Skip to main content

Auteur/autrice : 24 aout 1944

Dronne Raymond

Raymond Dronne fut l’un des premiers hommes à se mettre à la disposition de Leclerc quand celui-ci arriva à Douala. Le jeune fonctionnaire avait 32 ans, il était roux, avec une barbe en forme de collier et il parlait avec un fort accent de la Sarthe. Son air truculent et bon enfant cachait une solide formation de droit, sciences politiques, journalisme et d’école coloniale. Apparemment rejeté par le ministère des Affaires étrangères – où il espérait obtenir un poste diplomatique – pour ses manières frustes et provinciales, Dronne obtint un poste d’administrateur au Cameroun. Mobilisé en 1939, avec le grade de lieutenant, il fut incorporé dans les forces de police du Cameroun.

C’est à ce poste que lui parvint la nouvelle de la défaite française devant les Allemands et de la signature de l’armistice. En même temps lui arriva aussi l’appel à la résistance lancé par de Gaulle. Dronne n’hésita pas : il s’organisa immédiatement pour participer à la lutte et gagner la capitale Yaoundé aux forces de la France libre.

Quand Leclerc se présenta, au nom de de Gaulle, à Douala, Dronne se mit sous ses ordres, sans hésitation. Leclerc dira plus tard qu’avec cette adhésion la France libre avait obtenu un de ses meilleurs éléments. Sa grande expérience de la région serait très utile pour le nouvel arrivant. Entre les deux hommes, rapidement, une grande confiance s’installa.

Dronne combattit au côté de Leclerc au Gabon, et, plus tard, devenu capitaine, il participa aux opérations de Fezzan, en Libye, puis en Tunisie, où il fut gravement blessé à Ksar Ghilane, mitraillé par un avion. Après plusieurs mois d’hospitalisation en Égypte, il sortit, début août 1943, pour aller s’engager dans les troupes de Leclerc, stationnées à Sabratha, où les autorités d’Alger avaient relégué les forces de la France libre. Les hommes campaient au milieu des ruines romaines, recevant chaque jour de nouvelles recrues, dont beaucoup étaient espagnoles. Avec ces hommes, Leclerc formait l’embryon de ce qui allait devenir la 2e division blindée.

Dronne intégra le régiment de marche du Tchad et, peu après, fut nommé capitaine de la Nueve. En lui remettant le commandement, Leclerc le lui annonça, expliquant qu’il s’agissait d’une compagnie de volontaires espagnols qui faisaient peur à tout le monde : « Ce sont de beaux soldats, vous vous en arrangerez… » Leclerc avait compris que ces hommes accepteraient d’être commandés seulement par un officier de la France libre ; surtout s’ils savaient que c’était un soldat qui avait été gravement blessé au combat. Les Espagnols le mirent à l’épreuve, mais ils ne tardèrent pas à l’accepter.

Depuis lors, tous le connurent comme « el Capitán ».

Libération de Paris. 70 ans après, quel souvenir ?

C’est ce que souhaitait savoir l’Association en interrogeant quelques parisiens :

« Cette année ont commémore les 70 ans de la Libération de Paris, le 25 août prochain. »

  1. Que savez-vous de cette Libération ?
  2. Savez vous qui sont les premiers soldats qui sont arrivés dans la capitale ?
  3. Pensez-vous qu’ils ont droit à une reconnaissance ?

La journée du 24 Août 1944 racontée par le Capitaine Dronne

_ Le capitaine Dronne des Forces Françaises Libres, fut le premier officier français à entrer dans Paris encore occupé par les Allemands, a la tête de la 9è compagnie du IIIe régiment de marche du Tchad, composé de volontaires étrangers, surtout espagnols qui s’étaient engagés en Afrique du Nord, et qui furent d’extraordinaires combattants. C’est le récit de leur ruée vers Paris que fait ici l’ancien capitaine de cette unité, devenu depuis député de la Sarthe
lozano-2.jpg

La ruée vers Paris

La libération de Paris ! Quinze années sont déjà passées. Les souvenirs sont devenus lointains. Les heures qu’on croyait inoubliables s’oublient, comme le reste. Pourtant, en fouillant dans les vieux tiroirs de la mémoire, les souvenirs reviennent. L’un appelle l’autre, puis ils jaillissent, se bousculant. Certains détails apparaissent, avec une netteté singulière. Et je puis reclasser et ordonner ces souvenirs sur quelques points de repère : les brèves notes de mon très réglementaire journal de marche.

Nous avancions, aveugles, muets et sourds

Je me souviens tout particulièrement de la nuit du 23 au 24 août. Nous avions quitté le matin du 23 la région d’Ecouché. En un jour, en une étape, la division avait bondi de la Normandie au delà de Chartres ; le soir, elle avançait vers les lisières de Paris en prenant ses dispositions de combat. L’orage et la pluie, une pluie diluvienne, s’abattirent sur nous dans la nuit, pendant des heures et des heures. Nous ne voyions rien, nous avions peine à distinguer les routes et les chemins. Le silence radio, qui nous était imposé pour ne pas trahir notre avance, nous empêchait de tenir nos liaisons. Impossible d’ouvrir et de lire les cartes. Nous avancions, aveugles, muets et sourds. Je me suis arrêté au milieu de la nuit, dans une chaume détrempée. Nous étions quelque part du coté de Limours, nous ne savions exactement où. Je n’avais jamais vu une telle pagaille. Des véhicules de toutes les unités s’étaient égarés et avaient suivi des colonnes qui n’étaient point les leurs Je passai le reste de la nuit a trier et à regrouper les miens.

Accrochage et kermesse dans la banlieue parisienne

À l’aube du 24, la compagnie était rassemblée au complet, à la seule exception d’un half-track qui avait perdu une chenille. Les pleins d’essence étaient faits, les armes nettoyées et fin prêtes. Un beau soleil d’été séchait nos vêtements. Le sous-groupement Putz, dont je fais partie, démarre au petit matin. Nous traversons Arpajon et Monthléry, à Longjumeau, la colonne se heurte, vers huit heures, aux premières résistances allemandes. Je reçois la mission de manœuvrer par la droite de notre axe et de nettoyer le village de Boulainvilliers. Avec une section de chars du 501 et la section de half-tracks du sous-lieutenant Elias, nous menons l’opération entre dix et onze heures. Nous avons quelques brefs accrochages avec des éléments d’infanterie allemands qui ne tiennent pas longtemps. L’opération se solde avec un seul blessé, mais très gravement atteint, le pauvre Vega fera des mois et des mois d’hôpital. Les deux autres sections de la « neuf », aux ordres du lieutenant Granell [[Amado Granell (1898-1972) Valencien, ancien du Tercio (légion étrangère espagnole) où il s’était engagé, mineur sans le consentement de ses parents et en sorti Sergent en 1922. Il s’installe à Alicante avec un magasin de cycle à louer et participe au mouvement syndical ouvrier avec ferveur. il prend une part active à la guerre civile dans le bataillon Levante, puis De Hierro où il est nommé capitaine. Il est commandant en décembre 1938 de la 49e brigade mixte. Le 28 mars 1939, il s’embarque sur le Stanbrook, dernier navire marchand anglais à quitter le port d’Alicante avant l’arrivée des nationaux de Franco. Il rejoint Oran avec juste son fusil mitrailleur. Il est mis comme beaucoup dans un camp disciplinaire (camp de concentration français) puis en décembre 1942, il intègre les Corps Francs d’Afrique, après le débarquement allié en Méditerranée. Durant la campagne de Tunisie, il rencontre le commandant Putz qui lui offrira l’occasion de passer dans la 2e DB sous le commandement du général Leclerc. Il est nommé adjoint du capitaine Dronne et est indiscutablement un des meilleurs officiers de la Nueve. Il s’illustre à : Écouché, Paris où il se trouve dans la colonne qui entre dans la ville en avant garde de la 2e DB, le 24 août 1944. Décoré de la légion d’honneur par le Général Leclerc, ce dernier prononcera ces mots en guise de félicitations : « S’il est vrai que Napoléon a créé la Légion d’honneur pour récompenser les braves, personne ne la mérite plus que vous. »
Il poursuit le combat : Andelot, Remoncourt, Châtel-sur-Moselle, Vaxancourt, Vacqueville, Strasbourg… Il s’illustre avec son unité à Badenvilliers où ils délogent l’ennemi très supérieur en nombre. Mais déçu des intrigues politiciennes pour ramener l’ordre militaire traditionnel et écarter les vrais combattants, très affecté de la perte des compagnons de route, il décide de cesser son combat en parvenant sur les rives du Rhin. Le 28 novembre 1944 Dronne dira : « Avec Granell s’en va une partie de l’âme de la Nueve. » ]], procèdent au nettoyage à l’entrée de Longjumeau. Les Allemands s’accrochent. Il faut les tuer dans leurs trous. Granell ramasse une quarantaine de prisonniers, qui donnent des renseignements intéressants. Les Allemands, une fois captures, sont étrangement bavards.

Vers midi, je regroupe toute la 9e compagnie devant Antony où des résistances se révèlent. La section du sous-lieutenant Montoya [[Vicente Montoya, ancien officier carabinier de l’armée républicaine. Il eut des petits conflit avec ses hommes mais son attitude courageuse et responsable au combat renforça la confiance et le respect de son équipe. Croix de guerre avec étoile d’argent pour son courage lors de la campagne de Normandie. Sous-lieutenant dans la Nueve, il fut un des rares à suivre le Général Leclerc en Indochine. (La Nueve, 24 août 1944, E. Mesquida)]] est lancée en pointe ; Montoya est légèrement blessé par éclats d’obus.

Je lance la section Campos sur la droite, avec mission de nettoyage. Elle enlève une batterie de quatre mitrailleuses lourdes de 200 mm et plusieurs emplacements de mitrailleuses légères. Elle tue pas mal d’Allemands dans leurs trous et en capture vingt-cinq. Nous avons un tué, un engagé tout récent d’origine arménienne, Ernest Hernozian, qui s’est révélé un combattant dune audace extraordinaire.
La section du lieutenant Elias procède au nettoyage le long de l’axe, entre Montoya et Campos. Nous vivons une étrange journée, une journée a la fois de combats et de kermesse. Les combats consistent en réalité en une série de petits accrochages successifs, parfois violents, mais de courte durée. Il ne s’agit pas d’une vraie bataille, comme celle de Normandie ou comme celles que nous mènerons plus tard en Lorraine et en Alsace.

Une foule dense d’hommes, d’enfants, de vieillards, de femmes surtout, se précipite sur nos voitures, les entoure, gave les équipages de bouteilles, de victuailles, les embrasse, chante, danse. Soudain un obus éclate, une rafale fait courber les têtes. La foule s’écarte, fuit, se terre, rentre chez elle. L’accrochage est a peine terminé qu’elle revient.

