Skip to main content

Auteur/autrice : 24 aout 1944

Les mémoires de Mika ou le récit sensible d’une vie de milicienne

« On aura tout vu. C’est une femme qui commande la compagnie et les miliciens qui lavent les chaussettes. Pour une révolution, c’est une révolution ! »
( Ernesto, dans « Ma guerre d’Espagne à moi ».)
mika-hippo.jpg
( Mika et Hippolyte Etchebéhère )

Dans « Ma guerre d’Espagne à moi »[[Éditions Denoël, Paris, 1975- Éditions Milena, 2014.

lire également : « La Capitana » d’Elsa OSORIO, Bibliothèque Hispano-Américaine. Editions Métailié 2014]], on est loin de ces récits héroïques où les heures de gloires et les coups de force coulent de pages en pages…

Mika y parle simplement de ses engagements politiques, initiés en Argentine, de sa participation au front de Sigüenza avec le POUM[[12 Juillet 1936, six jours avant le coup d’État franquiste, Mika est à Madrid. Fin 1936, après la militarisation des milices, elle rejoint la 38è Brigade. Sa compagnie décimée dans de violents combats, elle intègre, avec le grade de capitaine, la XIVè division de l’Armée populaire espagnole, dirigée par Cipriano Mera de la CNT.]] ou de ses combats ultérieurs. Avec humanité, elle évoque son amour complice pour Hippolyte, ses considérations sur l’art ou la sexualité au front [[Lire également : « Mémoires d’une femme dans la tourmente de la révolution espagnole : l’exemple de Mika Etchebéhère »- Mémoire de Master de Vanessa Auroy, Université Angers, 2013.]]. Et puis, elle raconte ses liens d’amitié avec Cipriano Mera, l’un de ses mentors, qui interviendra lorsqu’elle sera incarcérée par la Gépéou…

Hippolyte Etchebéhère

Sa rencontre avec cet homme sera, pour Micaela Feldman, celle d’une vie. Elle l’épousera, deviendra Mika Etchebéhère et lui succèdera, à sa mort, sur le front espagnol en août 1936, en tant que capitaine d’une colonne poumiste. Son souvenir la suivra durant toutes les batailles qu’elle livrera en sa mémoire et pour la lutte révolutionnaire. À de nombreuses reprises, elle évoque son mari décédé quand elle ne se sent pas bien, quand elle est déprimée, apeurée ou tout simplement seule

Après la chute de la cathédrale de Sigüenza qui fut la bataille la plus importante et qui lui permit d’obtenir ses galons de capitaine, elle part récupérer des forces chez des amis à Paris. Elle explique alors que ne pas se souvenir ou du moins essayer de ne pas se souvenir de son mari est un rempart contre le laisser-aller :

Après cela j’ai dressé un barrage aux souvenirs. Pour pouvoir vivre. Alors je suis vidée. Je n’ai que les pensées utiles à la guerre, les autres me sont défendues. Je ne dois pas lire car j’ai tout lu avec lui, ni regarder le ciel, ni aimer la montagne, ni me pencher sur une fleur, car tout cela appartient à notre vie à deux, à ce séjour où il me disait : « Il faut que nous ménagions notre amour. Nous achèterons moins de livres pour que tu puisses avoir une jolie robe. Tu te souviens de celle que j’avais dessinée pour toi lorsque nous nous sommes connus ? Maintenant tu n’as qu’une vieille jupe et ce manteau de garçon que Marguerite t’a donné.

La politique avale toute notre vie, il ne faut pas qu’elle nous dévore.

Rencontre sur le front avec Mera

Quand elle rencontre Cipriano Mera sur le front, elle se rappelle ses premiers engagements vers l’anarchisme et le groupe féministe « Louise Michel » auquel elle adhère dès l’âge de 14 ans…

Il incarne pour moi l’anarchisme intransigeant et austère qui m’a conduite à la lutte révolutionnaire sitôt sortie de l’enfance.

Et lui, de faire le lien avec sa façon de penser, ce qu’elle ne nie pas:

Mera : Avoue que tu aimes causer un brin avec tes anciens frères anarchistes. Toi, le communisme t’est resté à la surface, à l’intérieur tu restes anarchiste.

Mika Tu as peut-être raison…En tout cas, ce qui peut me rester de l’anarchisme, c’est mon incapacité à respecter les hiérarchies imposées et ma foi dans le cercle de l’égalité.

Quand l’un de ses miliciens, Clavelín qui n’avait que quinze ans, est mortellement blessé lors des combats sur la colline de l’Aguila, elle se met à pleurer. Mera lui adresse alors une phrase acerbe :

Allons, petite, cesse de pleurer : vaillante comme tu es, tu pleures ! Bien sûr, tu es femme après tout.

Avec fierté, elle s’oppose à son mentor et lui répond avec un certain mépris :

La phrase me cingle comme un fouet furieux qui me fait serrer les poings et me brûle au visage. Je lève la tête, tâchant de me calmer, cherchant une réponse écrasante, mais je parviens seulement à dire : « C’est vrai, femme après tout, et toi, avec tout ton anarchisme, homme après tout, pourri de préjugés comme n’importe quel mâle.

Des églises brûlées, des curés arrêtés

Grâce à son environnement familial, elle a acquis un goût pour les arts et leur conservation. Elle s’insurge quand elle voit les églises brûlées par anticléricalisme :

Vous savez, camarades, il y a de vrais trésors ici. Chaque morceau de bois peint vaut une fortune. C’est très vieux et jamais plus on ne refera rien de pareil. Quand la guerre sera finie, votre chapelle sera déclarée monument national et l’on viendra de partout la voir, même de l’étranger.

Et en face de trois curés arrêtés par les miliciens, assis sur un banc devant la gare, elle s’apitoie :

Sans le milicien armé qui les surveille on pourrait croire qu’ils attendent le train pour partir. Aucun ne prie. Ils ont l’air si lamentable que je rage de sentir ma vieille ennemie, la pitié, et la honte d’avoir toujours pitié, me prendre à la gorge.

Femmes et sexualité au front

Si elle ne consacre pas de chapitre aux femmes en général, elle les évoque au gré des circonstances et du quotidien au front.

Les premières qu’elle cite sont ces « quelques femmes, certaines d’allure bizarre » qui se trouvent dans les locaux du POUM aux premiers jours de la guerre. Très vite, elle apprend « que ce sont des filles d’une maison close voisine qui viennent s’enrôler dans la milice. »

Une certaine gêne et un dégoût s’affiche alors face à ces prostituées.

Elles me ramènent loin en arrière, à un morne soir de Paris, dans le quartier de la Chapelle, rue de la Charbonnerie : je portais un ciré noir, ma lassitude d’une harassante journée de courses, et une valise pleine de Que faire ?, la revue de notre groupe qu’il fallait distribuer dans les kiosques. Une terreur enfantine me saisit, et lorsqu’une grosse brune marcha sur moi avec des gestes obscènes, je me mis à courir comme une folle, poursuivie très longtemps par les éclats de rire de ces femmes que dans nos discours anarchistes, alors que j’avais dix-huit ans, nous appelions « nos soeurs les putains ».
Devant ces sœurs qui aujourd’hui viennent à nous, je ne me sens pas l’âme fraternelle. Rancune, peut- être même jalousie parce que nos camarades les couvent du regard
.

D’autres sont également une source de rejet : celles qui cherchent, à tout prix, à devenir les fiancées des miliciens ou les maîtresses des chefs afin d’obtenir, par procuration, un certain prestige, de l’ascension sociale ou qui essaient simplement de sauver leur vie en profitant de leur féminité.

Mais il y a « l’Abysinienne » :

D’où venait cette Abisinia que j’avais trouvée parmi nous au retour de l’hôpital ? Elle avait la peau d’un brun presque noir, des yeux de jais et la tête couronnée de nattes aussi noires que ses yeux, d’où son surnom d' »Abysinienne », et elle avait seize ans – qui en paraissaient vingt. Grande, la poitrine haute, son bleu de milicienne n’arrivait pas à effacer sa taille de maja ni à dissimuler sa démarche balancée de fille des bas quartiers de Madrid. Elle chantait toute la journée Ay Mari-Cruz, Mari-Cruz, maravilla de mujer…, on la voyait se promener, esquisser un pas de danse, aborder un milicien, un autre avec toujours la même exigence : « Montre-moi comment ça se démonte, un fusil. Je sais le charger, mais pas le démonter, et un jour moi aussi j’en aurai un..

Et aussi « Manolita la Fea » (la moche):

Oui, Mocheté. Je suis de la colonne Pasionaria, mais je préfère rester avec vous. Jamais ils n’ont voulu donner de fusils aux filles. On était bonnes pour la vaisselle et la lessive. J’ai entendu dire que dans votre colonne les miliciennes avaient les mêmes droits que les hommes, qu’elles ne s’occupaient ni de lessive ni de vaisselle. Je ne suis pas venue au front pour crever, un torchon à la main. J’ai assez récuré de marmites pour la révolution !

Sa réflexion sur la sexualité des autres femmes évolue après avoir vu toutes les atrocités que peut provoquer une guerre. À Madrid, elle croise une femme dans les rues et entame une discussion avec elle :

« On n’a jamais fait autant l’amour ici, me dit une femme qui tient une grosse poule attachée par une patte à sa chaise. Cette poule, tiens, elle nous pond un oeuf chaque jour. Je la sors prendre l’air dès que les obus cessent de tomber. Les filles de Madrid vont aussi pondre des tas de gosses… A ce train-là, les pertes de la guerre seront vite comblées.

C’est toujours comme ça en temps de guerre, lui dis-je pour qu’elle n’ait pas honte de ses compatriotes. Les gens veulent vivre vite de peur de mourir… »

Incarcérée par la Guépéou

Après les journées de mai 1937 à Barcelone (la Contre révolution stalinienne) et la mise hors la loi du POUM, Mika est incarcérée par les staliniens et manque de connaître le même sort que nombre de ses camarades, éliminés par la Guépéou [[Créée en 1922, elle remplaça la Tcheka. Elle joua un rôle important dans la révolution entreprise par Staline à partir de 1929, envoyant dans les camps gérés par le Goulag les saboteurs, les koulaks, les membres du clergé ou de l’ancienne intelligentsia. Elle fut intégrée en 1934 au Commissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD). ]]. Elle échappe à l’exécution sommaire grâce à l’intervention de Mera, son ami et mentor[[Ironie du sort : quelques années plus tard, Mera sera à son tour victime d’autres commissaires politiques, mais cette fois-ci, de la CNT en exil… Lire http://www.autrefutur.net/Ma-plus-grande-victoire-a-ete-la]] .

– Comment Mera sauva Mika des griffes staliniennes –

À sa sortie de prison, elle rejoint le groupe féministe libertaire, Mujeres Libres, participe aux combats jusqu’en juin 1938, lorsque les femmes sont renvoyées vers l’arrière. À l’entrée des troupes franquistes dans Madrid, elle parvient à leur échapper et à passer en France.

Inlassable militante, après avoir participé aux événements de 1968, comme Mera, elle meurt à Paris en 1992.

 

Relire ainsi quelques souvenirs de Mika, comme ses échanges avec Mera, rajoute un goût amer à l’échec d’un (de leur) espoir partagé…

Source : www.autrefutur.net

mika-hippo.jpg

Rencontre avec les élèves de l’école alsacienne

Le 11 février dernier, des membres de l’association du 24 août ont rencontré des élèves de l’école alsacienne.

Cet échange s’est fait à l’issue d’un travail préparatoire visant à contextualiser l’itinéraire des soldats de la Nueve : de leur combat au sein des milices républicaines jusqu’à leur parcours d’humiliation et de souffrance dans les camps d’enfermement du sud de la France et de l’Afrique du nord.

Après le visionnage du documentaire d’Alberto Marquardt, la Nueve ou les oubliés de la victoire, les élèves de 1ère ont pu engager un débat avec les membres de l’association, petits-fils de républicains espagnols ou historiens de la période. Ce débat a permis aux élèves d’appréhender entre autre les conditions réelles d’enfermement des républicains dans les camps et la finalité de l’engagement de ces jeunes pour lesquels le combat contre l’Allemagne nazie serait suivi d’un combat contre l’Espagne franquiste.

alsace-01.jpg
alsace-02.jpg
alsace-03.jpg
alsace-04.jpg


Vidéos de la conférence et de la rencontre, sur le site de l’école :

  • http://ecole-alsacienne.org/spip/l-antifascisme-de-madrid-a-2808.html
  • http://www.ecole-alsacienne.org/spip/homenaje-a-los-republicanos.html
alsace-01.jpg
alsace-02.jpg
alsace-03.jpg
alsace-04.jpg

« Bandoleros »

La guerre d’Espagne ne finit pas en avril 1939

La guerre civile espagnole ne s’acheva pas le premier avril 1939. Vainqueurs et vaincus étaient au moins d’accord là-dessus. Seule une propagande idéologique intense qui s’appuyait sur tous les moyens d’expression, en tentant de masquer la réalité, pouvait imposer comme une évidence une paix sociale qui n’existait pas. Quand le régime franquiste placardait les rues d’affiches proclamant « vingt-cinq années de paix », cela ne faisait pourtant que quelques mois que le dernier des guérilleros ayant entamé la lutte contre le franquisme en 1936, venait de tomber. À partir de là, il est possible de dire que la guérilla, rurale ou urbaine, depuis 1939, n’a jamais cessé d’exister en Espagne.
La guérilla ne fut jamais nommée par les médias de l’époque. Les hommes qui l’animaient étaient traités de « bandoleros » [1] , d’assassins, de braqueurs et de bien d’autres qualificatifs masquant la réalité de leurs actions. Qualificatifs inventés par des journalistes faisant partie de l’engrenage franquiste. L’unique information diffusée alors était celle de la capture ou de la mort d’un guérillero, souvent dans des circonstances mystérieuses (tentative d’évasion, résistance, suicide lors de son arrestation, etc.).
L’histoire de la guérilla est difficile à reconstituer. La majorité de ses protagonistes sont morts. La plupart des hommes qui participèrent à la lutte armée libertaire furent éliminés physiquement, lors d’affrontements avec la police, ou furent exécutés. Ceux qui parvinrent à survivre échappent encore à la curiosité des historiens.
« Bandoleros », maquis, résistance, guérilleros, ces termes se confondent, ils sont représentatifs d’une partie de l’histoire des luttes radicales contre le pouvoir franquiste.

