même groupe, il part sur la ligne de front de la poche de La Rochelle. Il terminera la guerre, affecté au 108 R.I… »
Daniel Pinos, membre du bureau de notre association, « ouvre » alors le colloque :
« Le peuple espagnol a entamé sa résistance armée face au fascisme international le 19 juillet 1936, alors que le monde entier s’imaginait en être encore aux négociations et aux arrangements avec les dictatures. Après 32 mois de résistance, vaincus sur leur terre, par le manque d’armement et de soutien et par la coalition des fascismes allemands, italien et portugais, venus s’entraîner sur la terre espagnole, les républicains espagnols s’exilent en France. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, malgré leur ressentiment pour les autorités françaises, ils s’engagent contre le fascisme, pour la liberté et associent leurs noms à ceux des libérateurs à Narvik, à Bir-Hakeim, dans le Vercors, sur le plateau des Glières, en Sicile, à Monte-Casino, en Normandie, à Écouché, à Paris, à Strasbourg, jusqu’au nid d’Aigle d’Hitler, à Berchtesgaden, et dans beaucoup d’autres lieux où fut versé tant de sang et où tant de vies furent fauchées. Tout au long de ce conflit, de septembre 1939 à mai 1945, beaucoup d’entre eux tomberont entre les mains des nazis. Quel sort est réservé à ces hommes et ces femmes arrêtés par la Wehrmacht, le gouvernement de Vichy, la SS ou la Gestapo ? Certains sont déportés dans des camps de concentration nazis, pour y être exterminés par le travail, d’autres sont requis, déportés, eux aussi, comme travailleurs forcés au profit du IIIe Reich. Nous vous proposons d’en savoir davantage sur les diverses formes qu’a revêtu l’emprisonnement des antifascistes espagnols durant la seconde Guerre mondiale, en participant à ces débats. » Frank Mintz, membre du bureau de notre association, nous invite à découvrir chaque thème du colloque :
• Les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) et les groupements de travailleurs étrangers (GTE).
Ces travailleurs, pas seulement mais majoritairement espagnols, étaient utilisés, entre autres, pour la défense et le renforcement de fortifications existantes, telle la ligne Maginot. Cet échelonnement de forts souterrains, nids de mitrailleuses et de nombreuses lignes de fils de fer barbelés suivait avec une densité irrégulière, la frontière française, principalement franco-allemande. Elle existait en partie le long de la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et l’Italie. Marie Rafaneau-Boj, DEA d’histoire contemporaine, écrivaine. (Cf. texte en annexe) Témoignage sur le camp de Laon, rapporté par Serge Utgé-Royo, dont le père s’évada de ce camp.
• Les antifascistes espagnols au camp d’Aurigny (organisation Todt).
L’île anglo-normande d’Aurigny occupée par l’Allemagne nazie a servi d’implantation à quatre camps de concentration qui ont regroupé jusqu’à 5 000 prisonniers soumis à des conditions difficiles. Ils construisaient des blockhaus dans le prolongement du Mur de l’Atlantique. Les premiers internés venaient principalement des pays de l’Est ; il y avait aussi des républicains espagnols et de nombreuses autres nationalités, puis, à partir de 1943, des déportés raciaux et des déportés politiques de France. David Wingeate Pike, professeur émérite de l’université américaine de Paris, directeur de recherches à l’American Graduate School. (Cf. texte en annexe)
• Le STO (Service du Travail Obligatoire) et les Espagnols, dans les territoires du Reich.
En février 1943, le gouvernement Laval du régime du maréchal Pétain, instaure le STO pour les hommes des classes 1940, 1941, 1942. Si de fortes oppositions se manifestent, il y eut en France, entre 1943 et 1945, plus de 650 000 Français et étrangers, dont près de 40 000 antifascistes espagnols réquisitionnés sur le territoire français et livrés à l’Allemagne ou dirigés sur les chantiers de fortification de l’organisation Todt, le long des côtes françaises. Jean Chaize, président de la Fédération nationale des victimes et rescapés des camps nazis et du travail forcé, directeur de la publication Le Proscrit. Ramón Pino, fils d’un envoyé au STO, évadé.