Vers seize heures, je reçois du commandant Putz[[Putz, Joseph (1895-1945). Officier supérieur au renom de légende, Compagnon de la Libération. Il s’engage à 17 ans dans l’armée. et s’illustre au cours de la Première Guerre mondiale. En 1936, il s’enrôle dans les rangs de l’armée de la République espagnole, il se distingue à Bilbao où il sera nommé commandant de corps d’armée des Républicains. En 1940, à l’armistice, il s’enfuit dans le sud marocain pour participer à la résistance, où il met sur pied le bataillon des Corps Francs d’Afrique qui s’illustre à Bizerte. Nommé colonel, Putz va jouer un rôle de premier plan dans le recrutement des Espagnols dans l’armée Leclerc. Héros de la Première Guerre mondiale, ancien des Brigades internationales et issu des rangs de commandement de l’armée républicaine espagnole, il jouit d’une très grande popularité auprès des combattants espagnols de la 2e DB. Il aurait inspiré Hemingway pour son livre Pour qui sonne le glas. Il intègre les Corps Francs d’Afrique et plus tard le 3e Bataillon de Marche du Tchad de la 2e DB, appelé aussi « le bataillon espagnol », qui comprenait les 9e, 10e et 11e compagnies. Il est tué à Grussenheim, pendant la bataille d’Alsace, en janvier 1945.]] la mission de déborder les résistances ennemies par la droite. Je récupère les sections Elias et Campos, je laisse la section Montoya, qui est clouée au sol en Pointe, sur l’axe principal.

Nous progressons sans grandes difficultés. Nous passons à Wissous et au large de la prison de Fresnes, devant laquelle le sous-lieutenant Warabiot est stoppé.

J’ai le sentiment que la route de Paris est grande ouverte et qu’il n’y a qu’à foncer. Nous recevons bien quelques rafales et quelques obus. Mais les coups sont rares et imprécis.

À ce moment, je reçois par radio l’ordre de mon sous-groupement de me rabattre sur l’axe, à 600 mètres au sud du Carrefour de la Croix-de-Berny, qui est solidement tenu par les Allemands. Cet ordre est stupide. Pourquoi se rabattre sur un axe déjà encombré ? À la rigueur, je pourrais valablement me rabattre au-delà de la Croix-de-Berny, pour prendre la résistance a revers. L’ordre est répété ; je formule mes objections. L’ordre est maintenu, impératif.

L’imprévu : la rencontre avec le général Leclerc

À regret, mécontent, en colère, je me rabats sur l’axe à l’endroit prescrit. Je tombe pile sur le général Leclerc. Il est exactement 19 h 30. Le général tape nerveusement de la canne. C’est un signe qui ne trompe pas : le général n’est pas satisfait. Je n’ai pas noté aussitôt les termes exacts de notre brève conversation. Mais j’en ai gardé le sens.
Leclerc m’apostropha : « Dronne, qu’est-ce que vous faites là ?  » Et il me reprocha de m’être rabattu sur l’axe.

Je lui répondis que j’exécutais un ordre, que je l’exécutais la mort dans l’âme, mais que je l’exécutais quand même. Je précisais que j’avais le sentiment que le chemin de Paris était ouvert et qu’on pouvait y entrer le soir même, à condition de ne pas se laisser hypnotiser par les nœuds de résistance qu’on pouvait rencontrer.

Après une réflexion sur l’inopportunité qu’il y a à exécuter les ordres idiots, le général Leclerc me dit : « Allez, filez sur Paris, passez n’importe où, mais entrez à Paris ce soir, il le faut pour le moral de la population et de la résistance ». Je pris immédiatement les éléments de ma compagnie que j’avais sous la main : les sections Elias et Campos, la section de commandement et l’élément de dépannage. Le général Leclerc me fit donner en renfort une section de chars du 501 réduite a trois chars (elle venait d’en perdre deux) et une section du génie qui se trouvaient a proximité. La section du génie était commandée par l’adjudant-chef Cancel et la section de chars – avec les chars « Montmirail », « Champaubert » et « Romilly »- par un garçon de grande classe, « père blanc dans le civil », le lieutenant Michard, qui devait être tué quelques mois plus tard en Alsace.

À toute vitesse

half.jpg
La colonne, improvisée rapidement démarre alors qu’il n’est pas 20 heures. Nous contournons la prison de Fresnes, devant laquelle mon camarade Dupont va être mortellement blessé. Officier d’active d’une grande valeur technique, d’une valeur morale plus grande encore, possédant des dons extraordinaires de rayonnement et d’ascendant, le capitaine Dupont était un des espoirs de l’armée française.

À toute vitesse, passant là où nous trouvons le vide, nous traversons L’Hay-les-Roses, Arcueil, Cachan, Le Kremlin-Bicêtre, Bagneux. Partout la population se précipite sur notre route et nous fait un accueil enthousiaste. Pour nous autres, Français Libres, que la France officielle de Vichy avait condamnés, cette réception du peuple de Paris était à la fois notre récompense et notre justification. Nous ne voulions pas le montrer, mais nous étions émus jusqu’aux larmes.

Nous avions emmené avec nous un volontaire, un habitant d’Antony, M. Chevallier, qui connaissait bien les labyrinthes compliqués que constituent les rues de la banlieue de Paris. Il fut un guide précieux. De gros arbres avaient été abattus en travers de certaines rues. Les gens, par dizaines, par centaines, s’accrochaient aux troncs et aux branches, déplaçaient les arbres et nous ouvraient la route. À 20 h, 45, nous arrivions à la Porte d’Italie.

« Les français: ce sont les français ! »

La foule nous considéra avec étonnement. Quelques cris fusèrent « Les Allemands, les blindés allemands ! » La foule, inquiète, reflua et commença à se disperser et a fuir. Puis d’autres cris se firent entendre « Les Américains, ce sont les Américain ! » La foule suspendit sa retraite et, prudemment, commença à s’avancer pour voir de plus près ces véhicules et ces uniformes étranges quelle ne connaissait pas.

Ma jeep était passée en tête de colonne. Le chauffeur portait un casque américain. J’avais mis mon képi noir de la « Coloniale », vieux képi d’Alexandrie à la visière cassée, bien fatigué de tant de voyages. Est-ce la vue de ce képi qui nous fit reconnaitre ? Tout d’un coup la foule hurla « Les Français, ce sont les Français » Elle se précipita sur nous, nous entoura, nous pressa ; une Alsacienne dans son magnifique costume régional,[[ il s’agit de Jeanne Borchert]], sauta sur ma jeep et s’assit d’autorité sur le capot. Elle cassa la glace du pare-brise replié. Le pauvre pare-brise devait être réduit en miettes le lendemain sur la place de l’Hôtel de Ville par la foule qui grimpait partout pour apercevoir le général de Gaulle.
Nous eûmes grand-peine à nous tirer des bras de tous ces braves gens. Il ne fallait pas nous laisser attarder. Où aller ? Pas d’hésitation : au Cœur de Paris, à l’Hôtel de Ville, symbole des libertés parisiennes, de façon, dès ce soir, à bien « marquer le coup ». Un nouveau guide [[Il s’agit de Lorenian Dikran, Arménien de Paris et commerçant crémier-fromager, dans le 13e arrondissement. Enfourchant une motocyclette et précédant crânement la colonne commandée par le capitaine Dronne, il guida ce dernier de la Porte d’Italie à la Place de l’Hôtel de Ville, en contournant les chicanes et les résistances allemandes. (anciens-combattants-armeniens.org)]], a motocyclette, nous y mena par l’avenue d’Italie, la rue de la Vistule, la rue Baudricourt, la rue Nationale, la rue Esquirol, le boulevard de l’Hôpital, le pont d’Austerlitz, le quai de la Rapée, le quai Henri IV, le quai des Célestins, le quai de l’Hôtel de Ville. J’ai noté l’heure. Il était exactement 21 heures 22 – à l’heure allemande – lorsque nous débouchâmes sur la place de l’Hôtel de Ville. Le jour se mourait.

Toutes les cloches de Paris se mirent à sonner

Ce fut la frénésie. Nous avions traversé la moitié de Paris. Un Paris de révolution et de barricades, dans un enthousiasme indescriptible, sans apercevoir un Allemand. D’ailleurs, notre mission n’était pas de les apercevoir, elle était au contraire de les éviter, d’apporter le réconfort de notre présence symbolique, annonciatrice de la grande offensive du lendemain. À notre passage, la « Marseillaise » jaillissait, une « Marseillaise » formidable. Nous avions l’impression quelle couvrait la ville. Tout d’un coup, les cloches de Paris se mirent a sonner. Toutes les cloches de Paris, les unes après les autres, puis toutes ensemble. J’entends encore leur musique toutes les fois que j’y pense.

Jamais soldats ne furent tant fêtés et tant embrassés.

Je donnai mes ordres, rapidement, avec peine, dans cette foule délirante. Il fallait garder la tête froide et prendre les dispositions en cas d’une riposte éventuelle.
J’ai rarement dans ma vie été aussi heureux. Rarement aussi j’ai éprouvé autant d’appréhension, « Il est si facile, me disais-je, sinon de détruire Paris, du moins d’y causer de graves dommages jusqu’à demain. Il suffirait de lancer sur des ilots successifs quelques obus au phosphore, de couper l’eau et d’interdire avec quelques rafales l’intervention des sauveteurs. Demain, Paris pouvait être en flammes. »

Georges Bidault me reçoit à l’hôtel de ville

Je montai à l’Hôtel de Ville. Dans le grand salon du premier étage, tout illuminé, fenêtres ouvertes sur la place, un petit homme très ému m’ouvrit les bras. Il s’appelait Georges Bidault[[Bidault Georges (1899-1983).
Né le 5 octobre 1899 à Moulins (Allier), il milite à l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF). Avec Francisque Gay il fonde le périodique démocrate-chrétien L’Aube dont il est éditorialiste et dénonce les ligues d’extrême-droite, les dictatures et l’antisémitisme. Prisonnier, libéré en juillet 1941, il rejoint la zone sud et le mouvement Combat. Il succède en 1943 à Jean Moulin à la tête du Conseil national de la résistance, et accueille, à ce titre, à Paris le 25 août 1944 de Gaulle dont il devient le ministre des Affaires étrangères. L’un des fondateurs du MRP, il en est président en 1949. Député de la Loire, il est plusieurs fois ministre des Affaires étrangères et président du Conseil (46 et 50). Partisan du maintien de l’empire colonial dans le cadre de l’Union française, il soutient de Gaulle dès le 13 mai 1958 et rompt avec le MRP. Après le discours sur l’autodétermination de l’Algérie, il succède en 1962 à Salan à la tête de l’OAS. Son immunité parlementaire levée, il s’exile en 1962, jusqu’à son amnistie en 1968. Il fonde le mouvement Justice et Liberté qu’il quitte en 1972, en raison de sa majorité néo-fasciste. Il meurt le 27 janvier 1983.]]. Il y avait là tout l’état-major de la résistance intérieure parisienne. Tout de suite, d’emblée, instinctivement, les hommes de l’action clandestine en France et les soldats en uniforme venus de l’extérieur se sentaient d’accord sur un grand idéal commun. Ils n’avaient pas besoin de parler pour se comprendre. Soudain, dans ce grand salon bondé de lumières, de gens et d’enthousiasme, des balles sifflèrent. De loin, une mitrailleuse allemande tirait ses rafales à travers les fenêtres grandes ouvertes. Un lustre vola en éclats. On chercha à éteindre les lumières mais on ne trouva pas les interrupteurs. Ces rafales furent bénéfiques. Elles freinèrent les manifestations d’enthousiasme et rappelèrent tout le monde à la réalité des choses : les Allemands étaient encore là.
Je descendis sur la place pour préciser les ordres. Chars et half-tracks furent disposés en hérisson autour de l’Hôtel de Ville, en surveillance des points d’attaque possible.