La guérilla urbaine et ses objectifs

Les actions menées par les groupes armés étaient d’une témérité sans limites. Les groupes savaient que le fait que toutes les organisations officielles aient abandonné la stratégie armée rendrait difficile leur enracinement dans le peuple, mais ils espéraient pouvoir démontrer à ces organisations leurs erreurs.
Leur activité de diffusion de textes anarcho-syndicalistes resta limitée à la Catalogne. La principale difficulté pour les groupes d’action fut la relation précaire établie avec les groupes de l’intérieur de la péninsule. Les groupes d’action continuaient la guerre civile. Pour eux, elle ne s’était jamais arrêtée. La majorité des opposants de l’intérieur, à partir de 1953, considérait que la lutte contre le franquisme devait se développer aux moyens d’une participation la plus ample possible de la population. À noter que ce fut à partir du moment où les Etats-Unis établirent des relations diplomatiques avec l’Espagne que ces positions se firent jour dans l’opposition antifranquiste.
Le principal ennemi de la lutte armée fut pourtant la Garde civile. Le nombre de gardes mobilisés pour en finir avec les guérilleros était impressionnant. S’infiltrant dans les milieux exilés, les gardes pouvaient informer du départ des groupes vers l’Espagne. La collaboration de la police française fut également très importante. Si, initialement, le gouvernement français laissa les groupes de guérilleros s’organiser sur le territoire français, sans aucun doute en raison de leur participation active à la résistance contre le nazisme, le début de la guerre froide transforma les relations diplomatiques entre la France et l’Espagne.
La collaboration entre les polices françaises et espagnoles se développa, l’information concernant le passage des groupes d’action par les Pyrénées était transmise par les policiers français à leurs homologues espagnols. La Garde civile, pour lutter plus efficacement contre les guérilleros, créa des corps anti-guérilla. Les corps de la Garde civile réalisèrent plusieurs actions qui discréditèrent la guérilla, cela créa dans la population un climat d’insécurité qui provoqua l’isolement des guérilleros anarchistes. Les zones de passage, les sorties de Barcelone furent de plus en plus surveillées, des patrouilles composées de nombreux hommes armés formèrent autour de Barcelone un cercle de répression qui ne permettait plus aux guérilleros de rejoindre leurs bases, de déplacer du matériel et de recevoir du renfort en hommes. Les guérilleros eurent également des ennemis importants en les personnes des volontaires, de la police nationale, des gardes municipaux, des phalangistes et leurs organisations.
Pourtant, la guérilla tint la plupart du temps les forces gouvernementales en échec. La précarité de leurs moyens qui les obligeait à pratiquer des expropriations, le fait de ne pouvoir compter sur une organisation qui s’opposait à leur stratégie, la CNT de l’exil, pour laquelle ils luttèrent bien avant 1936, les rendirent vulnérables. De nombreuses initiatives menées par les groupes d’action resteront probablement méconnues pour toujours, mais ce qui est clair c’est que le régime de terreur imposé par Franco avait un ennemi opposé directement à lui. Quand la nouvelle de la mort du Quico Sabaté, un des combattants libertaires les plus acharnés contre le fascisme, parvint à Barcelone, les gens ne voulurent pas admettre la réalité de cette disparition. « El Quico viendra bientôt démentir ces menteurs », commentaient les travailleurs catalans, pensant à un montage de la police. Il est certain que quand Sabaté et Facerias, un autre grand lutteur, entrèrent dans la mythologie populaire cela prouva que, d’une certaine manière, ils étaient représentatifs de l’opposition d’un grand nombre d’Espagnols à un pouvoir qui voulait soumettre l’ensemble du peuple espagnol. Le « bandolero, » a toujours été mythifié en Espagne, parce qu’il incarne la lutte du faible et de l’opprimé contre le pouvoir établi. Il est défini par l’imagination populaire comme le voleur de riches et le défenseur des pauvres. Ce fut le cas de Sabaté, celui de Facerias et de leurs compagnons. Ils furent la personnification du « bandolero noble » qui lutte jusqu’à la mort pour la liberté et contre ceux qui s’opposent à elle.

 

Notes

[1Bandits de grands chemins, mais compte tenu que ce terme a dans l’imaginaire populaire un sens de défenseurs des pauvres contre les riches, en voulant discréditer et insulter leurs ennemis, les autorités franquistes et la presse qui les soutient les anoblissent,

 

Coupure de la presse française (Elle) sur Sabaté
Coupure de la presse française (Elle) sur Sabaté

Pour quitter l’enfer des camps, les internés…

Pour quitter l’enfer des camps, les internés ont quatre options :
– le rapatriement, la préférée des autorités françaises,
– la re-émigration vers un autre pays,
– l’engagement militaire d’abord la légion puis, avec l’approche de la guerre, dans d’autres types d’engagement qui leur seront proposés,
– l’embauche à partir d’avril, pour être employé soit par des particuliers, soit en qualité de prestataires.

Le rapatriement

Le 15 février 1939, les retours spontanés ne dépassant guère 50 000, la pression s’accentue dans les camps et les centres d’hébergement. Pour faire du chiffre, les moyens les plus abjects sont utilisés. Si les rapatriements forcés sont proscrits, certains n’hésitent pas à recourir à la duperie, en omettant de préciser par exemple vers quelle partie de l’Espagne s’effectue le retour, ou en exerçant un chantage odieux, en particulier sur les civils, dans le cadre d’un rapprochement familial, pour lequel la condition première est soit de signer un engagement formel de regagner l’Espagne, soit de faire croire que le reste de la famille est déjà rentré.
Si, au début de l’été, prés de la moitié des réfugiés (250 000) sont retournés en Espagne en raison des pressions exercées et de la frontière plus largement ouverte, ces effectifs restent bien en deçà de ceux escomptés par la présidence du conseil qui veut réduire à 50 ou 60 000 hommes maximum et une infime minorité de femmes et d’enfants, la possibilité de rester sur le territoire.
À cela, plusieurs raisons, les informations qui, malgré la surveillance, traversent les barbelés, et qui contredisent les déclarations mille fois répétées sur la clémence du Caudillo. Les internés ont ainsi eu connaissance de la loi du 9 février 1939 dite de «responsabilités politiques» promulguée par Franco qui permet de poursuivre ceux qui depuis octobre 1934 ont participé à la vie politique républicaine ou qui, depuis février 1936, se sont «opposés au mouvement national (…) par des actes concrets ou une passivité grave».
Mais l’information filtre aussi par des moyens détournés. Le premier d’entre eux, est l’information implicite fournie par la presse autorisée dans les camps qui signale que des rapatriés tentent de repasser la frontière.
Plus tard, ce sont les messages codés, envoyés par les proches demeurés en Espagne, qui apportent des précisions malgré la censure exercée.
Ainsi, lorsqu’en juillet 1939, Franco, après la restitution de l’or déposé à la banque de France à Mont-de-Marsan, se déclare prêt à recevoir 50 000 miliciens à raison de 2500 par jour, cette proposition demeure sans effet. Ceux qui pensaient ne rien redouter, sont déjà rentrés.
Les pressions (interrogatoire individuel pour convaincre ou donner un « motif valable »), comme les menaces (expulsion en cas de refus du travail proposé) demeurent sans effet, d‘autant qu’à la même date, des tracts alertant les réfugiés sur les risques encourus lors d’un retour en Espagne, notamment sur les pelotons d’exécution, les camps de concentration et les tortures, circulent dans les camps.
Par ailleurs, l’approche de la guerre, modifie la volonté du gouvernement qui ne souhaite à présent que le départ massif des seuls réfugiés «non susceptibles d’apporter à l’économie française le concours d’un travail utile», vis-à-vis desquels une pression constante pour obtenir leur retour massif doit être maintenue. Les récalcitrants doivent être conduits, les hommes au Barcarés où l’autorité militaire décidera de leur sort, et les femmes à Rieucros.
Dès le mois de décembre 1939, des pressions sont exercées sur les femmes pour quitter les centres d’hébergement ou regagner l’Espagne. Toutefois, compte tenu de la pénurie de main d’œuvre, le temps n’est plus au rapatriement mais à la mise au travail. En mai 1940, toute personne âgée de 14 à 70 ans, excepté ceux dangereux pour l’ordre public, jugée apte à un travail manuel doit être autorisée à demeurer en France.

L’évacuation vers un autre pays

La France sert aussi de lieu de transit vers d’autres destinations. Cette nouvelle émigration qui touche moins de 20 000 personnes, dont plus de 15 000 en Amérique latine, va concerner en priorité les réfugiés du secteur tertiaire et les militants d’organisations politiques, en particulier ceux d’obédience communiste, en raison de leurs liens avec les responsables du SERE comme avec les représentants et du Mexique, Lázaro Cardenas (document : Programa Cardenas), Narciso Bassols et du Chili Pablo Neruda, qui exerça une sélection drastique.
Pour organiser ces évacuations et sélectionner les candidats au départ, deux organismes sont tour à tour créés. Le SERE (servicio de evacuación de los republicanos españoles), qui, en mars 1939, devient le Servicio de emigración, et La JARE (junta de auxilio a los republicanos españoles), créée en juillet 1939 pour contre balancer les actions du SERE, qui restera seule après le pacte germano-soviètique et la dissolution du SERE accusé d’être contrôlé par les communistes.
Peu de pays offrent l’asile et le plus souvent avec parcimonie.
L’URSS, en accepte moins d’un millier (si l’on excepte les enfants et les militaires qui se trouvaient sur place au moment de la chute de la république), pratiquement que des communistes particulièrement sélectionnés. La Grande Bretagne, comme les Etats Unis et la plupart des pays d’Amérique latine, impose également des quotas très stricts. Seul le Mexique de Lazaro Cardenas, dès février 1939, offre une large hospitalité. Entre 1939 et 1940, ils seront ainsi environ 7 500 réfugiés dont une majorité d’intellectuels et d’employés du secteur tertiaire. Viennent enfin le Chili et la République dominicaine qui en acceptent respectivement environ 2300 et 3100 en 1939, et l’Argentine, le Venezuela, la Colombie et Cuba environ 2000.

La mise au travail. Une main-d’œuvre à bon marché

Si dans un premier temps, le gouvernement français ne souhaitait qu’un rapatriement rapide et massif des réfugiés, dés le printemps, il envisage leur utilisation dans l’économie du pays.
Après avoir lancé une étude au niveau du département pour recenser les gros travaux qui pourraient leur être confiés, sans concurrencer la main d’œuvre locale, et déterminer les modes d’organisation, le 12 avril 1939(lire texte décret 12 avril 1939), un décret-loi assujettis, dès le temps de paix, les étrangers âgés de 20 à 48 ans, considérés réfugiés ou sans nationalité, à des prestations d’une durée égale à celle du service imposé aux Français. Des décrets ultérieurs (27 mai 1939 et 13 janvier 1940) fixent les conditions de ces prestations : les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) ou unités de prestataires étrangers, composées de 250 hommes chacune, placées sous commandement d’un capitaine français à qui est adjoint un capitaine espagnol pour transmettre les ordres, sont créées.
Le ministère du travail, aidé du général Ménard, est chargé de répertorier et de classer les hommes valides, celui de l’intérieur, par l’intermédiaire des services de police, de procéder à l’identification des indésirables.
À la même date, le ministère de Travail propose aux directeurs des offices départementaux de recruter la main d’œuvre pour les exploitations agricoles dans les camps plutôt qu’à l’étranger comme traditionnellement.
Cette possibilité, fort prisée de nombreux propriétaires du Midi qui viennent recruter directement dans les camps, va occasionner une nouvelle épreuve pour les internés. Vers 10h, le camp se transforme en véritable «marché aux esclaves». À l’image d’une foire au bétail, ceux qui sont jugés aptes au travail, sont exposés sur la place centrale du camp où les futurs patrons viennent les sélectionner.
Au cours de l’été 1939, l’application du décret du 12 avril 1939 est généralisé à tous les hommes valides encore internés, excepté ceux jugés «indésirables». Ceux non encore enrôlés doivent être requis pour les travaux agricoles, en qualité de prestataires et non de travailleurs libres. En octobre, il est précisé qu’à défaut, ils seront «refoulés, sous escorte, à la frontière espagnole». Ces nouveaux prestataires sont placés sous la surveillance des services locaux de police ou de gendarmerie.
L’enrôlement des prestataires initialement basé sur le volontariat devient obligatoire. Dès le 4 septembre (lire la politique d’Édouard Daladier et Albert Sarraut), les CTE sont réorganisées. Augmentées de 40 nouvelles compagnies formées de prestataires non volontaires, le nombre de CTE s’élève à 180 à la fin de l’année.
En février 1940, Albert Sarraut se déclare satisfait de l’efficacité de l’application du décret sur l’astreinte aux prestations, reste celui des civils toujours en suspens. L’incorporation dans les CTE qui devait permettre aux familles de se regrouper ne règle rien en raison tant des conditions de logement que des indemnités perçues qui ne permettent pas d’assurer la subsistance de la famille comme la loi les y oblige.
Les femmes dont les maris sont internés doivent trouver un emploi. Les mères doivent s’organiser pour la garde de leurs enfants ou les envoyer dans des colonies organisées par la commission internationale d’aide aux enfants réfugiés. Celles qui refusent, sont mises en demeure de regagner l’Espagne.