• Le camp de Mauthausen, la résistance des Espagnols au camp, le devoir collectif de survivre.
Les Espagnols arrêtés par l’armée allemande au titre de P.G. (prisonniers de guerre) sont mis comme les soldats français dans les Frontstalags (camps de prisonniers installés sur les fronts de guerre). Mais pour les Espagnols, Hitler, vu le refus de Franco de les « récupérer », donne l’ordre de les regrouper et de les déporter dans le camp de concentration de Mauthausen, situé à proximité d’une localité autrichienne du même nom, à 170 km de Vienne. Ce camp existe depuis 1938, mais à partir de décembre 1941, il devient un des éléments-clé du système d’extermination nazi. Benito Bermejo, historien spécialiste de la déportation des Espagnols, venu de Madrid. Ensuite, trois enfants de déportés à Mauthausen : Jean Estivill, professeur d’histoire ; Jean-Marie Ginesta, professeur d’université à Orléans ; Véronique Salou-Olivares, Présidente de l’association « 24 août 44 », auteure de plusieurs ouvrages et d’une expo sur le parcours combattant, la captivité et l’exil des républicains espagnols… Deux autres intervenants devaient nous rejoindre : Ramiro Santisteban, ancien déporté du commando Poschacher, avait prévu d’être là pour témoigner : sa santé ne lui a pas permis d’assister à notre colloque ; nous lui souhaitons un prompt rétablissement. Jean-Marie Winkler, universitaire, auteur de Château d’Hartheim ou l’antichambre de la solution finale. Souffrant, il n’a pas pu nous expliquer le prélude de la solution finale, initiée au Château d’Hartheim, et nous parler des victimes, entres autres des antifascistes espagnols venus du camp central de Mauthausen. Le colloque s’est achevé vers 18 h 45, avec un débat animé, reprenant l’ensemble des points traités. Puis, autour d’un verre amical, ont pu s’échanger impressions, félicitations, adresses et contacts, et s’ébaucher des projets communs autour de ces questions de mémoire… DIMANCHE 27 SEPTEMBRE 2015
PROJECTIONS EN PRÉSENCE DES RÉALISATEURS ET DÉBATS
Pour commencer, un rappel…
Le 27 septembre 1975 : date terrible où le dictateur moribond brandit encore la mort au bout de son bras sans force.
40 ans déjà que de jeunes hommes en pleine force de l’âge, des hommes amoureux de la vie et de la justice meurent sous les balles du dictateur. Nous ouvrons la journée sur un moment de recueillement pour ces compagnons de route, fauchés par la mitraille du franquisme. Daniel Pinos égrène les noms et l’âge de ces condamnés : 18 septembre 1975, la Cour de justice militaire de Madrid condamne à la peine de mort trois membres du FRAP (Frente revolucionario antifascista y patriota) et deux membres d’ETA. Un sixième détenu, José Fronfria, est condamné à vingt ans d’emprisonnement. Le 27 septembre 1975, l’ordre d’exécution est signé par Franco, moribond. À cause des protestations internationales, les condamnés sont fusillés et non garrottés, le jour-même. Les 3 militants du FRAP sont fusillés à Hoyo de Manzanares, Madrid : José Luís Sánchez Bravo, 22 ans, Ramón García Sanz, 27 ans, José Humberto Baena Alonso, 24ans. Les deux militants d’ETA : Juan Paredes Manot « Txiki », détenu à la prison Modelo de Barcelone, est fusillé au cimetière de Collserolla, dans les environ de la ville. Né en Extremadura, élevé en la gipuzkoana, localité de Zarautz, il a 21 ans ; Ángel Otaegi, 33 ans, natif de Nuarbe, Gipuzkoa, est fusillé à la prison de Burgos. S’ensuit une minute de silence. Les deux documentaires que nous avons choisi de présenter sont projetés successivement, en présence des réalisateurs. Ils racontent une histoire inconnue et nous laissent dans la tête la musique des voix de nos vieux compagnons, qui ont cru si fort à leur idéal de liberté que leurs mots résonneront encore longtemps, dans nos cœurs. À nous de transmettre l’écho de ces voix, souvent oubliées.