À la préfecture de police

Un agent de police vint me trouver et me demanda d’aller avec lui à la préfecture de police. Je passai le commandement à Granell. Outre Granell, il y avait là le sergent-chef Bernal[[Martín Bernal, Aragonais de Saragosse, un colosse tranquille, ancien toréador sous le nom de : Larita Segundo, évadé des prisons franquistes après la guerre civile, il traverse à pied l’Espagne et passe la frontière en septembre 1939, par les Pyrénées. Il s’engage dans l’armée française, et à la fin de la drôle de guerre, il rejoint les troupes de Leclerc. Sergent-chef, par son courage il s’impose rapidement dans La Nueve. Décoré de la Croix de Guerre avec étoile d’argent pour avoir affronter un ennemi supérieur en nombre en faisant de nombreuse victimes dans leur rangs et en sauvant un compagnon blessé.]], l’adjudant-chef Neyret, l’adjudant-chef Caron, le sous-lieutenant Elias.

Bernal, un géant, aujourd’hui installé dans la région parisienne, avait été torero en Espagne. Il avait fière allure. Il exerçait un très grand ascendant sur ses hommes, qui avaient entière confiance en lui. Il avait l’art de se faire obéir sans avoir l’air de commander. Neyret, vieux sous-officier de la Coloniale, était tout le contraire de Bernal. Il représentait le règlement, mais un règlement humainement interprété. Par sa science et par sa conscience, Neyret avait gagné l’estime et la sympathie de gens qui n’étaient pas toujours faciles.

L’adjudant-chef des chars Caron et le sous-lieutenant Elias devaient être blessés, le premier mortellement, l’autre grièvement le lendemain matin 25 août, lors de l’opération de dégagement du central téléphonique Archives, Caron était imprudemment assis sur la tourelle de son char, pour mieux surveiller la rue. Elias, élève à l’École Coloniale, nous avait rejoint à travers l’Espagne en Afrique du Nord. Il venait d’être blessé et évacué quand, le 25 août, à midi, sa mère et sa sœur arrivèrent à la place de l’Hôtel-de-Ville et demandèrent à le voir.

Dans la nuit, je partis vers la préfecture de police avec le gardien de la paix et mon fidèle Pirlian. Pirlian, Arménien d’origine s’était engagé en Afrique du Nord. Il était – il est encore – tout petit. Il doit être maintenant tailleur du côté de Nice. Il était brave dans tous les sens du terme, aussi bien dans le sens « héroïque » que dans le sens que donnent à ce mot les Marseillais. Je le vois encore quelques mois plus tard, à plat ventre dans le purin, derrière un tas de fumier lorrain posé en bordure de rue, en train d’essayer de lancer, avec un bazooka dont la pile avait manifestement des ratés, une fusée contre un char allemand qui tournait lentement au coin de la rue. Pirlian était bien embêté. Moi aussi…

Un garçon de bains qui a fait son chemin

Le gardien de la paix nous emmena prudemment, par un itinéraire détourné à la préfecture de police. Il y avait beaucoup de monde, des gardiens en uniforme, des civils, un très jeune général dans un bel uniforme kaki tout neuf, et le préfet de police de la libération, M.Luizet. La police avait pris l’initiative et la tête de la résistance parisienne. Elle redoutait, à juste titre, une dernière réaction de représailles de la part de l’occupant allemand. Le jeune général, aimable, sympathique et dynamique, un peu timide, s’appelait Delmas, il est aujourd’hui plus connu sous le nom de Chaban-Delmas[[Jacques Delmas, dit Chaban-Delmas (1915-2000), Aspirant puis sous-lieutenant pendant la drôle de guerre au 75e Bataillon alpin de forteresse.

Il refuse la défaite et tente de partir en Angleterre en août 1940. N’étant pas parvenu à quitter la France, il entre, à Paris fin décembre 1940, dans le réseau de renseignements Hector, organisation de résistance du Nord de la France. Il est spécialisé dans le renseignement sur l’industrie et en particulier sur la mise à la disposition des Allemands de l’industrie française. Il entre en juin 1941 au Ministère de la Production industrielle.

À la fin 1942, il entre directement en contact avec les représentants de Londres et se livre à un travail de renseignement dans les services du Ministère de l’Industrie.

Il poursuit son activité de renseignement avec l’Organisation civile et militaire (OCM) qui a succédé à Hector en fusionnant avec d’autres organismes résistants.

En octobre 1943, il devient « Chaban » et entre à la Délégation militaire du Comité français de la Libération nationale (CFLN) comme adjoint au délégué militaire national, le commandant Louis Mangin.

En mai 1944, il est nommé délégué militaire national chargé de transmettre les ordres du Haut-commandement interallié (général Koenig) à la Résistance intérieure et de veiller à leur application. Promu général de brigade par décision du Gouvernement d’Alger le 15 juin 1944 (le plus jeune général que la France ait connu depuis le Premier Empire), il quitte Paris pour Londres le 25 juillet 1944 afin de rendre compte au Commandement allié des possibilités militaires de la Résistance.

Avec Alexandre Parodi, délégué général, il s’oppose à la stratégie insurrectionnelle du COMAC (Comité d’Action du Conseil national de la Résistance). Il demande instamment que le plan d’opérations qui prévoyait la chute de Paris soit modifié de manière à éviter à la capitale destructions et massacres inutiles.

Il repart de Londres le 13 août 1944 nanti des ordres du général Koenig. Amené au Mans par les Américains le 14 août, il arrive à Paris le 16 à bicyclette. Il accueille le général Leclerc à Arpajon le 24 août 1944 et entre avec lui dans Paris.
Après la libération de la capitale, Chaban sert au cabinet du ministre de la Guerre comme chef de la Mission de liaison et d’inspection mobile d’organisation de l’Armée. Pendant sa carrière politique, il est élu député-maire de Bordeaux de 1947 à 1995, il présida l’Assemblée nationale à trois reprises, de 1958 à 1969, de 1978 à 1981 et de 1986 à 1988 et exerça les fonctions de Premier ministre de 1969 à 1972 sous la présidence de Georges Pompidou. ordredelaliberation.fr]].

Bien entendu, la réception fut des plus cordiales et des plus enthousiastes. J’annonçai l’arrivée du gros de la division pour le lendemain matin. Manifestement, les responsables de la préfecture de police éprouvaient les mêmes appréhensions que moi.
Je crois que c’est M. Luizet qui me demanda ce que je voulais. Devant tous ces gens propres et bien habillés, je me sentis soudain un complexe. Je me rendis compte que j’étais dégoûtant et que je détonnais. Je portais sur moi une étonnante couche de crasse, un composé de sueur, de poussière, de boue, de gaz-oil, de vapeurs d’essence. Je réclamai un bain qu’un jeune attaché du préfet de police me prépara aussitôt. Lavé, vêtu de linge et d’une combinaison propres, je me sentis un autre homme.

Le garçon de bains improvisé s’appelait Félix Gaillard[[Félix Gaillard, (1919-1970) homme politique français. Inspecteur des finances en 1943, il participe activement à la Résistance en France à partir de 1943. Il est adjoint en 1944 d’Alexandre Parodi, délégué du GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) en France.
Il est élu député du Parti radical-socialiste de la Charente, sur la liste Rassemblement des gauches républicaines, et conserve ce mandat jusqu’à sa mort.]].

lozano-2.jpg
half.jpg
hispania-lib-paris-20-ans.jpg

Leclerc Philippe, Général

Le général Leclerc – « el patrón », comme les hommes de la Nueve l’appelaient – gagna amplement la confiance et l’estime de tous les Espagnols. Sa notion originale et efficace de la discipline cadrait parfaitement avec le caractère et les valeurs de ces soldats : ne pas rester passif, prendre toujours l’initiative, réagir immédiatement devant un obstacle imprévu – sans attendre la note ou l’ordre –, s’adapter aux circonstances les plus inattendues, atteindre l’objectif dans le cadre de la mission donnée, et, surtout, ne pas obéir à des ordres stupides…
Les Espagnols savaient que Leclerc était un militaire qui n’avait pas hésité à choisir « la lutte pour la liberté » . Tous savaient aussi que « el patrón » défendait au maximum la vie de ses soldats et qu’il avait même refusé par écrit d’exécuter des ordres qu’il considérait insuffisamment étudiés, mal conçus et pouvant mettre en péril, sans aucun profit, l’existence de ses hommes. Les Espagnols appréciaient de le voir arriver en première ligne, gardant son calme sous une pluie de feu. Dans l’expérience de la guerre, une surprenante symbiose faite de confiance réciproque se tissa entre Leclerc et ces républicains espagnols, et jusqu’au dernier instant.
Ses officiers étaient ceux qui connaissaient le mieux ses colères fulgurantes. Beaucoup savaient qu’il pouvait être, dans ces moments, excessivement sévère ou injuste, bien qu’il fût capable, ensuite, de le reconnaître et de s’excuser. La plupart d’entre eux admiraient chez Leclerc sa capacité de synthèse et sa grande facilité à distinguer immédiatement l’essentiel. Chaque réunion ou discussion avec eux s’achevaient sur des conclusions précises et l’élaboration d’objectifs clairs et bien définis. Tous ces hommes admiraient ses extraordinaires capacités militaires, reconnues également par le haut commandement allié, qui le respecta comme un grand stratège.
« Ne me dites pas que c’est impossible » est une des phrases qui caractérisent Philippe de Hauteclocque. Une autre des plus connues est : « Il ne faut jamais exécuter les ordres idiots » ; expression particulièrement curieuse, pour un militaire de carrière traditionnel à la discipline rigoureuse, qui définit le caractère particulier du soldat Leclerc.