L’engagement

L’ultime moyen de quitter les camps est celui de tout temps qui consiste à s’engager dans la légion étrangère. Le chantage exercé à la frontière se poursuit dans les camps. Le 8 février 1939, A. Sarraut demande que, par voie d’affiches ou par entretiens individuels ou collectifs, il soit proposé à ces «étrangers dépourvus de situation stable en France» de s’engager dans la légion étrangère. Peu enclin à rejoindre cette arme, les réfugiés vont être plus favorables aux autres types d’engagement proposés à l’approche de la guerre.
En effet, pour les ex-miliciens ni recrutés pour travailler à l’extérieur des camps, ni incorporés dans les CTE, la seule voie pour sortir des camps va être l’engagement dans la légion pour une durée de 5 ans ou les régiments de marche des volontaires étrangers (RMVE) pour la durée de la guerre.
En général, la deuxième possibilité a leur préférence. Au total, 6000 à 7000 contracteront un engagement.
Progressivement les camps vont ainsi se vider. Les effectifs de 173 000 à la mi-juin 1939, seraient de 35 000 fin décembre. Les camps algériens n’en renfermeraient qu’un millier à peine.

Illustration : dessin de Josep Bartoli

Les camps d’Afrique du Nord

Lorsqu’en mars 1939, les derniers évacués de la zone sud-est de l’Espagne, qui ont cherché refuge en Afrique du Nord, atteignent les côtes du Maghreb, la situation qu’ils rencontrent rappelle celle vécue, au début de l’année, par les exilés de la Retirada. L’improvisation est toujours là, mais, plus que partout ailleurs, l’ambiance générale leur est encore plus défavorable, car si, comme en métropole, la population, en particulier, celle d’origine espagnole, reste très divisée, les autorités ne cachent pas leur haine des « rouges ».

Créés pour y interner les combattants des derniers évacués de la zone sud-est de l’Espagne, de l’ordre de 10 à 12 000 réfugiés, composés essentiellement de militants et de cadres de l’administration, qui ont pu s’embarquer avant l’arrivée des troupes Italiennes et franquistes, les camps d’Afrique du Nord sont d’autant plus improvisés et dépourvus d’installations, que les autorités ont été rétives à leur ouverture.

L’arrivée de ces quelques milliers de « rouges » est loin d’être appréciée. Leur séjour est d’autant plus redouté que, dans leur grande majorité, ils sont très politisés. Toutefois, l’accueil va être variable en fonction du lieu où les bateaux accostent.
En Tunisie et au Maroc (limité en raison de la proximité du territoire sous contrôle franquiste), les exilés vont généralement bénéficier d’une plus grande liberté que ceux arrivés en Algérie, en particulier, dans l’Oranie où la prédominance d’une colonie d’origine espagnole, fait craindre à la fois une « hispanisation » de la région et l’émergence de conflits entre pro républicains et pro nationalistes. Ainsi à Oran, où la municipalité va fêter la victoire nationaliste, les autorités vont tout faire pour éviter leur débarquement et, faute de mieux, les évacuer au plus vite vers d’autres régions.

Après des mises en quarantaine variables, les civils sont provisoirement abrités dans des centres d’accueil improvisés (ancienne prison civile d’Oran, anciens docks et marabouts installés sur le port, à Ravin blanc, réservés aux hommes) ou évacués vers des centres d’hébergement plus éloignés.
Excepté Ben Chicao, la plupart de ces centres sont situés dans la région d’Orléansville. Les plus importants : Carnot plutôt réservé aux regroupements familiaux dont les conditions sont légèrement meilleures, et Beni Hindel (Molière) destinés aux femmes et aux enfants. L’improvisation constatée quelques mois plus tôt en métropole est également à l’ordre du jour. En revanche, l’absence de réquisitions de locaux pour des hébergements collectifs, obligent les autorités à recourir aux installations militaires, d’où l’importance de réfugiés placés dans des camps sous contrôle militaire par rapport aux centres d’hébergement sous administration civile.[[Ces centres seront fermés dès le 1er mai 1940 après incorporation des hommes internés dans les CTE.]]

En règle générale, les conditions de vie et d’hygiène sont déplorables. Compte tenu de la fréquence des situations d’insalubrité régulièrement dénoncées, les réfugiés sont déplacés de centres en centres dans des conditions également difficiles et pour un résultat nul car ces mouvements ne résolvent rien.
Toutefois, ces conditions aussi pénibles soient-elles, n’ont rien de comparables avec celles des camps d’internement.

Parmi ces camps, [[Sur les camps en Afrique du Nord, voir :
– Anne Charaudeau, L’exil républicain espagnol : les camps de réfugiés politiques en Afrique du Nord, in Italiens et Espagnols en France 1938-1946, colloque international, Paris, CNRS, 28-29 novembre 1991, sous la direction de Pierre Milza et Denis Peschanski.
– Andrée Bachoud, Bernard Sicot (coord.), Sables d’exil : Les républicains espagnols dans les camps d’internement au Maghreb 1939-1945, ouvrage collectif in Exils et migrations ibériques au XXe siècle n° 3 nouvelle série (BDIC/CERMI/CRIIA), Perpignan, éd. Mare Nostrum, 2009.]], Cherchell où sont dirigés en priorité les intellectuels et les francs-maçons, et à l’écart des villes, ceux réservés aux miliciens : Relizane (ancienne caserne dans la région de Mostaganem) et au sud d’Alger (Blida) le camp Morand près de Boghari qui abrite quelques 3 000 internés au début de l’été 1939 et le camp Suzzoni à Boghar. Dans ces deux derniers camps, souvent regroupés sous le même nom de « camp de Boghar », les conditions de vie sont plus dures que partout ailleurs en raison notamment d’une surpopulation, et d’un régime d’austérité aggravé par les conditions climatiques.

En mai 1939, un rapport du CICIAER (Comité International de Coordination et d’Information pour l’Aide à l’Espagne Républicaine) mentionne : « ils manquent de tout… Avec la chaleur, cela nous permet d’affirmer que pas un homme ne pourra résister dans ces conditions. Ils sont voués au désespoir, à la maladie et à la mort ».[[Rapport du docteur Weissman-Netter in Deux missions internationales visitent les camps de réfugiés espagnols (mai 1939), Paris, CICIAER, 1939.]]

Avec l’entrée en guerre, ces camps vont progressivement se militariser, les quelques civils internés à Boghar vont être dirigés vers Cherchell, et ceux de Relizane vers l’ancienne prison d’Oran. À Boghar, les miliciens maintenus sur place sont bientôt rejoints par les suspects de subversion, en particulier les communistes après le pacte germano-soviétique. Pour mieux les contrôler des mesures spécifiques sont prises touchant à la fois à la militarisation des camps et dès l’été 1939 à l’organisation des premières compagnies de travailleurs.

Les Compagnie de travailleurs étrangers (CTE) en Afrique du Nord

En avril 1940, ils sont environ 2 500 dans les CTE pour toute l’Afrique du Nord. En Algérie, ils sont surtout utilisés pour la réfection des routes, l’extraction du charbon dans les mines de Kenadza et la construction du « transsaharien » (voie ferrée qui devait relier l’Afrique du nord [Colomb-Béchar] à l’Afrique occidentale [Niger-Mali]). Perdu en plein désert, ce chantier, commencé lors de la Première Guerre mondiale qui a cessé en 1918 avec le rapatriement des prisonniers allemands, peut être repris grâce à l’utilisation de ces nouveaux esclaves. Les conditions, déjà terribles, ne vont cesser de s’aggraver. Logés dans des marabouts, ces travailleurs forcés vont faire rapidement connaissance avec les calamités naturelles de la région : les variations thermiques, le sirocco, ce vent chaud chargé de sable qui peut devenir une véritable torture, les habitants du désert parmi lesquels les scorpions, les serpents, les araignées… et la soif épanchée dans le meilleur des cas par une eau fétide et chaude ! C’est là que commencent les dysenteries, les crises de paludisme, les diarrhées… Cayetano Zaplana se souvient de ces cris, déchirant la nuit, des malades qui vont aux tinettes, où ils se font dévorer par les mouches. [[Cayetano Zaplana, Recuerdos de ayer, témoignage recueilli le 15 septembre 1988 par le CIRA (Centre international de recherche sur l’anarchisme), de Marseille. Voir bulletin du CIRA n° 29-30, février 1989, Pépita Carpena, Daniel Dupuy, Antonio Téllez, Les Anarchistes espagnols dans la tourmente, 1939-1945.]]

Même les punitions surpassent celles de la métropole. Ici, le cuadrilátero consiste en un espace au-dessus duquel on tend une toile à environ trente centimètres du sol. Dans cette fournaise, le puni peut être maintenu plusieurs jours ! Et toujours la faim et la soif ! Et pas la moindre lueur d’espoir de fuir cet enfer, car celui qui parvient à éviter les fléaux naturels du désert ne peut se soustraire à la vigilance des horribles goumiers à la solde de l’armée française, qui, plus rapides que l’éclair, pourchassent les évadés et les livrent contre une misérable récompense.

Pourtant, le pire reste à venir. Sous le gouvernement de Vichy, les CTE sont transformées en GTE (groupement de travailleurs étrangers), véritables bagnes conçus dans une logique d’exclusion. Commence alors une nouvelle génération de camps où les conditions sont cette fois criminelles. Les Espagnols ne sont plus les seules victimes. Leurs rangs vont se grossir des punis des camps de métropole, des opposants et des victimes du régime de Vichy. Les fascistes notoires, tant civils que militaires, qui, le 29 mars 1939, saluaient la victoire franquiste, vont pouvoir assouvir leur haine des « rouges », sans aucune retenue.

Toute l’Afrique du Nord a abrité des camps. Il y en a eu en Tunisie : El Guettar, Gafsa ; au Maroc : Bou-Arfa, Ain-el-Ourak, Settat, Tandrara (plutôt réservé aux internés juifs), Méridja (chantiers des mines de charbon de Djerada et du transsaharien qui prend le nom de « Méditerranée-Niger ») à la frontière Algéro-Tunisienne, mais les principaux et les plus nombreux étaient en Algérie. Outre ceux de la première période, citons les plus tristement connus : Oued-Akrouch, Berrouhaghia, Colomb-Béchar, Djelfa ; les terribles prisons de Maison carrée à Alger et surtout du fort Caffarelli, et les camps disciplinaires dont celui d’Hadjerat M’Guil, dans le Sud algérien, où sont envoyés les détenus qui se rebellent. À la fin de la guerre, les responsables de ce dernier camp seront jugés et exécutés comme tortionnaires, ayant pratiqué des méthodes dignes d’un camp nazi.

La pièce La Nueve nous fait combattre aux cotés de cette unité.

Le 19 novembre, des élèves de 1ère ES du Microlycée de Vitry sur Seine, assistaient au spectacle sur la Nueve au 20e théâtre.

Témoignage d’un élève.

LA NUEVE

Lorsque l’on m’a demandé d’écrire une critique sur la pièce de théâtre La Nueve, je dois admettre que je n’ai pas su quoi dire ni surtout écrire. Je pense que le message traduit par cette pièce est tellement puissant et transmis avec une telle force par les descendants de ses anciens combattants qu’il est difficile de donner son avis. C’est peut-être la peur de déformer les choses ou encore le fait que tout est à voir et rien n’est à dire. Ce que je sais c’est que j’ai eu l’occasion de voir des pièces de théâtre qui dénonçaient des vérités difficiles à entendre ou à faire comprendre. Mais je n’ai assisté qu’à une seule pièce de théâtre qui ne dénonce pas ni raconte ses vérités difficiles, mais qui les fait vivre. Et cette pièce c’était La Nueve.

Je ne vais pas m’attarder à décrire la mise en scène et le jeu des acteurs, qui est de mon avis surprenant et irréprochable, non. Néanmoins, je prends quand même le temps de souligner l’impacte d’une telle pièce. C’est plus qu’un message. C’est un moment bloqué dans le temps ou l’on revit le passé de ces gars qui ont tous vécu des horreurs mais qui ont choisi de continuer à se battre. Certes pour la vengeance, il faut dire, mais aussi pour la justice, qui n’a pas été présente pour eux et qui se devait d’être défendue par eux pour les autres, leurs familles, leurs amis, leurs copains, mais aussi pour nous. C’est comme un paradoxe temporal ou l’on vit et combat avec ses hommes, ou l’on souffre, on danse, on rit, on chante ! La pièce La Nueve ne nous montre pas le combat de cette unité mais nous fait combattre aux cotés de cette unité. C’est un moment si fort, que le message n’est pas transmis, mais vécu.

Pour conclure, La Nueve est une pièce qu’il faut voir, non dans un contexte historique, ou d’obligation, mais il y est des choses de la vie qui nous font réfléchir et changer, et La Nueve en fait partie. Si La Nueve a été par le passé un vent de vérité, de colère et de justice, aujourd’hui ce n’est qu’un souffle, mais qui porte toujours sa devise et qui traversera toujours le temps afin de nous l’inculquer, mais aussi de la transmettre aux générations futures.

Felix Gapin
1ère ES, Microlycée de Vitry sur Seine


La Nueve

Cuando me pidieron que escribiera una crítica sobre la representación teatral La Nueve, tengo que admitir que no sabía qué decir ni, sobre todo, escribir. Pienso que el mensaje de esta obra es transmitido de una manera tan intensa y fuerte por los descendientes de estos antiguos combatientes, que es difícil dar una opinión. Quizás sea el miedo a deformar las cosas, o también el hecho de que todo está en el espectáculo y no hay nada que decir. Lo que sí sé, es que tuve la ocasión de ver otras obras de teatro que denunciaban verdades difíciles de entender o de hacer comprender. Pero sólo asistí a una obra de teatro que no denuncia, ni cuenta hechos reales difíciles sino que los hace revivir. Y esta obra es La Nueve.