• Camp d’Argelès – Documentaire-fiction de Felip Solé (55’)
En février 1939, la Catalogne espagnole est occupée par les troupes fascistes ; 465 000 réfugiés traversent la frontière, c’est la Retirada. Les autorités françaises font bâtir à la hâte un camp sur la plage d’Argelès-sur-Mer. À partir des témoignages de personnes qui ont vécu cet enfer et en recréant les situations que ne montrent pas les images d’archives, ce documentaire-fiction relate la vie quotidienne des réfugiés jusqu’à leur départ pour d’autres camps en septembre 1941, à la fermeture du camp d’Argelès, et relate la grande révolte des femmes du camp. C’est le premier et unique film consacré à ce lieu et à cette histoire. Félip Solé a réalisé de très nombreux documentaires. Né en 1948 à Lleida, en Catalogne espagnole, de parents instituteurs, il fait ses études aux Salésiens et à L’École Industrielle de Barcelone. En 1974, il s’installe en France, où il est refugié politique, et commence à travailler dans l’audiovisuel. À partir de 1978, il réalise plusieurs documentaires en free-lance, écrit des articles dans la presse spécialisée et donne des cours de réalisation en France et en Espagne. Travaille beaucoup avec la télévision catalane, TV Tres.
• Je te donne ma Parole – Documentaire de Quino Gonzalez (52’)
Les républicains espagnols réfugiés en France nous donnent leur parole, dans le double sens de l’expression, d’un côté la transmission orale, de l’autre, le témoignage de vérité de leurs parcours : le combat pour la liberté contre le fascisme pendant la guerre d’Espagne, leur passage par les camps d’internement en France, leur participation active à la libération de la France, la lutte pour survivre dans les camps d’extermination allemands et la reconstruction de leur vie dans un exil sans retour de plus de 40 ans. Ils nous offrent l’opportunité de prendre la mesure de la force de l’idéal qui guida leurs pas jusqu’à nous et qui leur donne une vitalité exemplaire, le goût de la vie et de la dérision. C’est peut-être la dernière occasion d’entendre leur voix, de recueillir leur récit et de saisir cette parole donnée. Leur mémoire est mêlée à la poésie de Machado, Lorca ou Hernández et confrontée au dictionnaire de la langue française !… Quino Gonzalez est né en 1962 à Madrid. Après des études de réalisation cinématographique à Madrid, il travaille comme technicien dans la publicité, puis dans le département production, comme stagiaire, puis régisseur général, et enfin, premier assistant réalisateur. En 2004, installé définitivement à Paris, il se frotte à l’histoire de l’exil du peuple espagnol et s’aperçoit qu’une grande partie de l’histoire de son pays se trouve de ce coté des Pyrénées. Il décide de réaliser « Je te donne ma parole », son premier film documentaire. Après ces moments d’émotions, de sourires et de larmes, ces instants de partage, tout le monde se retrouve autour d’un sympathique buffet. Encore une fois, les conversations vont bon train dans la gaité et la bonne humeur, imprégnées de cette saveur d’amour de la vie que nous ont laissé les voix mutines de ceux que nous venons d’entendre. L’après-midi reprend avec la projection d’un témoignage : Henri Mélich, Itinéraire d’un militant libertaire espagnol, filmé par François Boutonnet, il y a quelques semaines, tout près de Perpignan, parce que « le voyage lui (faisait) un peu peur… » Henri y raconte son parcours, son arrivée en France, dans les camps de la Retirada, à 13 ans, sa volonté de prendre très rapidement part aux combats pour la Résistance, les combats contre la dictature, la librairie de Perpignan, plastiquée… Toute