Programme des manifestations de 2014

CINÉMA

RÉVOLUTION, GUERRE ET EXIL DES RÉPUBLICAINS ESPAGNOLS
Vendredi 5 septembre à 20 heures Cinéma la Clef à Paris* – BAJO EL SIGNO LIBERTARIO Un film de Les. 1936. 16’ – CONTES DE L’EXIL ORDINAIRE Un film de René Grando. 1989. 52’. Avec la présence de René Grando – LA NUEVE OU LES OUBLIÉS DE LA VICTOIRE Un film d’Alberto Marquardt. 2009. 53’

EXPOSITION

LA NUEVE À TRAVERS LES TOILES DE JUAN CHICA VENTURA Exposition dans la salle Francisco Ferrer Guardia de la Bourse du travail et au cinéma la Clef*

CONCERT

UN NUAGE ESPAGNOL, MÉMOIRES D’EXILS – TRIO UTGÉ-ROYO Dimanche 22 juin à 18 heures. L’Européen à Paris*

COLLOQUE

RÉVOLUTION, GUERRE ET EXIL DES RÉPUBLICAINS ESPAGNOLS Vendredi 22 août à 14 heures, Bourse du travail de Paris*
LA RÉVOLUTION SOCIALE ESPAGNOLEL’EXIL DES RÉPUBLICAINS ESPAGNOLSNO MATARON SUS IDEAS : HISTOIRE D’UN EXIL POLITIQUE OU LA LUTTE CONTRE L’OUBLILES COMBATTANTS ESPAGNOLS DANS LA RÉSISTANCE FRANÇAISE ET DANS LA LIBÉRATION DE PARIS

THÉÂTRE

LA NUEVE MISE EN SCÈNE PAR ARMAND GATTI Samedi 23 août à 20 heures La Parole errante à Montreuil*

MANIFESTATION

SUR LE CHEMIN DE LA NUEVE Dimanche 24 août à 14 heures


*LES LIEUX – L’Européen, 3 rue Biot, Paris 17e, métro Place de Clichy – La Bourse du travail, Salles Louise Michel et Francisco Ferrer Guardia, 3 Rue du Château d’Eau, Paris 10e, métro République – Le cinéma la Clef, 34 Rue Daubenton, Paris 5e, métro Censier-Daubenton – La Parole errante, 9 Rue François Debergue, 93100 Montreuil, métro Croix de Chavaux


Télécharger le programme complet : Progranmme des manifestation de 2014 programme2.jpg

programme2_page_1.jpg
programme2.jpg

Documents joints

 

Luis Royo-Ibanez : « Je fonce sur Paris… »

Il était membre de la 9 ème compagnie qui participa à la libération de Paris à bord d’un Half-Track baptisé  » Madrid « , en mémoire des combats contre les troupes franquistes près de la capitale espagnole. Ce Catalan engagé à l’âge de dix-sept ans dans l’armée républicaine raconte son parcours, de Madrid à Agde dans l’Hérault, de Marseille à Oran, du Maroc au pays de Galles, de Omaha Beach[[ En fait, La Nueve a débarqué à Utah-Beach]] à Paris, jusqu’à sa blessure dans les Vosges. Ses camarades de combats, le général Leclerc, sa joie d’entrer dans Paris, le défilé sur les Champs-Élysées, les femmes tondues, les FFI. Voici son témoignage.

Q. Vous êtes un des premiers soldats de la division Leclerc qui ont participé à la libération de Paris. Après tant d’années, à quoi pensez-vous d’abord ?

Luis Royo-Ibanez. D’abord ? A mes dix camarades du Half-Track  » Madrid  » que je conduisais. Ils ont tous disparu. Je pense à mon chef de section Moreno, à ces dix Espagnols vaincus par les franquistes soutenus par les nazis et les fascistes italiens. Lorsque l’ordre nous a été donné par Leclerc de  » foncer sur Paris « , nous étions ivres de joie et de bonheur. Nous allions participer, aux premières loges, à la libération de Paris, nous allions chasser les Allemands et surtout prendre notre revanche sur ceux qui avaient assassiné la République espagnole que nous défendions à l’époque avec des tromblons datant de la guerre 1914-1918. En débarquant en France, en combattant dans l’Orne, en pénétrant dans la capitale de la France, nous disposions d’un armement américain moderne. Je pense à mon Half-Track  » Madrid « , à sa vitesse, à sa puissance de feu. Nous étions déterminés, bien armés et entraînés, bien commandés, bien guidés par les FFI. Les Allemands n’avaient, cette fois, qu’à bien se tenir.

Q. Vous avez débarqué à Omaha Beach, [[voir note N°1]] le 1er août 1944. Saviez-vous que l’objectif était Paris ?

Luis Royo-Ibanez. Absolument pas. Nous avons combattu d’abord dans l’Orne, où a eu lieu la première rencontre avec la résistance chargée de nous renseigner. C’est un FFI espagnol qui nous a ouvert le chemin jusqu’à Alençon puis à Écouché. Dans cette ville nous avons libéré des aviateurs américains et nous avons eu nos premiers morts. Il a fallu attendre la relève (des Polonais) avant d’entendre l’ordre :  » Objectif Paris « . Une des chenilles de mon Half-Track avait été touchée pendant les combats. Nous avons effectué une réparation de fortune avant de parcourir en une journée environ 200 kilomètres, pour une première halte près d’Arpajon. Pendant une inspection, Leclerc a repéré l’état de la chenille et nous a dit :  » Il faut réparer.  » Nous étions si pressés que nous lui avons répondu :  » Elle a tenu deux cents kilomètres, elle tiendra jusqu’à Paris.  » Le général a haussé le ton. Trois heures après et avec une chenille neuve, direction Antony. Les habitants sortaient des maisons, surtout les femmes, nous félicitaient, nous embrassaient alors même que les Allemands bombardaient toujours le coin. C’était bien agréable, très agréable, mais dangereux.

Q. Comment s’est déroulée votre entrée dans Paris ?

Luis Royo-Ibanez. Par la porte d’Orléans, et toujours guidés par les FFI car nous ne disposions d’aucun plan et ne connaissions pas la route. Avec un premier objectif : l’école militaire. Là , nous avons été accueillis par des tirs nourris provenant des maisons entourant les Invalides. Ce n’étaient pas les Allemands mais la milice française. Une fois cette poche éliminée, nous avons reçu l’ordre de rejoindre l’Hôtel de Ville, toujours en compagnie des FFI. Il y avait beaucoup de monde. Le Half-Track  » Madrid  » a pris position devant la porte centrale. Imaginez notre joie et notre fierté. Pourtant, un événement nous a choqués. Plusieurs individus ont entraîné des femmes pour les tondre sur la place. Un spectacle insupportable, qui en rappelait d’autres : les troupes franquistes pratiquaient de la même manière en Espagne. Nous les avons dispersés en leur disant :  » Vous voulez en découdre ? Alors prenez les armes, partez sur le front, combattez les Allemands et laissez ces femmes tranquilles.  » Ils ont quitté les lieux. Je sais qu’ils ont continué un peu plus loin leur sinistre besogne. Nous avons demandé à nos officiers d’informer Leclerc.

Q. Vous affirmez avoir été  » bien commandés « . Quel souvenir gardez-vous du général Leclerc, un aristocrate qui disait de vous :  » Je commande une troupe de rouges, mais quel courage.  » ?

Luis Royo-Ibanez. Leclerc n’était pas un général français. C’était un véritable général républicain espagnol, comme ceux qui nous commandaient pendant la guerre contre les franquistes. Je vous explique. Leclerc était intelligent, courageux et d’une grande simplicité. Il exigeait et obtenait une discipline rigoureuse avant et pendant les combats. Après, il redevenait un homme parmi les autres, une attitude peu courante chez les officiers supérieurs français. Nous avions pour Leclerc un immense respect et beaucoup d’affection.
Q. Après la libération de Paris, vous avez poursuivi le combat.

Luis Royo-Ibanez. J’ai participé au premier défilé sur les Champs-Élysées. Puis nous avons pris la route de Troyes, Chaumont, Vittel. J’ai été blessé un peu plus tard dans les Vosges. Après avoir été soigné sur place, j’ai été rapatrié par avion à Oxford avant de revenir en convalescence en France, à l’hôpital de Saint-Germain. J’ai été démobilisé en 1945. Je croyais, à l’époque, que Franco et Madrid seraient nos prochains objectifs. Vous savez ce qu’il est advenu.

Q. C’est en Espagne que vous avez combattu pour la première fois. Comment avez-vous rejoint plus tard la division Leclerc ?

Luis Royo-Ibanez. En 1938, à dix-sept ans, je me suis engagé dans l’armée républicaine. J’ai été blessé à la jambe et à la joue au cours de la célèbre bataille de l’Ebre. Puis j’ai participé à la relève des Brigades internationales à Tortosa. En février 1939, j’ai pris la route de l’exil, comme des dizaines de milliers d’autres, en franchissant à pied les Pyrénées sous la neige et le froid pour finir parqué pendant plusieurs mois dans une baraque avec 250 autres Espagnols, à Agde, dans l’Hérault. Des cousins ont réussi à me faire sortir. J’ai travaillé dans les vignes et, un certain 18 juin 1940, j’ai entendu l’appel du général de Gaulle. Ce jour-là , mes cousines cherchaient une station diffusant la musique à la mode lorsque nous sommes tombés, par hasard, sur Radio Londres. À l’époque, deux possibilités s’offraient à moi : le travail en Allemagne ou le retour forcé en Espagne avec au mieux la prison, au pire l’exécution. J’ai alors choisi de m’engager dans la Légion, à Marseille. Avec quinze autres Espagnols, nous avons été expédiés à Oran puis au Maroc avec une seule idée en tête : rejoindre les alliés. Plus tard, lorsque l’occasion s’est présentée, j’ai déserté pour rejoindre Leclerc. Un voyage de deux mille kilomètres à pied, en camion, en chameau. J’étais jeune et costaud ! Le souvenir de mes copains du Half-Track  » Madrid « , depuis soixante ans, ne m’a jamais quitté. J’aimerais leur dire : combien nous étions heureux de libérer Paris, de vaincre les nazis ! Combien nous étions malheureux que le combat s’arrête aux portes des Pyrénées, permettant ainsi à Franco de se maintenir au pouvoir pendant plus de trente ans ! J’aimerais leur dire aussi : notre rôle dans les combats de la Libération a été passé, presque, sous silence.

José Fort

La Nueve, une BD de Paco Roca

« L’auteur espagnol Paco Roca raconte dans ce roman graphique qui vient de paraître, La Nueve (Delcourt), l’odyssée tragique et méconnue de ces républicains espagnols, qui furent, au sein de la 9e compagnie de division Leclerc, les premiers à entrer dans Paris le 24 août 1944.

Ce récit graphique restitue à travers les souvenirs de Miguel Ruiz, un anarchiste espagnol exilé en France, l’aventure de ces héros oubliés qui ont pourtant contribué à la Libération de Paris. Paco Roca entraîne le lecteur, de l’Espagne tombée aux mains des franquistes en 1939 au Paris libéré de 1944, en passant par la Tunisie. L’auteur se met lui-même en scène dans la BD quand il interroge le vieux Miguel, un survivant de cette épopée.
nueve3-610.jpg nueve4-610.jpg
Plusieurs fois primé, dans son pays, en Italie et au Japon, Paco Roca, né en 1969 à Valence, fait partie de cette nouvelle génération d’auteurs espagnols qui flirte avec les thèmes de société. Il a notamment publié en 2007 un roman graphique traduit en dix langues et vendu à 30 000 exemplaires en Espagne, Rides (Delcourt), réédité en 2013 sous le titre La tête en l’air, où il évoquait avec sensibilité la maladie d’Alzheimer. En 2012, il a publié chez Rakham L’Hiver du dessinateur. »


Vous pouvez consulter la BD en ligne sur le site du Monde

"La Nueve", de Paco Roca : 24 août 1944, à l'Hôtel de Ville de Paris.
« La Nueve », de Paco Roca : 24 août 1944, à l’Hôtel de Ville de Paris.
nueve4-610.jpg
nueve3-610.jpg

Des rebelles en avant-garde

Dans ces camps, on leur avait donné le choix de s’enrôler dans la Légion étrangère ou de rentrer au pays.

Disséminés en Afrique au sein des armées régulières de Pétain, beaucoup désertèrent pour rejoindre Leclerc, lorsque celui-ci organisa l’armée de la France libre. Avec lui, ils combattirent et triomphèrent dans tous les combats livrés, y compris contre l’armée de Mussolini et l’Afrikakorps, les troupes du maréchal Rommel, pourtant réputées invincibles.