No voy a detenerme en la puesta en escena, ni en los actores, excelentes e irreprochables en mi opinión, no. Sin embargo, tomaré el tiempo de subrayar el impacto de una obra de teatro como ésta. Es mucho más que un mensaje. Es un momento detenido en el tiempo en el que revivimos el pasado de estos hombres que han vivido, todos, situaciones horribles, pero que han elegido continuar luchando. Cierto, por venganza, todo hay que decirlo, pero también por justicia, que no ha estado presente en sus vidas, pero que deberán defender por los otros, sus familias, sus amigos, sus compañeros y también por nosotrtps. Es como un paradoja temporal en la que vivimos y combatimos con estos hombres, en la que sufrimos, bailamos, reímos, cantamos ! La Nueve no nos muestra los combates de esta célebre Compañía. Es un momento tan fuerte, que el mensaje no se transmite, sino que se vive.

Para concluír, La NUeve es un espectáculo que hay que ver, no en un contexto histórico ni por obligación. Pero hay cosas en la vida que nos hacen reflexionar y evolucionar. Y La Nueva, hace parte de ellas. Si La NUeve ha sido en el pasado un viento de verdad, de cólera y de justicia, hoy es sólo una brisa, pero sigue llevando consigo su divisa y atravesará el tiempo para inculcárnosla pero también para transmitirla a las generaciones futuras.

Soutenir l’association

L’initiative de l’association autour des commémorations du 24 Aout 2014 a été positive (Voir 106).

Poursuivre notre travail de mémoire historique.

Notre feuille de route est ainsi définie : la mémoire historique est un outil pour rappeler le dévouement, les sacrifices acceptés et menés jusqu’à la limite des forces individuelles d’hommes et de femmes qui ont œuvré pour la liberté. Cet outil, que la mémoire historique antifasciste espagnole représente, est aussi un levier pour mieux interpréter le présent dans notre pays et dans le contexte qui l’englobe.
L’association et ses membres s’y engagent, indépendamment de toutes structures ou organes.

2015 et les années suivantes

Nous œuvrons pour présenter et animer une grande série d’événements, de manifestations, de rencontres, de débats, de projections ou d’expos pour l’année 2015 et les suivantes…

Soutenir l’association

Vous pouvez nous aider dans nos initiatives, nos actions et nos activités en nous contactant et en nous envoyant vos dons (à « prix libre« ).

  1. Téléchargez le bulletin ci-dessous
  2. Libellez vos dons à l’ordre de « 24 août 1944 »
  3. Envoyez à l’adresse suivante :
    Association 24 août 1944, 22 rue Mélingue – 75019 Paris

– Mail de contact : 24aout1944@gmail.com


Bulletin de soutien – Association 24 août 1944


speca-03.jpg cola-02.jpg porta-02.jpg gattia-02.jpg marca-01.jpg


Bulletin de soutien – Association 24 août 1944

speca-03.jpg
cola-02.jpg
porta-02.jpg
gattia-02.jpg
marca-01.jpg

Documents joints

 

Les Espagnols de Leclerc dans la résistance

Eduardo Pons Prades,

Spécialiste reconnu sur le sujet de la résistance des républicains espagnols en France, car il a lutté dans ses rangs et il a publié plusieurs œuvres sur ses péripéties, évoque dans cette série, exclusive pour HISTORIA 16, l’exode espagnol vers la frontière française à la fin de la guerre civile, le traitement reçu par les réfugiés espagnols, le commencement de la Seconde Guerre mondiale, le rôle des Espagnols durant l’invasion allemande de la France , le début des guérillas…
Dans ce cinquième chapitre –avec, comme toujours, la technique du témoignage direct des protagonistes– il nous présente l’organisation des guérillas, l’encadrement espagnol dans les unités régulières de l’armée française renaissante, la participation espagnole à la libération de la France et le début des opérations des “maquisards” en Espagne.

Chaque homme est une péripétie.

Témoignage d’Emilio Álvarez Canosa « Pinocchio »:
« Je me suis retrouvé dans les mines d’or de Salsigne [[c’est une ancienne mine d’or, fermée en 2004, qui se situe sur les communes de Salsigne et de Villanière à 15 km au nord de Carcassonne dans l’Aude]] et je venais du camp de Bram [[un des innombrables camps de concentration où furent parqués les réfugiés espagnols qui fuyaient les armées franquistes, les brigadistes puis les familles juives, ouvert en février 1939]]. Étant en “mission” à Marseille j’ai été arrêté à la gare Saint-Charles, et après les interrogatoires de rigueur, à Marseille et à Montpellier, on m’a transféré au camp disciplinaire de Vernet-les-Bains [[il doit vouloir parler du camp disciplinaire du Vernet d’Ariège]]. Je m’en suis évadé avec deux autres compagnons socialistes et nous sommes allés travailler dans le bassin minier de Provence. Uniquement pour avoir des papiers, naturellement. Pour échapper à une dénonciation, j’ai filé à Bordeaux, en passant la ligne de Démarcation ; que j’ai repassée quelques semaines plus tard, début 1943, pour rejoindre les guérillas de la Dordogne, où j’ai formé mon propre détachement, qui s’était spécialisé dans les sabotages des trains et des voies ferrées. Au commencement de l’année 1944, on m’a nommé chef de la Dordogne-Nord, poste que j’ai assumé jusqu’à peu avant la libération de cette zone (août-septembre 1944). C’est-à-dire jusqu’à ce que nous ayons réorganisé notre unité en vue de son transfert dans les Pyrénées, pour participer à l’Opération Reconquête de l’Espagne. »

Dans le désert et en Normandie

Même si on nous a oubliés intentionnellement, la guerre en France est remplie d’aventures espagnoles. Federico Moreno Buenaventura était dans les unités de Leclerc en Afrique et, ensuite, en Normandie : « Après cette fabuleuse aventure du désert, la colonne Leclerc a été envoyée au repos au Maroc. C’est là, avec la formation de la 2 DB de la France libre, que la représentation espagnole prit une envergure impressionnante. Nos compatriotes venaient de toutes parts: des camps de concentration du Sahara —où le maréchal Pétain les avait enfermés—, de la Légion étrangère ou des Corps Francs, d’où ils désertaient en masse. On les appelait des « transferts spontanés», et de nombreux autres qui s’étaient à moitié cachés à Alger, Oran, Tunis et Casablanca. Une telle affluence se justifiait ainsi: des rumeurs avaient circulé que le débarquement en Europe allait se faire à partir des côtes espagnoles. Si on n’avait pas fermé les bureaux de recrutement, on aurait pu former, rien qu’avec des Espagnols, les deux divisions blindées de la France libre. Bien que nous ayons reçu rapidement du matériel nord américain et anglais, nous avons attendu plus longtemps qu’on le pensait pour abandonner les campements africains, et nous avons embarqué vers l’Angleterre à partir d’avril 1944. Deux mois plus tard, le 6 juin, les Alliés débarquaient en Normandie. Et nous, incompréhensiblement, nous continuions dans des campements au centre de l’Angleterre. C’était dû à plusieurs “croc-en-jambe “que le général Leclerc avait fait à ses alliés lors de la campagne de Tunisie et qu’il allait refaire en France et en Allemagne, car lui tout comme De Gaulle considéraient qu’il devait être très clair –et c’est pour cette raison que les unités de la France libre devaient être à l’avant-garde– que les territoires sous mandat français ou anciennes colonies, allaient être libérés par des unités françaises, qui devaient aussi être les premières à entrer dans les villes importantes
Enfin, dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944, les hommes de Leclerc ont mis le pied, à leur tour, sur les plages normandes. C’est alors que la fierté nationale française resurgit à nouveau, avec une autre obsession: celle d’arriver les premiers à Paris. Mais, pour cela, nous allions devoir combattre au pas de charge, presque « à la chaîne », en laissant de côté bien souvent les normes les plus élémentaires de la guerre classique: comme celle de ne pas trop négliger les flancs de ses propres forces. Mais ce qui est certain c’est que avec la façon dont Leclerc –qui était indiscutablement un génie– imagina d’avancer, personne n’était capable d’indiquer où étaient nos flancs. Vu avec du recul, c’était une absurdité militaire et je peux t’assurer que personne ne s’est autant réjoui de la marche sur Paris (par la route Normandie –Paris) que les Espagnols. Et en particulier ceux de la Neuvième compagnie [la Nueve], qui, sauf son chef: le capitaine Dronne, était composée exclusivement d’Espagnols. Il fallait voir les groupes de véhicules blindés, presque tous baptisés de noms espagnols –Don Quichotte, Madrid, Teruel, Ebro, Jarama, Guernica, Guadalajara, Brunete, Belchite et celui des trois mousquetaires Portos, Aramis et d’Artagnan– [[Véhicules, il n’y avait ni Jarama, ni Belchite, ni Portos, Aramis et d’Artagnan mais: Les Cosaques , Mort aux cons (jeep du capitaine Dronne) Rescousse, Résistance, Libération, Nous Voilà, Tunisie, Espana Cani, Amiral Buiza, Santander, Les pingouins, les chars entrés dans Paris étaient Le Romilly, le Champaubert, le Montmirail,…]] fonçant sur les routes, escaladant des talus, passant sur des canaux et franchissant des gués. Ce que j’ai dit, de la pure bêtise ! Et, alors que les Nord-américains et les Anglais étaient en train de discuter avec De Gaulle, Leclerc a ordonné à Dronne: « Vous savez ce que vous avez à faire: tout droit à Paris, sans vous soucier de rien d’autre!». Et Dronne nous a convoqués nous les chefs de section –Montoya, Granell, Campos et Moreno– et il nous a dit ce qu’il fallait faire, coûte que coûte.
Parcourir les deux cents kilomètres qui nous séparaient de Paris n’a été une tâche facile pour personne. En opérant en franc-tireurs, nous renoncions à la couverture aérienne made in USA, et au soutien de nos chars lourds. Personnellement, j’ai dû affronter, avec mes trois blindés, des canons allemands de 88, qui nous barraient la route. Nous avons eu de la chance, c’est vrai. C’est ainsi que le 24 août 1944 –un jeudi– vers neuf heures du soir, nous sommes entrés sur la place de l’Hôtel de Ville de Paris. Le « Don Quichotte», qui était le blindé de commandement de ma section, a été le premier à se garer là [[en fait le premier Half-track à entrer dans Paris et à parvenir à l’Hôtel de ville est le Guadalajara]]. Et durant l’heure qui suivit, les engins blindés restants conduits par des Espagnols sont arrivés, avec des noms castillans sur les flancs et le front de leurs véhicules. C’est pour cette raison que ce qui survenu, vingt cinq ans plus tard, nous a fait si mal. En août 1969, dans un reportage commémoratif de la Libération de Paris, retransmis par la télévision française, une émission qui a duré presque deux heures et à laquelle même la veuve du maréchal Leclerc participait …hé bien, pas une seule fois, durant toute l’émission on a entendu nommer le mot espagnol…»

Chaîne d’évasions

Les réfugiés espagnols ont également collaboré à l’évasion d’autres personnes persécutées. L’un d’eux est M. H. P., « el Murciano », qui raconte: « Mon activité clandestine a débuté dans le Midi de la France et s’est spécialisée presque exclusivement à organiser des groupes de gens et à les transférer en Espagne, clandestinement et par voie maritime, pour le compte de la fameuse chaîne d’évasion alliée « Pat O’Leary ». Il est bien connu que ses derniers maillons –tant par les terres, depuis Toulouse, que par mer, depuis Sète– ont été organisés et mis en place par des guides républicains espagnols. Leur plus haut responsable –nous les libertaires nous avons du mal à utiliser le terme de chef– était un instituteur titulaire de la province de Huesca, Asturien de naissance, appelé Paco Ponzán Vidal. Auparavant, et en raison de mon emploi comme mécanicien à bord d’un bateau grec qui battait pavillon panaméen, j’avais participé à l’organisation de la fuite d’un groupe important de diamantaires d’Amsterdam, tous Juifs, à l’automne 1940. Nous les avons conduit jusqu’à Lisbonne, après une escale ratée à Casablanca. Je me demande encore comment nous nous sommes débrouillés pour partir de Hollande, traverser la Belgique et ensuite la zone nord de la France, occupée militairement par les Allemands, franchir la Ligne de Démarcation, traverser toute la zone dite libre et nous présenter au port de Sète comme si de rien n’était. Avec les Juifs et leurs voitures, leurs épouses respectives et des bagages énormes. Ah, et des cartables qu’ils ne lâchaient pas même pas pour dormir! C’est-à-dire que pour ce qui de la persécution des Juifs, on voit que les Allemands n’étaient pas très dégourdis, selon les occasions…
À Sète les embarquements ont dû être interrompus, au printemps 1943, à cause de l’arrestation d’un jeune couple belge, qui parla trop… Je suis alors allé à Marseille et à Nice, où j’ai organisé quelques expéditions. Ensuite, sous la pression de nos protecteurs français, qui me considéraient comme « brûlé », on m’a expédié à Vienne, capitale de l’Autriche, où je suis resté un an. Nous dirons un jour qu’elle y a été notre activité. En mai 1944, j’étais à nouveau en France: à Paris. Nous, les Espagnols, nous avons participé activement –aussi bien ceux de la Division Leclerc que les civils– à la libération de la capitale de la France. Et dans les semaines qui ont suivi, après plusieurs échanges d’impressions entre libertaires de la Division Leclerc (Campos et Bullosa) et ceux du Comité régional de Paris, nous nous sommes engagés clandestinement dans la 2 DB, dans le seul but de récupérer de l’armement léger abandonné par les Allemands sur les champs de bataille et de l’envoyer à Paris, afin d’armer nos compagnons pour aller lutter en Espagne. Mais ce qu’a été cette aventure dans la Division Leclerc, l’ami Blesa va te le raconter.»