une vie de luttes pour la liberté… Un livre vient de paraître écrit par Henri et son petit-fils Romain, qui relate cet itinéraire « A chacun son exil, Itinéraire d’un militant libertaire espagnol… », éditions Acratie, 2014… François Boutonnet : né en 1951 à Perpignan, en 1983 il fonde l’Association Cinémaginaire, sorte de service public de proximité dans les Pyrénées Orientales, autour de l’image en mouvement. En 2006, il ouvre la coopérative de production cinéma Kalimago Films. Il réalise Urbi et Orbi, essai un roman philosophique à la première personne du singulier (2007), Il nous faut regarder (2009) Libres itinéraires de Jordi et José, de l’Espagne libertaire à l’exil et Dans la peau de l’ours, documentaire de création (2012). Depuis une dizaine d’années, il développe une recherche avec l’Université de Toulouse Le Mirail (ESAV) autour des rapports qu’entretiennent les Arts de la Mémoire et les Images en Mouvement. Et publie sa thèse de doctorat sous le titre de Mnémosyne aux éditions Disvoir en 2013. Ensuite, place au débat avec les deux réalisateurs. Chacun(e) veut savoir pourquoi, comment ces films ont germé dans leur tête, pourquoi tel a choisi la forme de la fiction ; on évoque le récit de la souffrance particulière des femmes détenues, violées qui resteront muettes très longtemps, tant il est vrai que l’horreur est indicible… La journée s’achève sur une note gaie avec le documentaire de 20’, réalisé par un autre compagnon de route, Carlos Belmonte, à partir des événements organisés par notre association pour le 70e anniversaire de la Libération de Paris, en août 2014 : colloque à la Bourse du travail, « Paroles de la Nueve » témoignages de combattants de la Nueve, mis en espace par Armand Gatti, avec Jean-Marc Luneau, à la Parole errante, et la belle marche du 24 août 2014, symbolisant l’an dernier, l’entrée des combattants de la Nueve dans Paris… Comme il est impossible de se quitter ainsi, l’association offre à tous les présents en guise de remerciements un nouveau « pot » convivial pour continuer à converser, échanger avec son voisin… Et on se donne aussitôt rendez-vous le lundi 23 Novembre 2015 au Vingtième théâtre pour le concert du Trio Utgé-Royo, « No pasarán ! » En ces temps de marées noires et bleues, et à l’aube du 80e anniversaire du début de la guerre d’Espagne, Serge Utgé-Royo reprend les chansons sociales et traditionnelles de sa mémoire espagnole, et y mêle les mots et les notes de sa propre histoire, gamin flamenco de la Révolution espagnole exilée… Léo Nissim, Jean My Truong et Jack Thysen, rejoignant le Trio pour l’occasion, accompagnent Serge aux piano, percussions et basses, dans ce répertoire d’espoir, d’amour et de révolte… Le concert sera précédé de lectures de textes de combattant(e)s antifascistes espagnol(e)s, mis en espace par Armand Gatti, avec le metteur en scène Jean-Marc Luneau. 20 h – Vingtième théâtre – 7, rue des Plâtrières – Paris 20e – Métro Gambetta ou Ménilmontant – Réservations : 06 12 25 52 85 Nos remerciements vont à toutes celles et ceux, grâce auxquels ces journées furent réussies, à celles et ceux qui sont venus les partager avec nous et nos pensées vont à celles et ceux qui n’ont pas pu nous rejoindre, pour diverses raisons, et se promettent qu’on ne les y reprendra pas et qu’ils seront présents la prochaine fois !
José Rocabert, Jeune guerillero
Jean Chaize Président de la Fédération nationale des victimes et rescapés des camps nazis et du travail forcé, directeur de la publication Le Proscrit.
La salle attentive
Portrait de Jesus Pino
Passaeport ORG TODT
Rapport de police Aurigny
Documents joints