 

Camp Morand Algérie, Manuel Lozano (2e droite accroupi)

Lorsque le général Leclerc forma sa fameuse 2e DB, en 1943, les Espagnols représentaient déjà une force importante au sein de son armée. Tous, ou presque, furent alors regroupés en un bataillon composé de quatre compagnies dont chacune abritait plus d’un tiers d’Espagnols, à l’exception de la neuvième, espagnole par excellence, où même la langue officielle et le commandement étaient espagnols. Dans ce bataillon d’infanterie craint et respecté, la Nueve avait pour mission de se tenir à l’avant-garde et d’affronter l’ennemi en première ligne.

Koufra 1941

Les supérieurs de ces soldats, considérés comme des individualistes et des idéalistes quelque peu insensés, leur reconnaissaient également une vaillance extraordinaire, le courage de ne jamais reculer ni céder un pouce du terrain conquis.

D’après Raymond Dronne, capitaine de la Nueve, ces soldats, que beaucoup voyaient comme des rebelles, « n’avaient pas l’esprit militaire. Quelques-uns étaient même antimilitaristes. Mais ils étaient de magnifiques soldats, des guerriers courageux et expérimentés ». « Ils avaient spontanément et volontairement épousé notre cause », concluait-il, c’est parce « qu’elle était la cause de la liberté. »

Au sein des armées du général Leclerc, la Nueve se prépara en Afrique et en Angleterre, débarqua en Normandie à la fin du mois de juillet 1944, libéra Paris, et endura les plus durs combats pour libérer l’Alsace et sa capitale, Strasbourg. Elle parvint, enfin, jusqu’au bunker de Hitler, à Berchtesgaden.

Trophés-pris-à-l’ennemi-par-la-Nueve

Pendant tout le conflit, sur chaque tombe des compagnons morts au combat, les hommes de la Nueve déposaient un petit drapeau républicain espagnol.

Tombe-de-Constant-PUJOL-Écouché-

La route de la Colonne Dronne (dont la Nueve) à travers Paris – 2004

La colonne Dronne, avant garde de la 2e Division Blindée du général Leclerc, est envoyée par ce dernier en avant-garde de la division pour rassurer et avertir les parisiens de leur venue imminente.
Elle pénètre dans Paris par la rue des Peupliers (au coin avec la rue Brillat-Savarin 13e)
Elle composée comme suit:
– 3 chars (Montmirail, Champaubert, Romilly) de la 1ère section de la 2ème compagnie du 501 RCC (Régiment de Chars de Combat) commandée par le lieutenant Michard;
– la section de commandement de la Nueve : Jeep Mort aux Cons du capitaine Dronne + HT Les Cosaques, avec le HT La Rescousse du dépannage.
– la 2ème section de la Nueve : HT Resistance, Teruel, Libération, Nous Voilà et Ebre, commandée par le sous-lieutenant Elias;
– La 3ème section de la Nueve : HT Tunisie 43, Brunete, Amiral Buiza, Guadalajara et Santander, commandée par l’adjudant-chef Campos;
– la 2ème section de la 3ème compagnie du 13ème Régiment du Génie : Jeeps Le Criquet et Mectoub II, un camion GMC, HT L’Entreprenant, Le Volontaire et Le Méthodique, commandée par l’adjudant-chef Gérard Cancel.

Soixante dix ans après sa libération, Paris conserve encore sur les murs d’immeubles les traces de la Seconde Guerre mondiale. Depuis 2004, 11 plaques honorent le parcours de la Nueve depuis leur entrée Porte d’Italie.

carte2.jpg

Plaque Adresse
1

Porte d'Italie. 162, Avenue d'Italie. 75013.
Porte d’Italie. 162, Avenue d’Italie. 75013.

Porte d’Italie. 162, Avenue d’Italie. 75013. Point d’entrée dans la Capitale.

2

Colège 55, rue de Baudricourt 75013.
Colège 55, rue de Baudricourt 75013.

Collège 55, rue de Baudricourt 75013. La Nueve abandonne l’Avenue d’Italie et initie un zig zag pour éviter les allemands.

3

Place Nationale, 75013
Place Nationale, 75013

Place Nationale, 75013. La Nueve tourne vers la rue Nationale pour esquiver une menace nazie.

4

Place de la rue Nationale.
Place de la rue Nationale.

Rue Nationale. 123º-131 bis, rue Nationale, 75013.

5

Place Pinel, 75013.
Place Pinel, 75013.

Place Pinel, 75013. La Nueve évite un poste allemand.

6

20, rue Esquirol, 75013
20, rue Esquirol, 75013

20, rue Esquirol, 75013. Dernier passage à travers les rues étroites de ce quartier. La Seine est proche

7

68, Boulevard de l’hôpital
68, Boulevard de l’hôpital

68, Boulevard de l’hôpital, 75013. Descente vers la Seine.

8

Pont d'Austerlitz, 75012
Pont d’Austerlitz, 75012

Pont d’Austerlitz, 75012. La Nueve l’empreinte pour atteindre le centre de Paris.

9

Quai Henri IV, 75004
Quai Henri IV, 75004

Quai Henri IV, 75004.

10

Quai de l’Hôtel de Ville, 75004
Quai de l’Hôtel de Ville, 75004

Quai de l’Hôtel de Ville, 75004.

11

Place de l'Hôtel de Ville
Place de l’Hôtel de Ville

Place de l’Hôtel de Ville, Arrivée à la Mairie de Paris.

plaque.jpg

carte.jpg
Colège 55, rue de Baudricourt 75013.
Colège 55, rue de Baudricourt 75013.
Place Nationale, 75013
Place Nationale, 75013
Place de la rue Nationale.
Place de la rue Nationale.
Place Pinel, 75013.
Place Pinel, 75013.
20, rue Esquirol, 75013
20, rue Esquirol, 75013
68, Boulevard de l’hôpital
68, Boulevard de l’hôpital
Pont d'Austerlitz, 75012
Pont d’Austerlitz, 75012
Quai Henri IV, 75004
Quai Henri IV, 75004
Quai de l’Hôtel de Ville, 75004
Quai de l’Hôtel de Ville, 75004
Place de l'Hôtel de Ville
Place de l’Hôtel de Ville
63 rue des archives 75004
63 rue des archives 75004
Bois de Boulogne, 75016
Bois de Boulogne, 75016
Monument au Général De Gaulle. Place Clemenceau, 75008
Monument au Général De Gaulle. Place Clemenceau, 75008
Place de la République, 75003
Place de la République, 75003
Porte d'Italie. 162, Avenue d'Italie. 75013.
Porte d’Italie. 162, Avenue d’Italie. 75013.
plaque.jpg
carte2.jpg

Le 26 Août 1944, De Gaulle passe la Nueve en revue.

Le 26 août 1944 , avant de défiler sur les Champs-Élysées, le général de Gaulle passait en revue les Espagnols de la Nueve, premiers soldats de la France libre à entrer dans Paris. Ils étaient reconnus et acclamés comme des héros ayant pleinement contribué à la libération de la capitale.

nueve-champs.jpg

« Nos frères d’Espagne » par Albert CAMUS

Cette guerre européenne qui commença en Espagne, il y a huit ans, ne pourra se terminer sans l’Espagne. Déjà la péninsule bouge. On annonce un remaniement ministériel à Lisbonne. Et de nouveau la voix des républicains espagnols se fait entendre sur les ondes. C’est, le moment peut-être de revenir à ce peuple sans égal, si grand par le c?ur et la fierté et qui n’a jamais démérité à la face du monde depuis l’heure désespérée de sa défaite.

Car c’est le peuple espagnol qui a été choisi au début de cette guerre pour donner à l’Europe l’exemple des vertus qui devaient finir par le sauver. Mais à vrai dire c’est nous et nos alliés qui l’avions choisi pour cela.

C’est pourquoi beaucoup d’entre nous depuis 1938 n’ont plus jamais pensé à ce pays fraternel sans une secrète honte. Et nous avions honte deux fois. Car nous l’avons d’abord laissé mourir seul. Et lors qu’ensuite, nos frères vaincus par les mêmes armes qui devaient nous écraser, sont venus vers nous, nous leur avons donné des gendarmes pour les garder à distance. Ceux que nous appelions alors nos gouvernants avaient inventé des noms pour cette démission, ils la nommaient, selon les jours, non intervention, ou réalisme politique. Que pouvait peser devant des termes si impérieux le pauvre mot d’honneur ?

Mais ce peuple qui trouve si naturellement le langage de la grandeur s’éveille à peine de six années de silence, dans la misère et l’oppression qu’il avait compris que désormais c’était lui à lui de nous tendre la main, le voilà tout entier dans sa générosité sans peine aucune pour trouver ce qu’il fallait dire.

Hier à la radio de Londres, ses représentants, ont dit que le peuple français et le peuple espagnol avaient en commun les mêmes souffrances, que des républicains français avaient été victimes des phalangistes espagnols comme les républicains espagnols
L’avaient été des fascistes français et qui unis dans la même douleur ces deux pays devaient l’être demain dans les joies de la liberté.

Qui d’entre nous pourrait rester insensible à cela ?
Et comment ne dirions-nous pas ici aussi haut qu’il est possible, que nous ne devons pas recommencer les mêmes erreurs et qu’il nous faut reconnaître nos frères et les libérer à leur tour ?

L’Espagne a déjà payé le prix de la liberté.
Personne ne peut douter que ce peuple farouche est prêt à recommencer. Mais c’est aux Alliés de lui économiser ce sang dont il est si prodigue et dont l’Europe devrait se montrer si avare en donnant à nos camarades espagnols la République pour laquelle ils se sont tant battus.

Ce peuple a droit à la parole.
Qu’on la lui donne une seule minute et il n’aura qu’une seule voix pour crier son mépris du régime franquiste et sa passion pour la liberté. Si l’honneur, la fidélité, si le malheur et la noblesse d’un grand peuple sont les raisons de notre lutte, reconnaissons qu’elle dépasse nos frontières et qu’elle ne serai jamais victorieuse chez nous tant qu’elle sera écrasée dans la douloureuse Espagne.

COMBAT du 7 septembre 1944
COMBAT du 7 septembre 1944

COMBAT du 7 septembre 1944
COMBAT du 7 septembre 1944

Baro Victor

Réfugié espagnol, il passera la frontière avec les Républicains, et sera enfermé dans un camp en bordure de mer en Roussillon. Puis, il s’engagera dans l’armée. Il n’a pas encore 18 ans, sous le nom de guerre « RICO Juan ».
Pendant la période de captivité, le premier mot français qu’il prononce est cornichon. Ne sachant pas que la signification est péjorative lorsqu’il traite une personne de « cornichon », il appelle le résident par ce mot, ce qui lui vaut des histoires. C’est aussi le surnom que les Chalabrois (habitants de Chalabre, dans le département de l’Aude) lui attribueront par la suite.