« Je n’ai jamais su comment diable le Canarien Campos a dégotté ce véhicule blindé qu’il nous a livré, dit Joaquín Blesa. Nous l’avons baptisé « le kangourou». Nous l’utilisions –avec l’uniforme réglementaire et armés– Manolo Ros, Mariño, Rosalench, García et votre serviteur. Notre tâche consistait à coller aux blindés de la section que commandait Campos et dont l’adjudant –Bullosa– était catalan. Quand la section se déployait, nous commencions alors le ramassage de matériel. Nous avions des grands sacs en toile de bâche et nous y mettions les pistolets, les mitraillettes, les grenades, les fusils mitrailleurs et même des mitrailleuses… Nous les attachions bien fort et les mettions au fond de la caisse du blindé. Et, pour éviter des surprises, nous dormions toujours dans le véhicule blindé, sur les sacs. Et le chef de la compagnie des Munitions –Antonio B. Clarasó, natif de Reus– nous avertissait du passage des camions, qui allaient vers l’arrière-garde chercher du matériel.
Comme beaucoup de conducteurs de véhicules étaient aussi espagnols, l’expédition des sacs vers Paris s’est toujours effectuée dans de bonnes conditions. Parfois, nous cachions les grands sacs dans des maisons à moitié démolies, au bord de la route et nos compagnons –il y en avait toujours deux dans le camion de la récupération– les prenaient au passage. Ce « va et vient » a duré environ huit semaines. Jusqu’à ce que Bullosa meurt dans un combat, auquel nous avons évidemment dû participer avec « Le kangourou ». Campos a considéré qu’il était très dangereux de continuer dans ces conditions, c’est la raison pour laquelle il nous donna des permissions –indéfinies– pour aller à Paris. Et il tira deux salves sur « Le kangourou» avec le canon de son blindé –« El Ebro »–, en lui donnant aussi une permission pour maladie.»

Dans le refuge d’Hitler, récit de Martín Bernal « Garcés »

Il y eu même des Espagnols parmi les premiers à atteindre la maison d’été d’Hitler. Martín Bernal « Garcés » raconte: « Je suis passé en France en août 39, après m’être échappé de la prison de Porta-Celi (Valence) [[a priori, il y a une prison Porta Coeli, mais dans le cas présent ce doit plutôt être l’hôpital Portaceli transformé en camp de concentration en 1939]] en compagnie de plusieurs “pays” aragonais. Au bout de huit semaines de marche de nuit et de sommeil de jour nous sommes arrivés en France. Là, j’ai été obligé de m’enrôler dans la Légion étrangère, quand les gendarmes français me conduisaient déjà à la frontière –au Sénégal– et ensuite j’ai participé à la campagne de Tunisie, où j’ai été blessé le 9 mai 1943. J’ai été un de ceux qui ont appliqué le « transfert spontané », en rejoignant les Espagnols de la Division Leclerc. Avec Federico Moreno, nous étions sous-chefs de section d’abord et de section plus tard. J’ai été encore blessé en Alsace. En avril 1945, nous avons traversé le Rhin et l’invasion de l’Allemagne a commencé. Ma section a été une de celles qui ont participé à la dernière plaisanterie de Leclerc, en nous séparant d’abord du gros de la colonne, en prenant ensuite un « itinéraire très libre » fixé par lui, pour arriver presque les premiers à Berchtesgaden, la résidence d’été du Führer Adolphe Hitler. Et je dis presque parce que, avec la section de Moreno, nous sommes tombés sur des canons allemands de 88 dans le défilé d’Inzell, très près de notre objectif final. Et tant que nous ne les avons pas détruits, nous n’avons pas pu reprendre notre marche. Ainsi, en entrant dans cette ville tyrolienne, on voyait déjà dans les rues des blindés de la 2 D B, qui étaient passés par en haut ou … au milieu, c’était un peu pareil à la marche sur Paris. On ne pouvait pas ignorer que Leclerc était de l’arme de la Cavalerie!
Non, je n’ai pas été parmi les premiers à monter au Nid d’aigle d’Hitler. La section qui a accompagné le capitaine Touyéres, debout dans sa jeep, comme un chevalier du Moyen âge dressé sur sa monture, a été la 1ère, celle que Moreno commandait. Nous, –la 2ème– nous sommes montés derrière eux, en service de protection. Mais j’ai été, pour sûr, un des premiers Espagnol à entrer dans le Berghof d’Hitler. Et j’ai ressenti, je l’avoue, un grand soulagement. C’était comme si, subitement, nous nous étions lavés de tous les affronts que nous, les républicains espagnols, avions subis depuis 1936 ».

« Face à l’Espagne »

Avec la libération de la France (août-septembre 1944) la réorganisation des forces espagnoles de guérilla –environ onze mille hommes armés– s’opère avec leur concentration dans les départements proches de la frontière franco-espagnole. La réapparition publique des principales organisations politiques espagnoles de l’exil –républicaines, socialistes et libertaires– et la diffusion de leurs consignes, instructions, et dans certains cas d’ultimatums, provoque le fractionnement de l’initiative communiste « Face à l’Espagne ». Et lorsque ce qu’on appelle l’invasion du Val d’Aran se produit à l’automne 1944, les détachements de guérilleros qui y participent, en comptant un gros millier de jeunes récemment enrôlés, n’atteint pas les cinq mille hommes.
Avec les communistes, qui forment le gros des expéditions de guérilla à travers les Pyrénées, on a, cependant, la collaboration de socialistes partisans de Negrín et d’Álvarez del Vayo, ainsi que celle d’un groupe de libertaires, connus sous le nom de « Groupement cénétiste de l’Union nationale ». Quelques mois plus tard, avec la fin de la Seconde Guerre mondiale (mai 1945), les exilés républicains espagnols sont confrontés à une série d’options qui allaient du retour en Espagne (« Les exilés pourront réintégrer leurs foyers, sans subir aucune sorte d’ennui », pouvait-on lire, à travers les notes officielles, dans la presse franquiste), à l’émigration vers des pays d’Amérique latine, en passant par l’installation dans des pays européens, et tout particulièrement en France. Encore que, dans ce dernier l’aménagement continue à être provisoire, puisque ce qu’on appelle l’offensive diplomatique contre le régime franquiste a été mis en marche, dans le cadre des Nations Unies. Et, aussi bien le gouvernement en exil que préside le républicain José Giral, que l’immense majorité des partis et des organisations de gauche espagnols, attendent l’écroulement du régime instauré par les vainqueurs de la guerre civile, au printemps 1939. Entre temps, et certains depuis le début du conflit –été 1936–, des milliers d’Espagnols et d’Espagnoles, encadrés dans des groupes de guérilleros, ou faisant partie de leurs forces auxiliaires, se battent sur le sol de l’Espagne –en Galice, aux Asturies, en Estrémadure, dans La Mancha, en Andalousie et en Aragon, en particulier–, sans que l’exil ne leur prête l’aide la plus minime.

Une folie

Malgré tout, les comportements étaient assez forts pour écarter tout renoncement. M. P. S « Chispita » déclare: « Non, l’enthousiasme n’a pas trop décliné parmi les expéditionnaires, lorsque les principales forces de l’exil ont désavoué l’invasion de guérilla dans les Pyrénées. N’oublie pas que nous venions de libérer la France. Bon, je veux dire que nous avions été les principaux libérateurs du Midi de la France. Et nous pensions que rien n’allait nous résister. Mais, dans le fond, il ne manquait pas ceux –et j’en faisais partie– qui craignaient qu’avec l’apparition des communistes comme force centrale de l’invasion, les possibilités de triomphe allait diminuer. C’est la vérité. Mais on a continué “ de l’avant”, car nous ne voyions pas d’autre chemin et dans bien des cas par solidarité envers nos compagnons d’armes des années difficiles (1941-1944). Rien qu’en pénétrant sur le territoire espagnol, nous nous sommes rendu compte que la “ tâche libératrice ” n’allait pas être aussi simple que beaucoup se l’imaginaient. Possiblement, si nous avions eu connaissance de l’existence de tant de groupes de guérilleros locaux, nous ne nous serions pas tant occupés de la zone frontière.
Une fois “installé” dans le Maestrazgo [massif de l’Aragon], comme tant d’autres de mes compagnons, je me suis vu obligé de faire le bilan de l’invasion du Val d’Aran et j’ai reconnu que cela avait été une folie. Le bon sens aurait été d’organiser, par palier, l’infiltration de petits groupes, et la prise de contact avec les guérillas locales, puis de passer aussitôt à la création de guérillas urbaines. Et comme je l’ai su par la suite, les anciens groupes auraient beaucoup apprécié l’arrivée de techniciens instructeurs et aussi la mise en marche d’une certaine coordination et non pas la militarisation absolue qu’on prétendait imposer. En effet, l’ambiance de misère et d’exploitation de cette époque favorisait la création de noyaux de résistance et de combat. Il faut se rappeler les usuriers des villages, les gens faisant du marché noir et tout l’appareil que les “ forces vives”, les “ forces vivifiantes” avaient élaboré pour désespérer le peuple. Ce qu’on ne pouvait pas faire, c’était de demander aux gens de se jeter ni plus ni moins dans la gueule du loup. Et c’est ainsi, comme tu le sais, que plusieurs années se sont écoulées en combattant dans ces montagnes, sans grande confiance dans le futur, parce qu’il a été bientôt évident que les puissances dites démocratiques, de même que pendant la guerre civile, n’étaient pas prêtes à mettre les bouchées doubles pour liquider les derniers vestiges du fascisme européen. »

half-track Guadalajara
half-track Guadalajara
half-track Espana Cani
half-track Espana Cani

Francisco Ferrer Guardia et son temps

Francisco Ferrer Guardia face à ses ennemis.

On peut avoir une idée des critiques de la droite au moment de l’exécution Francisco Ferrer Guardia en rappelant cette citation de la presse catholique de la région d’Alicante : “ La fusillade de Ferrer a rendu fou furieux les anarchistes et les francs-maçons d’Europe, qui ont protesté contre ce fait juste et légal, quoi qu’en dise la canaille sectaire et les voyous et bandits auteurs des forfaits et des pillages dont ont été victimes certains quartiers de Paris. [Conclusion de l’article “ Ferrer et la franc-maçonnerie ” publiée avec la censure ecclésiastique, 22 octobre 1909). En janvier 1910, une attaque en règle des livres édités par la maison d’édition de Francisco Ferrer, La Escuela Moderna [L’École moderne], gérée par ses camarades, qualifie les auteurs de “ pistoleros ” (bandits armés) et Léopoldine Bonnard (compagne de Ferrer) de “ malheureuse athée ”.
Le prologue au livre “ Évolution sur-organique. La Nature et le Problème Social ” d’Enrique Lluria [livre non traduit en français], de Ramón y Cajal, médecin et prix Nobel de médecine en 1906, était traité de “ honte ”. Le premier août 1910, on pouvait lire : “ il faut arriver en Espagne à une Loi contre l’Anarchie, comme on a su en avoir le courage avec un véritable civisme en Argentine. […] Et il faut également dire qu’on doit poursuivre et en finir avec l’anarchiste, comme il veut en finir avec la société. […] Assez de lyrisme et de pudibonderies. ” (“ La Voz de Alicante ”).

La pédagogie de Francisco Ferrer Guardia.

Revendiquer aujourd’hui Ferrer Guardia devient donc un acte militant. Mais au-delà de la fidélité, de la connaissance de cet épisode du passé, quel intérêt pratique présentent les idées et les pratiques pédagogiques de Francisco Ferrer ?

Pour comprendre la pédagogie de Ferrer Guardia, il faut partir du fait que l’Espagne de la fin du XIX et du début du XX était majoritairement sous l’emprise du catholicisme et que les analphabètes étaient majoritaires (mais non dénués de conscience politique). Francisco Ferrer a voulu offrir un enseignement laïc, mixte, faisant à la créativité des élèves et radicalement engagé. Ferrer Guardia ne se présentait pas ouvertement comme anarchiste pour éviter la répression de l’État. Ferrer visait les familles dépourvues de préjugés obscurantistes, qu’elles soient bourgeoises ou prolétaires.

Pratiquement, voici quelques exemples de l’esprit de « L’École moderne » (ou l’éducation rationaliste), le nom de la pédagogie de Francisco Ferrer Guardia. “ Que l’instruction, l’enseignement ne commence que lorsque l’enfant le demandera ”.  Dans le but d’un enseignement égalitaire, c’est-à-dire différencié suivant les intelligences, “ l’école ne décernera aucun prix, ni n’établira d’examens ”, et de punition. Mais les enseignants soulignaient “ la concordance ou la discordance de son [de l’élève] comportement vis-à-vis de lui-même et à l’égard des autres, ainsi que celles en rapport avec le résultat de son travail. ”. Dans tous les aspects de la pédagogie, l’exploitation sociale était dénoncée, mais le but principal était que l’élève soit “ capable de réaction et d’émancipation de toute tutelle ”, donc même de celle de ses maîtres rationalistes.

Francisco Ferrer Guardia porteur d’idées révolutionnaires.

Ferrer n’était pas que plongé dans la pédagogie, il finançait avec son propre argent la presse ouvrière anarchosyndicaliste et il était franc maçon. Par le truchement de son enseignement, des conférences fréquentes destinées aux parents d’élèves, des ouvrages de sa maison d’éditions, il diffusait des idées sociales, scientifiques et anarchisantes.