Le 4 août 1944, comme tirailleur lourd, avec ses compagnons, il pose le pied sur le sol de France à Saint Martin de Varreville (Utah Beach). Le 12, il est à Alençon. Avec Manuel Lozano, ils mettent hors de combat un blindé chenille allemand armé de mitrailleuses qui remontait la colonne, ce qui leur vaudra la croix de guerre avec citation. Le 21 août, alors qu’il se trouve devant Argentan, le général Leclerc est informé que la Résistance, qui s’est soulevée à Paris le 18 août, livre de violents combats dans toute la ville.
Mais en date du jeudi 24 août, les troupes des colonels Billotte, Dio et Langlade sont toujours bloquées aux portes de Paris. Leclerc qui applique les principes de l’attaque à tout prix depuis que les Français sont entrés en Normandie, lance un ordre au capitaine Dronne : «Dronne, filez sur Paris, entrez dans Paris, passez où vous voudrez, dites aux Parisiens de ne pas perdre courage, que demain matin la division toute entière sera dans Paris».

Le soir même à 20h 41, la colonne Dronneentre dans Paris par la Porte d’Italie. C’est une folle kermesse, une foule immense entoure les voitures et embrasse les équipages. A 22h 20, il fait encore jour lorsque les sections Michel Elias et Miguel Campos de la 9e Cie arrivent sur la place de l’hôtel de ville, accueillies par les FFI du colonel Henri Rol-Tanguy, ancien des Brigades Internationales, blessé sur le front de l’Ebre. Une formidable Marseillaise retentit et les cloches de Paris sonnent à toute volée, accompagnées par le bourdon de Notre-Dame.

Juan Rico et l’avant-garde du Régiment de Marche du Tchad sont reçus en héros dans Paris libérée. Plus tard dans la soirée, Raymond Dronne installé dans un lit de camp à même le trottoir entendra monter un chant hérité de l’Espagne des guerres napoléoniennes, le fameux « Paso del Ebro ».

 

Des tanks aux noms de : Madrid, Guadalajara, Teruel, Guernica …

 


Composition de la 9ème Compagnie de combat « La Nueve » – Régiment de Marche du Tchad – 2ème DB

Section de commandement

Commandement Véhicule Nom du véhicule
Capitaine Dronne (Commandement) Jeep Mort Aux Cons
Lieutenant Granell (Adjoint de Compagnie)

Adjudant Valero (Adjudant de Compagnie)

Half-Track Les Cosaques

 

1ère section

Commandement Véhicule Nom du véhicule
Sous-lieutenant Montoya (Chef de section)

Sergent Beliver (Chef de Groupe)

Half-Track Don Quichotte
Sergent-chef Moreno (Adjoint section)

Sergent-chef Ducros (Chef de groupe)

Half-Track Cap Serrat
Sergent Pujol (Chef de groupe) Half-Track Les Pingouïns
Sergent Gualda (Chef de groupe) Half-Track Madrid
Sergent Camons (Chef de groupe) Half-Track Guernica

 

2ème section

Commandement Véhicule Nom du véhicule
Sous-lieutenant Élias (Chef de section)
Sergent Cortés (Chef de Groupe)
Half-Track Résistance
Sergent-chef Bernal (Adjoint section)

Sergent Lafitte (Chef de groupe)

Half-Track Teruel
Sergent Callero (Chef de groupe) Half-Track Libération
Sergent Solana (Chef de groupe) Half-Track Nous Voilà
Sergent Marty (Chef de groupe) Half-Track L’Ebre

 

3ème section

Commandement Véhicule Nom du véhicule
Sergent-chef Campos (Chef de section)

Sergent Blanco (Chef de Groupe)

Half-Track Tunisie 43
Sergent-chef Reiter (Adjt sect/Chef de gpe) Half-Track Brunete
Sergent Morillas (Chef de groupe) Half-Track Amiral Buiza
Sergent Jiménez (Chef de groupe) Half-Track Guadalajara
Sergent Fabregas (Chef de groupe) Half-Track Santander

 

Section hors rang

Commandement Véhicule Nom du véhicule
Aspirant Cascaye (Chef de section) Camion
Sergent Ronchon (Comptabilité)

Sergent Mendelson (Bagages)

Sergent Ménager (Munitions)

Camion
Cpl Paulnier (Cuisine) Camion
Adjudant Neyret (Dépannage)

Sergent Pavloff (Dépannage)

Half-Track Recusse

Il est délicat de donner la composition des équipages car ceci est une photo à un instant T. De nombreux changements sont intervenus. Quelques exemples :

Jusqu’en novembre 1944, le HT Guadalajara était commandé par le sergent-chef Marc de POSSESSE.

De même, après l’évacuation de Vicente MONTOYA le 24 août 1944, HT Don Quichotte, Federico MORENO devient chef de section et José ZUBIETA, sur HT Cap Serrat, devient adjoint du chef de section

Commandement de Cie Cap. DRONNE Raymond
Officier adjoint Lieut. GRANEL Amado
Conducteur 2ème cl. MARTINEZ Gines

2ème cl. GIRARD Camille

Caporal DAJAN Marcel

Officier adjoint 2ème cl. VIUDES Laurent
Jeep de liaison n° 95122 Mort aux Cons

 

Ier groupe : Commandement

Chef de section, chef de ravitaillement Adj. Chef NEYRET François

(remplace ELIAS à Paris)

Sous-off. des transmissions et des renseignements, chef de groupe Adj. VALERO Pierre
Agent de transmissions Sergent HARMONIC Joseph

2ème classe DU PLESSIS D’ARGENTRE Gilles

1ère classe AGUILA Miguel (ex Gaëtan GARCIA)

Tireur à la mitrailleuse de 50 1ère classe LOZANO Manuel
Radio Cap.-chef PARISSE Georges
Conducteur 1ère classe HERRERO Martin
HT M9 n° 410 782 (à rouleau) LES COSAQUES

 

(1) Victoria Kent (Malaga, 6 mars 1898 – New York, 25 septembre 1987) est une avocate et femme politique radicale socialiste de la Seconde République espagnole. En poste à Paris en 1936 lorsqu’éclate la


Le débarquement allié au Maroc

« […] Sous le nom de Durand-Dupont, je suis arrivé à Oran, où on est restés quelques jours, puis à Sidi Bel Abbés, où se trouvait le quartier général de la Légion… « J’étais à Fez quand on a annoncé le débarquement américain. C’était un dimanche, et l’alerte a sonné à quatre heures du matin ; mais personne ne s’est levé parce que les officiers mariés étaient chez eux et qu’il n’y avait pas de commande- ment… On s’est levés à sept heures du matin et on a bu notre café. On s’est ensuite préparés tranquillement, dans l’après-midi, à partir. Ce qu’on a fait vers les sept heures du soir…

« La nuit, on a dormi au milieu du chemin ; et puis les officiers nous ont fait marcher en plein jour, quand l’aviation pouvait bien nous voir !… On aurait dû jeter aux ordures la plupart de ces officiers ! Les Américains se sont régalés à nous mitrailler ; ils ont fait une vraie boucherie parmi notre troupe. Comme on était des combattants de la guerre civile, on savait ce que ça voulait dire quand on les voyait piquer vers nous : on a pu se sauver parce que, alors, on quittait la route…

« Beaucoup d’entre nous, surtout les Espagnols, ont déserté pour rejoindre les Américains, parce qu’on voulait continuer la guerre contre Hitler ; et c’est pour ça qu’il fallait être dans le camp des Américains et pas dans celui des Français qui étaient avec eux [les Allemands]. »

La guerre de Tunisie

« Là-bas, la Légion a perdu presque tous ses hommes. Beaucoup sont morts et d’autres ont été faits prisonniers. Je crois que je suis sorti de cette guerre avec une certaine facilité parce que je n’ai jamais eu peur de mourir. Je me suis toujours dit que mourir n’est rien, que le pire serait d’être gravement blessé. »

« Quand la guerre s’est terminée, beaucoup d’entre nous, les survivants, avons déserté la Légion et rejoint la 2e DB, qui avait été formée par quelques officiers proches de la France libre du général de Gaulle pour combattre en Europe. C’est à ce moment-là que j’ai connu Campos, un Canarien très courageux et un brave homme: c’est lui qui s’occupait le plus de tous les Espagnols. Il allait les chercher partout, pour les convaincre de déserter, et il en ramenait des pleins camions pour les enrôler dans les troupes de la France libre. »

« Nous, les Espagnols, on avait tous un faux nom ; moi, on m’appelait « el Mejicano » (le Mexicain). Dans les troupes américaines, il y avait beaucoup de gens d’Amérique du Sud – du Chili, du Mexique –, et avec Leclerc aussi. J’avais choisi le nom de « José Ortega, el Mejicano » pour le cas où on nous ferait prisonniers : qu’on ne sache pas qu’on était Espagnols, parce qu’on savait ce qui nous attendait d’être Espagnol et d’avoir fait la guerre civile. À cette époque, être Espagnol était difficile… »

« C’est là, en Tunisie, qu’on nous a dit que tous ceux qui combattaient avec les Alliés sur le territoire français devaient être démobilisés ou s’enrôler dans les Forces françaises libres de de Gaulle, ou dans celles du général Giraud. Nous, les Espagnols, on s’est enrôlés dans les forces de de Gaulle. Leclerc a récupéré en Tunisie le 3e bataillon du Corps Franc, commandé par le colonel Putz [ex-combattant des Brigades internationales]. À ce moment-là, je l’ai fait aussi, mais avec le cœur serré, parce que j’aurais préféré rester avec les Américains. Je voulais lutter avec eux et, ensuite, m’en aller en Amérique. Ça n’a pas été possible, et je me suis engagé avec plusieurs compagnons – Granell, Campos, el Gitano, Bamba et Ortiz –, le 29 mai 1943, comme volontaire pour la durée de la guerre. »


Daniel Hernández
« Les nouvelles forces qui arrivaient dans la France libre remplaçaient les sol- dats noirs du régiment de marche du Tchad. Les soldats indigènes ont été mis de côté – par ordre supérieur –, après avoir combattu pendant trois ans avec le général Leclerc. On dit que Leclerc n’était pas content du tout, mais il n’a rien pu faire.
« À cause de problèmes entre lui et Leclerc, Giraud, qui commandait la zone, nous a expulsés… »


Manuel Fernández
« […] Les affrontements avec les Allemands ont été si durs, en Tunisie, la peur si intense, à certains moments, que j’ai eu l’occasion de voir une chose difficilement crédible : lors d’un combat, où il nous avait fallu toute une journée et toute une nuit pour déloger d’une maison de campagne les Allemands qui l’occupaient, en avançant petit à petit, pièce par pièce, j’avais à côté de moi un Italien, brave gars aux cheveux frisés. Un garçon pas mal. Quand il est revenu au combat, après la nuit de repos, personne ne l’a reconnu : il avait les cheveux complètement blancs, totalement blancs !…

« Il y a eu là-bas beaucoup, beaucoup de victimes. Un grand nombre d’Espagnols ont perdu la vie. Moi, j’ai été blessé en janvier. On m’a donné un mois de convalescence ; et, après, je suis retourné au front. La guerre s’est terminée le 5 mai ; et, le 7, le capitaine de la compagnie m’a appelé pour m’informer qu’on m’avait nommé « meilleur légionnaire » et me demander si je voulais, comme récompense, une médaille ou un mois de permission. Naturellement, je lui ai dit que je préférais un mois de permission.
« Plus tard, on m’a donné la Croix de guerre parce que, quand j’ai été blessé, et malgré les blessures, j’avais réussi à passer entre les tanks allemands, traverser le fleuve à la nage avec un seul bras valide, et parcourir, avec beaucoup de difficulté, 30 km jusqu’à rejoindre le régiment français.

« Quand ils m’ont vu arriver couvert de sang et tout sale, ils n’en croyaient pas leurs yeux. Le lieutenant de la compagnie ignorait même l’existence de la bataille où on m’avait blessé. Il a appelé l’état-major, qui l’a informé. Alors, on m’a emmené sur une moto avec side-car vers un hôpital de campagne ; peu après, le colonel de notre régiment est venu me voir. Je dois dire que le colonel pleurait comme un enfant, au moment où il me racontait que, sur les 800 hommes du bataillon, j’étais le quatre- vingtième qui s’en était sorti sain et sauf. Tous les autres étaient morts là-bas ; et, parmi eux, énormément d’Espagnols. Beaucoup ont été faits prisonniers et beaucoup d’autres sont morts.

« C’est l’unique bataille de ma vie où j’ai vu la lutte au corps à corps, à la baïonnette. Je me souviens surtout d’un Belge qu’une baïonnette avait transpercé – on était tous encerclés par les Allemands – et qui, au moment où on voulait le secourir, avait refusé en nous disant de partir parce que lui était un homme mort… Et c’était vrai… Il avait toutes les tripes à l’air. On ne pouvait rien faire pour lui.
« C’est après la campagne de Tunisie que j’ai entendu parler, pour la première fois, de la colonne Leclerc et des troupes de la France libre qui arrivaient de Libye. J’ai vite déserté pour m’en aller avec elles. »

Formation de la 2e DB

« À ce moment-là, on était cantonnés au Sénégal. Après l’échec de De Gaulle à Dakar, on a organisé la fuite et on est partis avec tout notre équipement, y compris les armes, à la recherche des troupes franco-britanniques qui luttaient contre l’Axe dans les colonies françaises d’ Afrique équatoriale.
« Après notre fuite, on a été pourchassés en tant que déserteurs et il a fallu se cacher, marchant la nuit et dormant le jour. On a mis presque un mois à couvrir, à pied, les 4 000 kilomètres qui nous séparaient des unités gaullistes se trouvant à Brazzaville. Là-bas, on s’est enrôlés dans une unité de la Légion étrangère ralliée à de Gaulle. Avec ces troupes, on a combattu au Soudan, en Syrie, au Liban et, surtout, à la bataille de Bir Hakeim, en Libye, où la 3e brigade mixte de la Légion étrangère, dans laquelle se trouvaient beaucoup d’Espagnols, s’est illustrée en protégeant la retraite de la VIIIe armée britannique. »

« Les troupes de la France libre, où on était, ont pu arriver jusqu’au Maroc et en Algérie peu après le débarquement allié en Afrique du Nord, après avoir parcouru 4 000 kilomètres de désert en luttant contre les troupes italiennes et les difficultés du terrain.»

Débarquement et combat en Normandie

« Quand l’heure de quitter l’Angleterre est arrivée, on a embarqué à Plymouth. Le matériel embarqué était quelque chose d’incroyable. Ensuite, on est restés quelque temps en haute mer, en attendant l’ordre du débarquement. L’infanterie était la première à débarquer pour prendre possession du terrain.

« Moi, j’ai débarqué pas loin de Sainte-Mère-l’Église. Quand j’ai posé le pied sur la terre française, je me suis dit qu’on était revenu au même endroit – la France –, mais maintenant de façon différente : avec tous ces blindés, les tanks, toute la force mécanique, tout le matériel, on savait que les Allemands allaient passer un très mauvais moment. On était joyeux de débarquer ; on allait à la guerre contre les nazis comme à une fête. On y allait en chantant, tout en sachant que ce serait dur et que ça allait coûter beaucoup de vies.

« La plupart des villages de la côte étaient détruits. Tout était détruit, même les cimetières. Les bombardements détruisent tout, c’est normal ; les guerres ne respectent ni les cimetières, ni les personnes. C’était une guerre à mort contre les Allemands. Il fallait gagner.

« Un jour, on a subi, nous-mêmes, un bombardement par les avions alliés ; ils nous avaient confondus avec les Allemands. C’est Granell qui nous a sauvés, parce que, malgré les bombardements, il était sorti en courant pour installer au milieu de la route un grand panneau indiquant qu’on était les troupes de Leclerc. Ils l’ont vu tout de suite, et c’est ça qui nous a sauvés. Je crois qu’on est nombreux à lui devoir la vie.
« Nous, on n’avait besoin d’être commandés par personne. Dronne était notre capitaine, mais, en réalité, il commandait peu ; on se suffisait à nous-mêmes. On faisait des réunions entre nous sur la façon dont il fallait attaquer. Ensuite, on sortait par groupes de deux ou trois, avec des mitraillettes et des grenades, on attaquait les positions allemandes et on revenait avec les prisonniers. C’était très dangereux, mais ça réussissait presque toujours. »

Entrée dans Paris, le 24 août 1944

 

« La vie d’un homme n’a pas de prix. »
« Quand on est arrivés dans les alentours de Paris, Dronne, sur ordre de Leclerc, a pris les deuxième et troisième sections, avec une centaine d’Espagnols, et s’est dirigé vers la capitale. J’étais dans la première section. On s’est arrêtés à la Croix- de-Berny, empêchant que les Allemands se replient sur Paris.

« Quand les tirs cessaient, les gens s’approchaient pour nous embrasser. À Antony, proche de Paris, malgré le danger, on m’a sorti de la voiture et jeté par terre pour m’embrasser ! C’était une folie.

« Je suis entré dans Paris le jour suivant, très tôt, avec le général Leclerc. Avec ma section, je suis allé jusqu’à la place des Invalides et, ensuite, après quelques affrontements, à l’École militaire, où on s’est installés, quand les Allemands sont sortis avec un drapeau blanc.

« Le jour suivant, c’était le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées. De Gaulle est passé en nous saluant et on lui a servi de garde d’honneur, deux half-tracks à gauche et deux à droite.

« On s’est ensuite reposés dans le bois de Boulogne, où beaucoup de gens venaient nous voir ; surtout de très jolies filles. On avait chacun une tente de campagne individuelle pour dormir ; mais, ces jours-là, personne n’a dormi seul…

« Le pire souvenir de Paris, dans ces moments-là, a été de voir des femmes qu’on poussait dans la rue, qui avaient été rasées et qu’on bousculait, en leur arrachant les vêtements, laissant leur poitrine à l’air. Il y avait des femmes jeunes, mais aussi des plus âgées, de quarante ou cinquante ans. C’était triste à voir. On s’est souvent bagarrés à cause de ça. Qu’on les rase, passe encore ; mais qu’on les maltraite, qu’on les déshabille, qu’on leur fasse boire de l’huile de ricin et qu’on leur accroche autour du cou des écriteaux : non. On a crié beaucoup et il a fallu faire preuve de fermeté. Ces choses ne nous plaisaient pas. Ça nous paraissait une lâcheté.

« On est arrivés sans grands problèmes jusqu’aux environs de Paris. Pendant qu’on affrontait les Allemands, dans les alentours, Leclerc est arrivé en cherchant à joindre Dronne. Je suis allé le chercher et, une fois arrivé, le général lui a dit qu’il devait filer avec la compagnie vers Paris ; il fallait arriver cette même nuit. Je n’avais jamais été à Paris.

« On a atteint rapidement l’Hôtel de Ville et on s’est installés autour, face aux quais de la Seine et à tous les endroits stratégiques. Tout de suite, les maquisards de la Résistance sont arrivés ; ils montaient avec nous, dans nos voitures, et nous dirigeaient là où se trouvaient les Allemands.

« Le jour suivant, tôt, on a nettoyé toute la zone, libéré la rue des Archives, où se trouvaient encore des forces allemandes, et on s’est dirigés ensuite vers la place de la République où se trouvait une caserne encore occupée par une grande quantité d’Allemands. Après des affrontements durs, on est repartis avec plus de trois cents prisonniers.

« Là, on a dû être très fermes, parce que beaucoup de civils qui les insultaient voulaient aussi leur prendre leurs bottes et leurs vêtements. On ne les a pas laissé faire : ça ne nous plaisait pas, ça n’était pas digne. Après toute la misère qu’on avait subie pour arriver jusque-là, et une fois que tous ces gens étaient libres, ils n’avaient pas à prendre les bottes des prisonniers. Nous, sur le front, oui : on leur enlevait montres, bagues, stylos à plume et des choses comme ça, avant de les refiler aux Américains, qui étaient très contents et nous donnaient beaucoup de choses en échange, parce qu’ils pouvaient dire qu’ils avaient eux-mêmes fait des prisonniers…

« Le lendemain, pendant le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées, la Nueve escortait le général de Gaulle. On nous avait mis là parce que je crois qu’ils avaient plus confiance en nous, comme troupe de choc, qu’en d’autres… Il fallait voir comme les gens criaient et applaudissaient ! Au début du défilé, on a vu une grande banderole républicaine espagnole, longue de vingt ou trente mètres, portée par un important groupe d’Espagnols qui n’arrêtaient pas de nous acclamer. Peu après, quelqu’un leur a fait retirer cette banderole.

« Après, pour nous reposer, on nous a envoyés au bois de Boulogne, aux alentours de Paris. On y est restés environ trois semaines ; chaque jour, une foule de gens venaient nous rendre visite et nous saluer… »

Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris

Des Espagnols, premiers soldats de la « France libre » à entrer dans Paris, le 24 août 1944 et qui, le 26 août, lors du défilé de la victoire sur les Champs-Élysées, escortaient le général de Gaulle, on ne parle guère. Et pourtant, ces jours-là, ils étaient reconnus et acclamés comme des héros ayant pleinement contribué à la libération de la capitale.

Evelyn Mesquida, dans son ouvrage La Nueve. Los españoles qui liberaron París [[Evelyn Mesquida, « La Nueve » (Los españoles qui liberaron París, Ediciones B, Barcelone, septembre 2008.]], publié en espagnol en 2008 et enfin traduit en français (La Nueve, 24 août 1944. Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris [[Éditions le cherche midi, Paris, août 2011]], réhabilite la mémoire de ces hommes dont il fallait occulter l’engagement afin que les Fran-çais puissent apparaître comme les grands libérateurs, juste secondés par les alliés. Les propos du général de Gaulle, le 26 août, sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris sont éloquents : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »

De Gaulle veut rassembler les Français autour de sa personne, éviter une guerre civile, effacer la honte de la collaboration. Pragmatique et cynique, il tait la contribution des étrangers – dont les Espagnols – dans la résistance ou dans les armées. Il évoque peu celle des Anglais et des Américains, dont il craignait qu’ils ne cherchent à réduire l’indépendance de la France à leur avantage.

Les rapports de force politiques ont aussi précipité les Espagnols dans l’oubli. Les pensées dominantes du gaullisme et du communisme français rivalisaient. Gaullistes et communistes se prévalaient d’être les libérateurs, et tous flattaient l’ego collectif en évoquant un peuple français uni dans sa lutte contre l’occupant et qui s’était délivré lui-même.