Ce projet était réaliste et il fonctionna. Mais le pays était trop exploité et en proie à la misère et les explosions étaient inévitables. À Barcelone où Ferrer avait ses écoles, en juillet 1909, des réservistes sont rappelés pour faire la guerre au Maroc espagnol. Au moment de l’embarquement dans le port, une mutinerie éclate, s’étend à toute la ville, des barricades sont dressées spontanément. Près de cinquante églises et couvents furent brûlés. Mais le peuple respecta la vie des occupants, priant les religieuses et les moines d’abandonner les lieux. Les analphabètes étaient conscients que la cause du déséquilibre était l’Église (et l’anticléricalisme spontané du peuple espagnol a toujours été violent depuis le début du XIX siècle) et ils respectaient les individus.

Les classes dirigeantes et possédantes étant majoritairement de droite et catholique, il fallait trouver un coupable pour faire oublier leur crasse politique et morale. Ce fut Ferrer Guardia. Un tribunal militaire le jugea à la hâte, à partir de témoignages tellement peu probants que l’avocat militaire commis d’office, dénonça cette procédure. La sentence était prévisible et la condamnation à mort fut la fusillade le 13 octobre 1909.

 

Manifestation Ferrer, 17 octobre 1909 [à Paris après l'exécution de Francisco Ferrer, anarchiste espagnol
Manifestation Ferrer, 17 octobre 1909 [à Paris après l’exécution de Francisco Ferrer, anarchiste espagnol
fg_manifestation_a_paris_de_protestation.jpg
L'école moderne
L’école moderne
Manifestation Ferrer, 17 octobre 1909 à Paris après l'exécution de Francisco Ferrer
Manifestation Ferrer, 17 octobre 1909 à Paris après l’exécution de Francisco Ferrer
Procès de Ferrer
Procès de Ferrer
éxécution de Ferrer dans les fosses de Montjuic
éxécution de Ferrer dans les fosses de Montjuic

Les Collectivités espagnoles

Espagne 1936 : Révolution autogestionnaire
Collectivités agraires :

Ce sont des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui, prenant leur sort en main, vont vivre ce que l’on appelle Communisme Libertaire, autogestion, socialisme.
On compte 350 collectivités en Catalogne, 500 au Levant, 450 en Aragon (où 75% des terres sont collectivisées), 240 en Nouvelle Castille. Il y en a aussi dans l’Extremadure et en Andalousie. Chacune a ses caractéristiques, car les décisions sont prises par les assemblées générales des collectivistes.

Alimentation

En ce qui concerne le ravitaillement des grandes villes, voyons ce qu’ont fait les travailleurs de l’Industrie Alimentaire :
À Barcelone, dès le 19 juillet, la C.N.T. prend la direction de 39 grandes entreprises alimentaires qui, pour la plupart, sont transformées en restaurants à prix modérés et un restaurant populaire à prix fixe est créé.
Ce sont les travailleurs de l’industrie alimentaire qui ont pris en main l’approvisionnement des grandes villes, comme par exemple au marché central de Barcelone.

Transports

À Barcelone, l’ensemble des moyens de transports se trouvent dès juillet 1936 aux mains des travailleurs : les tramways, les autobus, le métro comme les taxis, et l’ensemble des chemins de fer de Catalogne.
C’est la C.N.T. qui prend l’initiative de la Collectivisation. À la société des tramways, elle compte 3.322 affiliés sur 3.442 employés, mais l’on fait aussi une place à l’U.G.T., par exemple dans les chemins de fer.

Deux exemples

Collectivité de Monzón

La Collectivité de Monzón (Aragon, province de Huesca), constituée en 1936 avec près de 45, personnes, est détruite en mars 1938 par l’arrivée des fascistes.
Le patrimoine est composé des terres apportées par les membres et par celles confisquées des fascistes en fuite.
La collectivité était divisée en 22 sections de travail dont la plus importante est l’agriculture, la solidarité entre groupes est active.
L’assemblée générale est souveraine et se réunit une fois par semaine, normalement. Dans le cadre du canton, les 32 collectivités se réunissent périodiquement pour débattre des problèmes généraux : un comité siégeant à Binéfar (province de Huesca) coordonne leurs relations.
Les échanges avec l’extérieur sont payés en monnaie officielle, mais le reste fonctionne grâce au troc.
La journée de travail était de 8 heures pour tous, et le salaire familial :
5 pesetas par jour pour tout célibataire, homme ou femme ; 9 pesetas par jour pour un couple ; 3,5 pesetas par jour par enfant de moins de 14 ans ou une personne âgée ; 4 pesetas par jour par enfant de plus de 14 ans ; avec en plus le bénéfice de la médecine gratuite pour tous. La contribution à l’effort de guerre est le départ volontaire de la majorité des jeunes pour le front, la création d’un atelier de fabrication de bouteilles incendiaires et l’envoi de trains de ravitaillement gratuit.

Collectivité de Calanda

Calanda (Province de Teruel en Aragon), 26 juillet, les milices de Catalogne chassent les fascistes et on nomme un Comité révolutionnaire composé de 4 membres de la C.N. T. et de 2 membres de la Gauche républicaine, le seul parti antifasciste existant. On décide alors de proclamer le Communisme libertaire, en laissant, bien entendu, la possibilité aux individualistes de continuer à vivre comme auparavant. Mais sur les 5.000 habitants de Calanda, moins d’une dizaine peut-être restent à l’écart de la collectivité.
Calanda vit ainsi, libre jusqu’en août 1937, date à laquelle les troupes du bolchevik Lister viennent détruire l’œuvre réalisée.
Pendant deux mois, le village connut alors la contrainte et la répression. Pourtant en octobre 1937, 2.500 habitants de Calanda constituent une seconde collectivité. Elle vécut jusqu’en mars 1938, quand les troupes de Franco envahirent la région.

livre_d_or_p_17collectivisation_collec_sara_berenguer.jpg
industri_agricul_.jpg

Les combattants espagnols dans la Résistance

Comment échapper à son destin ?

Passées les premières stupeurs et déceptions d’un « accueil » plutôt hostile et douteux, l’immense majorité des républicains espagnols s’organisent et recréent leurs partis et syndicats. Ils regardent atterrés le fascisme monté en Europe et se doutent qu’ils ne sont pas à l’abri de ce qui se prépare. Traités comme ennemis et parias par le régime pétainiste, ils s’engagent massivement dans la lutte armée contre l’occupant nazi. C’est une question de survie pour beaucoup d’entre eux.
Après la capitulation de l’État français le 22 juin 1940, les Espagnols participeront, naturellement, aux premiers mouvements de résistance. C’est dans cette résistance que vont avoir lieu les premiers contacts vrais avec les Français qui partagent les mêmes conditions de lutte. L’expérience de la guerre civile leur donne une certaine organisation, une endurance, une combativité qui forcent l’admiration des Français et c’est sur eux que ces derniers vont compter pour les actions armées. Beaucoup tiennent un rôle militaire primordial. Ils se préoccupent également d’organiser des maquis en Espagne même, dans le but de bloquer Franco, s’il lui venait des velléités d’aider les forces de l’Axe, mais aussi pour préparer leur retour à une Espagne républicaine.
Prendre le maquis est non seulement un acte de conviction mais aussi un acte de survie, les Espagnols sont pourchassés et assassinés par la milice française et par l’occupant nazi, de la Gestapo à la Wehrmacht, notamment les dirigeants des partis et syndicats de gauche, les élus de la République. La menace se fait pressante, en 1942 Berlin demande à Vichy de lui livrer les réfugiés espagnols et les antifascistes italiens, ce qui est encore une raison supplémentaire pour entrer en clandestinité.

Les maquis investis par les combattants espagnols

Ils 
s’intègrent à l’AS (Armée secrète), à l’ORA (Organisation de Résistance dans l’Armée) et relèvent des mouvements
« Combat », « Libération », « Franc-tireur » qui vont se regrouper dans les MUR (Mouvements Unis de Résistance) ou encore au sein des FTP-MOI (Francs tireurs partisans de la main-d’œuvre immigrée) d’obédience communiste comme Celestino Alfonso figure sur la fameuse « Affiche 
Rouge » aux côtés de Manouchian et Luis Fernandez qui commande la fameuse 35e brigade FTP-MOI, près de Toulouse, composé surtout de juifs, d’anciens d’Espagne, d’Italiens. Redoutable groupe composée de jeunes gens étrangers téméraires, et désireux d’anéantir le fascisme.
– Certains maquis, se composent exclusivement de combattants espagnols. Ils sont dans les premiers à s’organiser et à passer à l’action, tel le réseau Ponzán à Toulouse, sous l’impulsion de Francisco Ponzán, plus connu sous le nom de François Vidal. Militant de la CNT. À partir de mai 1939, Vidal organise un réseau de passeurs d’hommes dans les Pyrénées pour faire sortir d’Espagne les militants en danger. Dès le début de la guerre, le groupe se met au service de la résistance et travaille activement avec l’Intelligence Service anglais et le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) de De Gaulle, mais aussi avec le réseau Sabot et le groupe Combat. Ce réseau permet l’évasion de 1 500 personnes dont plus de 700 aviateurs alliés et le passage de nombreux documents (sans compter tout ce qui sert la lutte antifranquiste). Le réseau couvre une zone qui va de Bruxelles à Lisbonne. Fait prisonnier en 1944 par la police française, Francisco Ponzán Vidal est livré aux Allemands et exécuté de manière à la veille de la libération.
– Ou encore le groupe de Ramon Villa Capdevilla, Caraquemada ou El Jabali. Militant de la CNT. Début 1939, il se réfugie en France, où il est interné au camp d’Argelès-sur-Mer. Il s’en échappe en 1940. Deux ans plus tard, il est de nouveau arrêté et interné dans la citadelle de Perpignan. Libéré, il met son expérience de spécialiste des explosifs au service de la Résistance, comme le 11 juin 1944, près de Périgueux où, avec deux cents maquisards, il s’empare d’un train blindé allemand. Il participe également, au sein du Batallón Libertad (composé en grande partie d’anarchistes espagnols) à la libération de Royan et de l’estuaire de la Gironde. Il est plus connu sous le surnom de « commandant Raymond ». Il commande deux cents résistants espagnols. Ce sont eux qui anéantissent la garnison Das Reich qui a massacré les habitants d’Oradour. Ramón Vila Capdevila meurt en 1963, lors d’une fusillade avec des franquistes, alors qu’il était un des meilleurs passeurs d’hommes de la CNT, membres des groupes d’action qui n’ont cessé de harceler le régime franquiste depuis 1945.
– Le groupe d’Arrau Saint Lary mené par José Cortés, comprend 60 hommes environ et s’unit aux FTP (Franc Tireurs Partisans). Ils s’organisent en unité de guérilla, héritée directement de l’armée républicaine comme la 9e brigade issue du 14e corps de guérilleros de l’armée républicaine, commandée par Ricardo Gonzalvo. Ces hommes comptent à leur actif de nombreux et importants actes de résistance.

– Voici une liste de maquis où la présence espagnole fut suffisamment importante voire majoritaire: le maquis de Dordogne, de la Montagne Noire, de Querigut (dans l’Aude), les maquis de l’Aveyron, du Pic Violent, de Savoie, les maquis du Lot, de Loches, de Belves, de l’Isère, de la Gouzette (Saint Girons), de Privas, les maquis du Cantal et de Corrèze, de Maleterne, de Bagnères, des Landes, du Rouergue, le Mont Mouchet, du Limousin, le maquis Bidon 5 et le maquis du Vercors et n’oublions pas le maquis du COFRA, du Barrage de l’Aigle, et Foix ; Les guérilleros de la 10e brigade, 2e Bataillon du maquis du « Col de Marie Blanque » Vallée d’Aspe, encerclement de Bedous. De nombreux antifascistes espagnols se trouvent aussi dans la résistance en Bretagne, en Gironde, dans le Massif central… Ils participèrent à la libération d’au moins 27 villes françaises (dont Annecy, Paris, Cahors, Foi, Bordeaux, Strasbourg, Périgueux, Royan, Toulouse…). Le bataillon Alsace Lorraine, commandée par le Colonel Berger (André Malraux) va être composé de beaucoup de combattants espagnols et d’anciens des brigades internationales : « Les 1 500 combattants volontaires, indisciplinés et équipés de vieilles Traction avant Citroën, de gazogènes et de GMC brinquebalants, vont faire souffler un vent d’Espagne sur cette brigade qui s’intègre dans la 1re Armée du général de Lattre de Tassigny qui la surnommera « la Brigade des trois cents pouilleux ». D’autres l’appelleront aussi « La Brigade très chrétienne du colonel Berger » en raison du grand nombre de prêtres, pasteurs et autres théologiens qui la composaient » .
– Le maquis du plateau des Glières en Haute Savoie (premier territoire français à se libérer le 19/08/1944)) où Les Républicains espagnols arrivent en 1940. Deux compagnies de travailleurs espagnols (515 et 517 CTE) affectés aux travaux des routes et assèchement des terrains, vont petit à petit s’égayer dans la nature. Ils vont aller clandestinement s’installer, avec des conditions très rudes, dans les chalets de montagne, pour échapper à la déportation en Allemagne. Ces hommes aguerris vont mettre leur connaissance de la Résistance au service de l’armée de l’ombre, sous la direction de Miguel Vera. Ils vont conquérir les cœurs et l’amitié de leurs compagnons, jusqu’aux chefs du 27e BCA qui leur accorderont une entière confiance. Ces « Diables d’Espagnols » vont avoir une place incontournable et prendre part aux combats les plus rudes. Leur implication sera importante, puisque Tom Morel le commandant du maquis du plateau décidera au 30 janvier 1944 de, monter avec 120 hommes, sur le plateau pour y réceptionner les parachutages d’armes de Londres. 56 de ces maquisards seront des Républicains espagnols.