Pas de doute : si l’implication des Espagnols dans la libération de la France est passée sous silence [[Même si nombre d’entre eux ont été médaillés]], c’est bien d’abord du fait de l’étroitesse d’esprit intrinsèque du patriotisme. Il contraste tant avec la motivation de ces Ibères à se battre, où qu’ils se trouvent, contre le nazisme, au nom de la liberté. Les propos de Luis Royo, l’un des survivants de la Nueve que l’auteur a rencontré, illustrent bien cela : « Je faisais la guerre et je savais que je pouvais être blessé ou que je pouvais mourir. La vérité est que je n’ai jamais pensé que je luttais pour libérer la France, mais que je luttais pour la liberté. Pour nous, cette lutte signifiait la continuation de la guerre civile [[pp. 243-244]]. »

Ces Espagnols avaient combattu le franquisme qui était appuyé par le régime fasciste portugais de Salazar et secondé des forces fascistes italiennes et nazies allemandes. Ils étaient bien conscients que, la guerre civile espagnole avait été un champ d’expérimentation des armes du régime nazie et que la victoire du franquisme était le prélude à l’expansion de ce type d’idéologie totalitaire.

La France les avait « accueillis », à partir de la fin janvier 1939, au moment de la Retirada (la retraite), l’exode massif des réfugiés espagnols, dans des conditions indignes, en particulier pour les combattants entassés dans des camps, officiellement nommés « camps de concentration ». Cette attitude méprisante se prolonge jusqu’à maintenant. La France passe sous silence le rôle non négligeable joué par ces hommes pour mettre fin à l’occupation allemande et jeter à bas le nazisme. Pourtant, leur participation a été conséquente, tant par le nombre d’Espagnols qui ont rejoint les différentes forces combattantes [[Le chiffre de 60 000 maquisards dans le Sud-Ouest est avancé. Au terme de ses recherches, Evelyn Mesquida es-time que les républicains espagnols qui ont combattu le nazisme en France seraient plus de 10 000.]] que par la qualité et la solidité de leur engagement, qui les amenait, bien souvent, à se mettre en première ligne, forts de leur expérience du combat et animés par leur idéal de liberté et leur haine de la dictature.

Cette occultation est aggravée par le sentiment de trahison : la France ne s’engagera pas contre Franco. En outre, la guerre froide entraîne une banalisation des relations avec le régime franquiste ; et, par conséquent, l’oubli s’approfondit.

C’est soixante ans plus tard que la ville de Paris reconnaîtra que les premiers libérateurs à entrer dans Paris, le 24 août 1944, sont les soldats de la 9e compagnie (appelée « la Nueve ») du 3e bataillon de marche du Tchad, commandée par le capitaine Raymond Dronne et appartenant à la deuxième division blindée (2e DB) du général Leclerc.
Son nom l’indique : cette compagnie était à majorité espagnole. Ainsi, enfin, Paris rend hommage à ces républicains espagnols, lancés à corps perdu dans la lutte. Elle se sou-vient que les premiers half-tracks (voitures blindées) à pénétrer dans son enceinte, avant de poursuivre le combat en Alsace et d’aller jusqu’au nid d’aigle d’Hitler, s’appelaient : Madrid, Guernica, Teruel, Guadalajara, Don Quichotte…
Toutefois, une telle reconnaissance tardive et symbolique est bien insuffisante, d’autant que les pages des manuels sont bien discrètes sur le rôle de ces républicains espagnols dans la Seconde Guerre mondiale.

Parmi eux, nombreux étaient anarchistes [[En Afrique du Nord, les cénétistes étaient nombreux dans le corps franc d’Afrique.]] ; rien d’étonnant puisqu’ils étaient très nombreux à combattre le régime de Franco. Comme les autres Espagnols antifranquistes exilés en France ou dans les colonies d’Afrique du Nord, beaucoup se sont d’abord interrogé sur l’éventualité de prendre les armes contre l’occupant allemand et, donc, de défendre ceux qui non seulement ne les avaient pas soutenus dans leur lutte pour sauvegarder la jeune république espagnole, mais, qui plus est, les avaient laissé croupir dans les camps, contraints d’effectuer de pénibles travaux en échange de l’obtention du droit d’asile.

Comme tous les républicains vaincus, ils concevaient ce combat comme la continuité de celui entamé en Espagne et espéraient – comme on leur avait promis – qu’il se poursuivrait, avec l’aide des alliés, contre la dictature de Franco.

Comme en Espagne, durant la guerre civile, ces anarchistes voulaient agir. Ils refusaient d’être des spectateurs, sachant combien le nazisme – partenaire du franquisme – est l’ennemi de la liberté, valeur fondamentale pour tout libertaire.
C’est pourquoi beaucoup d’anarchistes ont rejoint les maquis ou ont endossé l’uniforme. Antimilitaristes, ils considéraient que l’enjeu valait ce compromis avec leurs principes.

Dans l’ouvrage d’Evelyn Mesquida, les anarchistes sont très présents puisqu’ils étaient majoritaires parmi les espagnols formant la Nueve (144 dans cette compagnie de 166 hommes). Sur les 144, seuls 16 d’entre eux ont survécu à la traversée de la France, puis à celle de l’Allemagne.

Ce livre fait suite à des articles et des ouvrages collectifs[[La mémoire entre silence et oubli, presses de l’université de Laval, Québec, 2006. Sorties de la guerre, presses universitaires de Rennes, 2008.]] dans lesquels Evelyn Mesquida, journaliste (elle a été correspondante à Paris pour la revue Tiempo), écrivaine, chercheuse, après avoir fouillé dans d’innombrables archives et documents, recueilli des témoignages, porte à la connaissance des lecteurs le vécu de ces républicains espagnols, saluant ainsi leur combativité ancrée dans la fidélité à leur idéal.

La parution de ce livre en français est importante car, à travers l’exemple de la Nueve, des Français pourront découvrir, ou mieux comprendre, la contribution des Espagnols à la Libération. Des historiens pourraient s’en inspirer…

Cet ouvrage est divisé en trois grandes parties : un récit historique, des entretiens témoignages, une série de portraits des divers acteurs de cette histoire.
Le récit historique, détaillé, après dix ans de recherches, est émaillé des propos des protagonistes. L’auteur relate les périples de ces Espagnols en individualisant leur trajectoire.

Avec neuf témoignages des soldats de la Nueve qui suivent l’historique, des précisions sont encore apportées, et nous approchons mieux les parcours et la manière dont ils ont pu être vécus. Ainsi, l’ouvrage nous éclaire-t-il sur les itinéraires qui ont conduit tant d’Espagnols à faire partie de la 2e division blindée de Leclerc en 1943. Beaucoup venaient des camps de concentration français[[À l’armistice, pour mieux les contrôler, le régime de Pétain en transfère au Sahara. ]]. Certains sortaient de leur cachette. D’autres encore venaient des corps francs. Dispersés dans les armées régulières de Pétain, beaucoup ont déserté pour rejoindre les rangs du général Leclerc, qui représentait le France libre. De même, nombre d’entre eux, pour la même raison, ont déserté la Légion dans laquelle ils s’étaient enrôlés pour ne pas périr dans les camps ou sous la menace d’être renvoyés en Espagne, où la « justice » franquiste les attendait.

À l’époque, les Espagnols partageaient cette vision de de Gaulle qu’exprime Manuel Fernandez, un des survivants de la Nueve avec qui s’est entretenue l’auteure : « À cette époque, ce n’est pas le colonel Leclerc qui m’a incité à m’engager, parce que, en réalité, je le connaissais à peine ; c’est surtout la figure du général de Gaulle. Je rêvais de partir avec lui depuis le début, depuis qu’il avait lancé l’appel de Londres. Pour moi, de Gaulle était l’homme qui n’avait pas cédé aux Allemands et celui qui représentait la liberté. Comme Le-clerc était avec lui et qu’il représentait la France libre, on est partis avec celui-là[[p. 266.]]. »

Au sein de la Nueve, ces hommes ont combattu en Afrique du nord. En France, ils ont débarqué d’abord en Normandie, où ils ont combattu, puis participé à la libération de Paris, où ils ont soutenu l’insurrection, avant de poursuivre la lutte en Alsace. Enfin, ils ont livré com-bat en Allemagne, jusqu’à l’armistice.

Alors qu’ils arboraient toujours le drapeau républicain espagnol, le 27 août 1944, de Gaulle ordonna de le retirer, dans le but de redorer le blason des Français, marquant ainsi le début de la disparition historique des libérateurs étrangers.

Un des intérêts de cet écrit est de bien situer l’engagement de ces combattants au sein de La Nueve, en tissant le fil de leur histoire, et, par conséquent, de le replacer à partir de 1936, voire avant. Ainsi, nous parcourons leur épopée, de la guerre civile jusqu’à l’arrivée, pour les survivants, au « nid d’aigle » d’Hitler.

L’auteure nous relate leurs conditions de vie terribles dans les camps de concentration où ils croupissaient. Elle met en avant les traitements particuliers auxquels étaient soumis ceux considérés comme potentiellement dangereux, dont nombre de personnalités anarchistes. La mise en lumière de la réalité, particulièrement rude, des camps en Afrique du Nord retient l’attention du lecteur, car elle est peu retracée dans les différents ouvrages sur l’exil des républicains. Dans tous ces lieux, en plus de l’insalubrité, régnaient la brutalité, la perversité et l’humiliation. C’est pourtant là que se trouvait le vivier des futurs combattants espagnols qui ont renforcé les maquis ou les différentes forces alliées.

Au regard des rares ouvrages qui retracent ces pages noires de l’histoire de France, ce-lui d’Evelyn Mesquida est nécessaire. Il est aussi salutaire, car il rappelle, à travers le récit même de l’implication de ces hommes, que le pays qui les a si mal traités leur est, en plus, redevable. Comme le montre bien l’auteure, leur contribution a été d’autant plus remarquable qu’ils avaient l’expérience du combat. En outre, leur conscience politique les rendait courageux et déterminés – bien que rebelles, pour beaucoup d’entre eux, à la discipline militaire –, comme en ont témoigné le général Leclerc et le capitaine Dronne.
Le mérite essentiel de cet ouvrage d’Evelyn Mesquida est de donner une visibilité à ces hommes, de les extraire de l’oubli dans lequel ils ont sombré.

Agnès Pavlowsky

L’association 24 août 1944

Cette association a pour but de faire connaître et de cultiver la mémoire historique (écrite, enregistrée, iconographique, artistique, etc.) de la Libération de Paris en 1944 en liant cette célébration à la participation des antifascistes espagnols de la 2e DB, en exposant toutes les facettes de cette lutte commencée le 19 juillet 1936 en Espagne, et continuée sur différents fronts en Europe et en Afrique, et plus particulièrement dans les maquis en France. Pour beaucoup de femmes et d’hommes, elle se prolongea dans le combat contre le franquisme, jusque dans les années 60.

Nous prévoyons, entre autres, de réaliser des recherches, d’animer des débats, de présenter des expositions, de diffuser et de réaliser des films, de publier des documents et d’organiser des évènements commémoratifs et festifs.


<formulaire|contact>

 

couv-nueve.jpg

couv-nueve.jpg