À l’heure des comptes, les trahisons

Le 7 novembre 1942 à Toulouse sous la direction du PCE se crée l’UNE (Unión Nacional Española) pour prétend unir et diriger les maquisards espagnols, avec comme objectif, l’intervention contre le régime franquiste.

En contre pouvoir, le 9 septembre 1944, se crée l’ADE (Alianza democrática española), qui rassemble toutes les tendances politiques de l’exil, excepté les communistes, dont elle dénonce les exactions au sein de l’UNE. L’ADE conteste l’exclusivité de l’UNE et ses méthodes de disparitions et assassinats de maquisards espagnols d’autres tendances politiques (socialistes, anarchistes, POUM…).
À propos de la 35ème Brigade FTP-MOI, leurs actions étaient si intrépides et incontrôlables que le PCF les désavoua, leur préférant une histoire de la résistance plus… française.

Le colonel FFI Serge Ravanel, affirme que « la participation des Espagnols à la résistance fut considérable. Ils sont la part la plus importante de la résistance dans les Pyrénées orientales ». Pourtant il n’hésite pas à cautionner le transfert à l’UNE ou le désarmement d’unité de résistants espagnols comme les 350 hommes du commandant Santos du bataillon Libertad, qui refusent de rejoindre cette organisation, où ils risquent leur vie, par les pratiques courantes pour ceux qui contestent la ligne du PCE. En effet, ce groupe de résistants avertis a préféré sortir de l’UNE et intégrer les Forces françaises de l’intérieur (FFI).
Il faut souligner aussi le travail essentiel fait dans ce sens par José German Gonzalez, militant anarchiste de la région de Tarragone, commandant du maquis du Barrage de l’Aigle qui organisa, à travers les Groupes de travailleurs étrangers (GTE), l’entrée des cénétistes directement dans la résistance française
Monsieur Bénezech, membre du comité de la résistance, déclarera en reconnaissance aux résistants espagnols : « Combattants héroïques de la liberté, qui, partout, firent preuve du plus grand courage et payèrent un lourd tribu à la libération de notre pays » mais aucun responsable français ne tentera de leur apporter une aide pour libérer leur pays.

Les frères Roig au maquis international de Levroux, Indre
Les frères Roig au maquis international de Levroux, Indre
re_sistants_espagnols_des_glie_res.jpg

L’autogestion dans l’Espagne révolutionnaire

1931-1932 « La grande illusion »

Après des siècles d’obscurantisme scientifique, moral et sexuel, imposé par une sorte de de catholicisme soutenu par le Vatican, à la suite de conditions politiques très fragiles, l’Espagne se retrouve le 14 avril 1931 en république. Et ce nouvel Etat se dote d’une constitution dont l’article 1 indique : “l’Espagne est une république démocratique de travailleurs”. Comme il y a un gouvernement de gauche, la grande majorité des travailleurs fait une lecture hardie de l’expression “république de travailleurs”, alors que la définition était parfaite “république démocratique”, avec toute l’hypocrisie du terme “démocratie” dans un régime capitaliste. C’est du choc entre les revendications de hausse des salaires et de réformes sociales profondes des travailleurs et la conduite lente et pusillanime de la gauche au pouvoir que se dégage une opposition tenace et profonde du prolétariat contre la droite et la gauche. Les aspirations des salariés sont renforcées et accompagnées par un fort mouvement anarcho-syndicaliste qui prône un changement social immédiat par le communisme libertaire –par opposition au communisme marxiste léniniste de la Tchéka–. Une centrale syndicale, la CNT –Confédération Nationale du Travail –, pratique l’anarchosyndicalisme depuis 1910, c’est-à-dire la lutte de classe, l’action directe et la lutte anticapitaliste en s’adressant à tous les travailleurs. On peut remarquer au passage la différence avec l’anarchisme, trop souvent limité aux milieux intellectuels, niant parfois la lutte de classe et la violence révolutionnaire au profit d’une idée de progrès culturel quasi automatique. Les travailleurs espagnols sont pris dans un moment historique de renversement de valeurs imposées et intérieurement refusées parce que favorables aux seuls possédants. Les travailleurs trouvent une idéologie qui donne une réponse prolétaire fondée sur la solidarité, la capacité des salariés de reconstruire la société par eux-mêmes. Ils prennent conscience de leur dignité et de leur énergie.

1932-1936 Échec des tentatives insurrectionnelles limitées

Cette période est d’abord marquée par des insurrections régionales répétées tant de la part de la CNT que de l’UGT et du PS. Paradoxalement, les échecs sont ressentis par une grande partie des travailleurs comme une préparation et une avancée vers une révolution sociale nécessaire et inévitable. Cette impression vient du fait que la droite semble incapable de rien modifier et que les partis de gauche donnent l’impression de vouloir appliquer de véritables réformes, s’ils reviennent au pouvoir. La preuve semble être l’insurrection révolutionnaire d’octobre 1934 aux Asturies, préparée et lancée par le PS -qui en Espagne s’appelle PSOE, Parti Socialiste Ouvrier Espagnol- et l’UGT (Union Générale des Travailleurs, plutôt socialisante, alliée localement à la CNT). Un slogan jaillit « UHP Unissez-vous frères prolétaires ou Union des frères prolétaires, Unión de Hermanos Proletarios », issu de la pratique en grande partie unitaire des socialistes, des ugétistes, des cénétistes, de communistes sans Moscou, de communistes avec Moscou et de salariés sans étiquette. Durant deux semaines, ils occupent des mines et des usines, la banque d’Oviedo, des entreprises de fabrication d’armes, créent des cantines avec une monnaie syndicale, pour nourrir et organiser la population. Ils suivent en fait tous le schéma du communisme libertaire de la CNT.

1936-1939 Prise en main d’une partie de l’économie capitaliste et créativité révolutionnaire

De cette perception de la possibilité d’un changement révolutionnaire, de cette conviction de l’unité prolétaire à la base surgissent spontanément et progressivement de nombreuses initiatives des salariés, à partir de l’échec du putsch militaire dans une grande partie de l’Espagne (Barcelone, Madrid, Valence, Oviedo, etc.) (lire l’article Les collectivités comment ça fonctionne). Un échec qui va de pair avec l’effacement de l’Etat républicain et des gouvernants de gauche, incapables de prévoir et de gérer la situation, alors que les militants des syndicats, les travailleurs, avec bien souvent l’aide de membres des forces répressives républicaines (surtout à Barcelone), assurent la victoire et l’organisation de la résistance et de la société. Unification en Catalogne des chemins de fer, dès fin juillet 1936, surtout de la part de la CNT et dans une moindre mesure de l’UGT, (trois compagnies privées auparavant) et donc capacité de synthétiser, d’harmoniser des horaires différents, des personnels et du matériel séparés. Création d’une industrie de guerre (blindés, armes, munitions) à Barcelone et dans sa banlieue. Création dans la région de Valence en septembre 1936 (de Castellón à Murcie, entre 1936 et 1939) par la CNT et l’UGT de nombreuses collectivités agricoles mixtes et du CLUEA –Comité du Levant d’Exportation Unifiée des Agrumes-. De multiples collectivités agricoles aragonaises de l’UGT et de la CNT. Socialisation généralisée aux Asturies de la CNT et de la CNT. Autogestion par la CNT des pécheurs et de villages andalous, forte implantation ugétiste à Jaén, etc. Développement de collectivités cénétistes en Castille, mais peu de collectivités mixtes avec l’UGT. Partout ces mutations sociales ont lieu tout en respectant les « perdants », ex propriétaires, familles de factieux tués par les révolutionnaires. Tous ont droit à la nouvelle économie, tout au contraire de la pratique marxiste léniniste du socialisme réel, la fameuse lutte contre les koulaks (prétendus paysans riches) de Staline.

En guise de réflexions finales

Cet aperçu de la capacité réelle et non plus virtuelle des travailleurs, pour une autre société, ne peut faire oublier une rupture nette entre la base et le sommet de nombreuses organisations. L’État républicain, absent, s’est reconstitué au fil des mois, surtout avec l’aide de l’URSS, monopolisant les armes lourdes et les distribuant à ses pions politiques. L’ensemble des partis et des syndicats participe à un gouvernement, sur une base de lutte antifasciste, mais sans projet social commun. Il en découle de fait une guerre civile dans la guerre civile (attaques sanglantes contre des centres autogérés en février et en mars 1937, le comble étant l’attaque en mai 1937 par des forces de police catalane du centre téléphonique de Barcelone tenu par des ugétistes et des cénétistes, la confirmation étant l’intervention de deux divisions du PC pour interrompre en partie le processus autogestionnaire UGT et CNT en Aragon en août 1937). La coupure entre les états-majors de l’UGT, de la CNT et leur base reflète l’absurdité d’une alliance politique au bénéfice de la bourgeoisie républicaine et au mépris des conquêtes prolétaires. L’héroïsme des combattants républicains est écrasé par des tactiques militaires stupides de leurs commandements (comme l’offensive prônée par les soviétiques en novembre 1938 contre Teruel, sans aucun appui aérien, les aides soviétiques étant interrompues pour renforcer le rapprochement avec l’Allemagne hitlérienne). Et cette volonté de victoire républicaine se heurte à la fois à une puissance sans cesse renouvelée des armées franquistes, alimentées en hommes par la zone coloniale du Maroc espagnol, par les nombreuses divisions italiennes bien équipées, les armes lourdes et les techniciens allemands. En dépit des spécificités ibériques, cette expérience s’inscrit dans la chaîne des tentatives autogérées du mouvement ouvrier: 1910-1917 magonisme et zapatisme au Mexique, 1917-1921 soviets libres à la base en URSS, 1956 conseils d’usines en Hongrie contre les chars soviétiques, etc.

Documents joints

 

Meilleurs voeux 2015

Cher(e)s ami(e)s,

L’année 2014 s’achève sur ce souvenir inoubliable que furent nos manifestations de l’été, concert mémoire de la chanson populaire et révolutionnaire espagnole, colloque aux accents de résistance, théâtre des Paroles de la Nueve, mise en espace par Armand Gatti, dites par les comédiens amateurs de notre modeste association, et surtout cette marche qui nous rassembla toutes et tous sur les traces des combattants espagnols de la Nueve. Nous avons cette année fait un grand pas dans la reconnaissance de la participations des exilés antifascistes espagnols pour le combat de la Liberté contre le fascisme. 2014 restera pour cela gravée en nos mémoires. Nous vous attendons tous en 2015, aux rendez-vous de la mémoire et de l’enseignement de leur envie de vivre libres. Mais avant cela, nous vous souhaitons une année 2015 emplie de rires et de bonheur, une année où le mot Résistance sera résonance de l’histoire en votre présent. Nous voulons vous faire don de ces deux poèmes, l’un de Manuel Lozano combattant de la Nueve, qui vécut toute le reste de son existence à Paris et l’autre de Sara Berenguer, de Mujeres libres qui fut une combattante de la révolution espagnole et une résistante de la Seconde Guerre mondiale. Dégustez leurs mots sans restriction et avec plaisir pour que l’année qui vient soit douceur, mélodie et espoir à votre esprit.

Documents joints

 

Abd-el-Krim (1882-1963)

En 1921, la tribu des Beni Ouriaghel, installée dans la région d’Alhoceima, entre en rébellion ouverte sous la conduite d’un ancien fonctionnaire de l’administration espagnole, Mohamed ben Abd el-Krim El Khattabi, âgé de 30 ans. Ce jeune chef charismatique et intelligent inflige, à la tête d’une petite armée, quelques échecs aux Espagnols.
Là-dessus, le général espagnol Silvestre lève une puissante armée pour en finir avec les Beni Ouriaghel. Mais il essuie une dramatique défaite à Anoual, en juin 1921.

La quasi-totalité de ses troupes, soit 15 000 soldats, trouve la mort dans la bataille. Le général lui-même se suicide. Abd el-Krim étend son autorité à l’ensemble du Rif. En février 1922, il proclame la république rifaine et s’en désigne président, mais il sera cependant contraint de se rendre, en 1926, face à l’alliance des armées espagnole et française, il est exilé à la Réunion, à château Morange.
Les populations marocaines, en représailles, subiront un gazage massif à l’ypérite (on estime à 150 000 le nombre de victimes civiles dans l’année 1925-1926).

Il est étonnant que le gouvernement républicain du Frente popular n’ait pas donné un statut d’indépendance au Maroc, ni, en demandant au front populaire français sa libération, passé avec Abd-el-Krim, accords qui auraient privé Franco du soutien des troupes marocaines. Cette éventualité a été évoquée par les responsables anarchistes des deux pays, dont Pierre Besnard, anarchosyndicaliste français.

Manuel Lozano sort de l’oubli…

Le 10 septembre 2009, l’association du 24 août 1944 faisait une démarche auprès du ministre de la défense délégué aux anciens combattants et à la mémoire Monsieur Kader Arif, de la Maire de Paris Madame Hidalgo, de l’adjointe au Maire chargée de la mémoire combattante Madame Vieu-Charier et de la conseillère préposée aux espaces vert de la nature, de la biodiversité et des affaires funéraires madame Komitez, afin que la Mairie de Paris prenne en charge la concession, et l’entretien de la sépulture de Manuel Lozano, combattant de la Nueve entré à Paris le 24 août 1944 sur L’Half-Track Guadalajara et enterré au cimeterre parisien de Pantin.

Le 26 septembre nous avons reçu une réponse de madame Pénélope Komitez qui stipule entre autre, «  qu’à titre exceptionnel, en reconnaissance du rôle joué par Manuel Lozano, sa sépulture sera conservée en l’état, malgré l’achèvement de la concession « . «  C’est la Mairie de Paris qui assurera l’entretien de cette tombe . » (voir document joint)
Notre association non seulement exprime toute sa satisfaction à l’issue de cette démarche mais la considère comme une réelle victoire de la mémoire face au silence et à l’oubli dans lequel pourrait sombrer les valeureux défenseurs de la liberté si ce n’était nos vigilances communes pour conserver et transmettre cette éthique qui a soulevé et porté tant d’humains français et étrangers unis dans un même élan, celui de la justice et de la liberté, aux moments les plus difficiles et cruciaux de notre histoire commune.


doc1-lozano.jpg doc2-lozano.jpg doc3-lozano.jpg doc4-lozano.jpg doc5-lozano.jpg doc6-lozano.jpg doc7-lozano.jpg doc8-lozano.jpg

Réponse de madame Pénélope Komitez du 26 septembre 2014
Réponse de madame Pénélope Komitez du 26 septembre 2014
doc1-lozano.jpg
doc2-lozano.jpg
doc3-lozano.jpg
doc4-lozano.jpg
doc5-lozano.jpg
doc6-lozano.jpg
doc7-lozano.jpg
doc8-lozano.jpg

Documents joints

 

Fimin-Galan- & Angel-Garcia

Les capitaines qui voulaient renverser la monarchie absolue

Galán Fermín, Rodriguez (1899-1930).

Capitaine d’infanterie espagnol né à San Fernando (province de Cadix). Orphelin, il entre à l’académie militaire d’infanterie de Tolède. Il sert au Maroc et participe à la conspiration de la « Nuit de San Juan » contre la dictature de Primo de Rivera (1926), pour laquelle il est condamné à six ans de prison. Il est amnistié en 1930. Militaire ayant des convictions républicaines et sociales très ancrées, Galán Fermín Rodriguez expose en 1930 son idéal politique dans son livre Nueva creación. Le 12 décembre 1930, à Jaca, en Aragon, les militaires du 19e régiment de Galice se soulèvent sous son commandement et celui du capitaine Ángel García Hernández, aidés des capitaines Salvador Sediles, Luís Salinas y Miguel Gallo. Ils se mettent au service du comité national révolutionnaire, récemment constitué par les républicains du pacte de San Sebastián. Croyant que le soulèvement va suivre dans tout le pays, ils entraînent leur garnison et quelques paysans (leaders locaux du mouvement républicain) à se révolter et à marcher sur Ayerbe et Huesca. Ils vont proclamer la république !

Mais, isolés, ils sont vaincus par les troupes gouvernementales à quelques kilomètres de la ville. Galán Rodríguez et Ángel García Hernández sont jugés le dimanche 14 décembre et fusillés immédiatement. Ils tombent au cri de : « Vive la République » et deviennent le symbole des martyrs de la République. Ailleurs, le mouvement échoue. Un jeune capitaine de l’armée de l’air, Ramón Franco (le frère cadet du général Franco, qui était devenu un héros national en traversant l’Atlantique Sud à bord de l’hydravion Plus Ultra en 1926), décolle de l’aérodrome de Cuatro Caminos, à Madrid, avec l’intention de bombarder le palais royal, hésite et finalement largue des tracts, avant de s’enfuir au Portugal.
Ces exécutions sont une erreur politique du roi, marquant le début de la fin de son règne. L’épisode inspira ces vers au poète Antonio Machado :

La primavera ha venido

del brazo de un capitán.

Niñas, cantad a coro :

¡Viva Fermín Galán !

Le printemps est venu

Du bras d’un capitaine.

Fillettes, chantez en chœur :

Vive Fermín Galán !

Miguel Ángel García Hernández (Vitoria, Álava, 1900 – Huesca, 14 décembre de 1930) un des militaires espagnols avec Galán Fermín Rodriguez, qui dirigea le soulèvement insurrectionnel et républicain connu sous le nom de soulèvement de Jaca.
Ángel García était capitaine en service, au commandement de la compagnie de mitrailleurs du 19e régiment de Galice, en garnison à Jaca.

Francisco Ferrer i Guardia

Ferrer i Guardia, Francisco (1858-1909). Instituteur et pédagogue anarchiste. En 1890, il s’affilie au Grand Orient de France et milite activement au sein de la Libre pensée. Il se lie d’amitié avec Charles Malato, Jean Grave et Sébastien Faure (intellectuels anarchistes français). « C’était un homme doux, tranquille et simple » écrit à juste titre Jean Grave. Pacifiste et tolérant, il est partisan d’une évolution progressive de la société par le développement de l’éducation. Il réprouve la violence aveugle et ne peut donc admettre la « propagande par le fait ». Grâce à Mademoiselle Meunier, une de ses anciennes élèves qui lui a légué sa fortune avant de décéder, il fonde, à Barcelone, en 1901, une école d’inspiration libertaire, la Escuela moderna, où se pratique un enseignement laïque et mixte. En peu de temps, Francisco Ferrer multiplie les contacts dans les milieux intellectuels et au sein du mouvement ouvrier, déjouant l’attention des autorités civiles et religieuses et surmontant tous les obstacles administratifs pour rassembler une équipe de collaborateurs dévoués. Il est secondé admirablement par sa compagne Soledad Villafranca.

« L’École moderne » — tel est son nom — ouvre ses portes le 8 octobre 1901, à Barcelone. Elle accueille trente élèves : douze filles et dix-huit garçons. Il y en a soixante-dix au mois de décembre, quatre-vingt-six le mois suivant. Cette progression inattendue des effectifs pose quelques problèmes mais assure la réussite de l’entreprise. L’enseignement y est mixte. « Dans cette école, il ne faudra glorifier ni Dieu, ni patrie, ni rien ». Ferrer prône une éducation rationnelle, voire rationaliste, et on lui a quelquefois reproché de faire une part trop grande à la science : « Notre enseignement n’accepte ni les dogmes, ni les usages… Nous ne répandons que des solutions qui ont été démontrées par des faits, des théories ratifiées par la raison, et les vérités confirmées par des preuves certaines. L’objet de notre enseignement est que le cerveau de l’individu doit être l’instrument de sa volonté. Nous voulons que les vérités de la science brillent de leur propre éclat et illuminent chaque intelligence, de sorte que, mises en pratique, elles puissent donner le bonheur à l’humanité, sans exclusion pour personne par privilèges odieux. » Le 31 mai 1906, Mateo Morral, ancien bibliothécaire de l’École moderne, par une tentative d’assassinat contre la personne du roi Alfonso XIII, provoque la fermeture de cette entreprise rationaliste.

Francisco Ferrer est arrêté le 1er septembre 1909, après la Semaine tragique de Barcelone, alors que rien ne prouve sa participation à ce mouvement de contestation contre la guerre coloniale au Maroc. Les autorités profitent ainsi de l’occasion pour se débarrasser de ce penseur visionnaire. Il a toujours fait l’objet d’une surveillance constante de la part de la police, qui sait donc fort bien qu’on ne peut rien lui reprocher. Mais il est le bouc émissaire idéal : son passé, ses relations, ses voyages à l’étranger, son arrivée juste avant l’insurrection permettent d’étayer la thèse du complot. Accusé d’être l’instigateur de la Semaine tragique, dénoncé comme tel par l’évêque de Barcelone et par la presse de droite, Francisco Ferrer est mis au secret et longuement interrogé. Pendant ce temps-là, ses amis déclenchent une campagne internationale en sa faveur.

Malgré l’absence de preuves, Francisco Ferrer est jugé coupable d’incitation à la révolte. Condamné à mort le 12 octobre 1909, il sera fusillé le lendemain matin, dans les fossés du fort de Montjuic. Face à ses bourreaux, il s’écrie : « Je suis innocent! Vive l’École moderne! » La nouvelle de son exécution provoque une explosion de colère dans le monde entier ; des manifestations rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes, ont lieu dans toutes les grandes villes d’Europe et jusqu’en Argentine. Des écoles libertaires seront créées pour poursuivre l’œuvre éducatrice de ce pionnier, et une centaine de rues en France porteront désormais le nom de Francisco Ferrer. Surpris par l’ampleur de la réprobation, le gouvernement espagnol démissionne une semaine plus tard. Le 13 octobre 1959 au cours d’un hommage Albert Camus déclare : « Francisco Ferrer pensait que nul n’était méchant volontairement et que tout le mal qui est dans le Monde vient de l’ignorance. C’est pourquoi les ignorants l’ont assassiné. »

Semaine tragique de Barcelone (du 26 au 31 juillet 1909)

L’organisation Solidaridad obrera lance un mot d’ordre de grève générale. La Catalogne est bientôt en pleine effervescence car cette mobilisation des réservistes signifie encore des morts et surtout le départ des hommes, qui laissent leur foyer sans ressources. Cette mesure impopulaire déclenche une émeute à Barcelone, qui se transforme très vite en une véritable insurrection. Des affrontements avec l’armée fait beaucoup de victimes : 104 civils, 4 soldats et 4 membres de la Croix Rouge trouveront la mort. Le peuple se rend maître de la rue pendant cinq jours, s’en prenant au pouvoir et à l’Église, qui l’oppriment. Les débordements sont tels que les partis d’opposition préfèrent se tenir prudemment à l’écart du raz-de-marée. Le 26 juillet 1909, les syndicats proclament la grève générale mais ne parviennent pas non plus à contrôler la situation. Des barricades sont érigées, des églises incendiées et quelques prêtres massacrés.

La « Semaine tragique », comme on l’appellera, s’achève le 31 juillet. La répression est terrible : 175 ouvriers tués dans les rues. Avec l’appui des autorités ecclésiastiques, profondément choquées par les excès anticléricaux, le gouvernement d’Antonio Maura veut profiter de l’occasion pour décapiter le mouvement ouvrier. Il proclame l’état de siège, établit la censure et ferme le peu d’écoles laïques existantes. D’innombrables arrestations ont lieu dans tout le pays.

Rien qu’en Catalogne, les tribunaux militaires jugent quelques deux mille personnes ; plusieurs d’entre elles seront exécutées dès le mois d’août. Francisco Ferrer i Guardia, anarchiste, libre penseur, et fondateur de l’école moderne rationaliste, sera fusillé le 13 octobre 1909, considéré par les idées qu’il développe comme un responsable subversif.

La première république

Caricature de la revue La Flaca (1869-1876) publiée en 1873. On y voit Francesc Pi i Margall débordé par le fédéralisme (représenté par les enfants portant différentes tenues traditionnelles régionales) et Emilio Castelar essayant de remettre de l’ordre en instruisant les enfants.

Caricatura de la República publicada en La Flaca en 1873. Pi i Margall se ve desbordado por el federalismo, representado en figuras infantiles ataviadas con los distintos trajes regionales, mientras Castelar intenta poner orden instruyendo a los alumnos.

Le 18 septembre 1868, la ville de Cadix se soulève contre la monarchie ; le 19 septembre, les généraux adressent une proclamation solennelle au peuple espagnol dans laquelle ils déplorent l’état du pays et se présentent comme l’incarnation des aspirations populaires.

La révolution de 1868, aussi connue en Espagne comme La Gloriosa (la Glorieuse) ou La septembrina (la Septembrienne). Ce soulèvement de septembre 1868 détrôna la reine Isabel II Les six années qui suivirent cette révolution sont nommées Sexenio Democrático(les six ans démocratiques). Exilée en France, Isabelle II n’abdique qu’en 1870 . Le prince Amédée De savoie, duc d’Aoste, fils cadet du roi Victor-Emmanuel II d’Italie, est choisi pour lui succéder mais il abdique dès 1873, après 27 mois de règne. Devant la situation inextricable, la République est proclamée le 11 février 1873.

La période fédérale (1873)

La république nait sans un réel soutien social ni politique. Les classes populaires commencent à s’organiser dans les mouvements des travailleurs. Les tenants du pouvoir : l’église, l’armée, les propriétaires fonciers, les banquiers et les grands hommes d’affaires, sont opposés à république et ses idéaux sociaux avancés.

Deux courants s’opposent au sein de la République : les partisans d’une Espagne unifiée et les partisans d’une Espagne fédérée.

Estanislao Figueras est le premier président mais après la victoire républicaine aux élections, la majorité fédéraliste met au pouvoir Francesc Pi i Margall, chef du fédéralisme, théoricien républicain, dont les principes s’expriment dans le projet de la Constitution fédérale de 1873, qui servira de modèle dans toute l’Europe. Il établit la séparation entre église et état et un modèle de fédérations de 15 (ou 17 avec Cuba et Puerto Rico) régions fédérales.

Elles sont: Andalousie Alta, Andalousie faible, Aragon, Asturias, Baléares, Canaries, Castille la Vieille, Castille la nouvelle, Catalogne, Estrémadure, Galice, Murcia, Navarra, Valencia, Pays basque. Plus tard, intégration des possessions hors péninsule.

Mais l’Espagne est dans un état de conflits sociaux et politiques perpétuels. Les tensions sociales se manifestent sous la forme de grèves des travailleurs agricoles et occupations des terres. Et se développe le phénomène de « cantonalismo » : de nombreux cantons sont formés (y compris à l’intérieur des villes) et s’opposent non seulement au gouvernement central mais également entre eux.

Le climat est insurrectionnel, instable. Un coup d’État est organisé par les monarchistes et la bourgeoisie industrielle et financière. Le 3 Janvier 1874, le général Manuel Pavía, Capitaine Général de Madrid, met fin à cette tentative démocratique. Un gouvernement provisoire, dirigé par le général Francisco Serrano, s’installe jusqu’au 28 décembre 1874, les Cortes sont dissoutes. Les Bourbons reprennent leur place en janvier 1875, avec le règne d’Alphonse XII, au sein d’une monarchie constitutionnelle.