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Étiquette : Portrait

Granell Amado

Mise au point d’après les recherches de Carmen Blanc et de Diego Gaspar Celaya 

Le soldat qui a « libéré » Paris ; Comment une telle personnalisation a pu être écrite, là où justement il s’agit d’hommes solidaires agissant avec un esprit d’équipe qui leur sauva la vie à plusieurs reprises. 

Dans l’enthousiasme de voir venir enfin la fin du cauchemar, le journal Libération, a des envolées lyriques bien compréhensibles après tant d’années d’obscurité ! Le lendemain, ce journal en date du 25 août 1944, publie en première page la seule photographie connue de cet instant. La photo montre le premier soldat « français » arrivé à Paris, posant avec Marcel Flouret, Préfet de la Seine, près d’une fenêtre, à l’intérieur de la mairie. Ce soldat était le lieutenant Amado Granell, et il apparaissait à la une du journal, sous le titre « Ils sont arrivés ».

Et d’après le récit des témoins de l’époque (ceux du Capitaine Dronne, ceux des soldats de la colonne et de la Nueve, donc) : La colonne toute entière est l’avant-garde qui parvient à l’Hôtel de Ville de Paris le 24 août vers 21h20 (heure allemande), la jeep du capitaine en tête. Le capitaine Dronne gravit le premier les marches de l’édifice qui le mènent aux responsables du conseil National de la résistance, parce qu’il est l’officier responsable du détachement !

L’étude de la presse parue le même jour a permis de retrouver un récit plus explicite de cet événement, passé sous silence car invalidant l’affirmation qui peu à peu s’installe comme vérité historique : « que Amado Grannell est le premier officier « français » à gravir les marches de l’Hôtel de ville ».

L’arrivée de Dronne en premier est attestée par au moins deux journaux, l’article le plus explicite étant celui du journal Front National édition de Paris, 5 heures du matin : « Capitaine Dronne … Soldat Pirlian … premiers à arriver à l’Hôtel de Ville ». Le journal L’Aube rapporte : « Le capitaine Dionne (sic) a fait son entrée à 21h28. C’est le premier officier français entré à l’Hôtel de Ville. Georges Bidault l’accueille dans des termes émouvants. » Ceci confirme la version donnée par Dronne dans ses mémoires. Une explication plus simple de la présence de Granell sur ce cliché est que celui-ci ait été pris après que Dronne ait confié le commandement de la colonne à Granell pour aller à la Préfecture de Police.

Amado Granell, dans lequel Dronne a toute confiance (ils sont liés par des mois de combat au coude à coude), prend le commandement des troupes stationnées en hérisson devant l’Hôtel de ville quand le capitaine doit aller rejoindre la préfecture. En l’absence du capitaine, il sera l’interlocuteur du conseil de la résistance.

Le 26 août 1944, après avoir rendu hommage aux troupes du général Leclerc installées en face de l’Arc de Triomphe, le général de Gaulle commença à pied, entouré de ses hommes, le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées. Devant eux, au centre de l’avenue, le lieutenant Amado Granell ouvrait le défilé, à bord d’une grosse cylindrée – prise à un général allemand – qui arborait deux drapeaux, celui à la croix de Lorraine de la France libre, et le drapeau républicain espagnol.

 

Qui est le Lieutenant Amado Granell :

Né en 1898 à Burriana, petite ville de la province de Castellón et mobilisé au début de la guerre civile, il eut comme première affectation le bataillon Levante, à Valence. Nommé capitaine au début de novembre 1936, il fut affecté au bataillon « de Hierro » (« de Fer »), unité de choc qui deviendra plus tard le régiment motorisé de mitrailleuses. En décembre 1938, avec le grade de commandant, il reçut le commandement de la 49e brigade mixte, formée par quatre bataillons, et, peu après, il prit le commandement de la 49e division de l’armée populaire de la République, avec laquelle il participa à l’offensive réalisée dans le secteur de Fuenteovejuna.

Granell s’éloigna du front quand il apprit que la flotte républicaine venait de quitter Carthagène en direction de l’Afrique du Nord. Le 28 mars 1939, trois jours avant la fin de la guerre, il embarqua sur le Stanbrook, dernier navire à quitter le port d’Alicante, à destination d’Oran.

Amado Granell passa par un camp de concentration français avant d’entrer dans les Corps Francs d’Afrique, en décembre 1942, après le débarquement allié. Invité à intégrer une unité américaine, Granell préféra les corps francs commandés par le général de Monsabert. Avec eux, il se battit, durant la guerre de Tunisie, contre les troupes de Rommel, et y gagna ses galons de lieutenant. C’est là qu’il connut plusieurs des futurs compagnons de la Nueve et, surtout, le commandant Putz ; ils intégrèrent ensemble la 2e division blindée du général Leclerc.

Nommé adjoint du capitaine Dronne, Granell fut indiscutablement un des meilleurs officiers de la Nueve et de la 2e division, comme l’attestent les nombreuses médailles et citations obtenues, et parmi elles la Croix de guerre avec palmes et la Légion d’honneur. Le décret qui lui accorde cette nomination explicite clairement quelques-unes de ses qualités :

« (…) D’un courage proche de la témérité, toujours en tête de ses hommes, avec un mépris total du danger. Il s’est illustré tout au long de la campagne, depuis le débarquement jusqu’à Strasbourg, d’Écouché à Paris, Andelot, Remoncourt, Châtel-sur-Moselle, Vaxancourt, Vacqueville, s’est imposé à l’ennemi, obtenant victoire sur victoire ».

En novembre 1944, malade et abattu par la disparition de la majorité de ses hommes et compagnons et extrêmement déçu devant les arguties politiques qui écartaient de la bataille le général Leclerc et ses troupes pour réinstaller l’ancien ordre militaire français, il décida de cesser le combat et accepta d’être hospitalisé. Avant de s’en aller, il voulut arriver jusqu’au Rhin, où il se lava le visage et les mains. Il voulut finir sa guerre de cette manière. Le jour où Granell abandonna la compagnie, le 28 novembre 1944, Dronne écrivit dans son journal : « Avec Granell s’en va une partie de l’âme de la Nueve. »

Croix de guerre avec palme et cinq citations, officier de la Légion d’honneur, Amado Granell, retourne vivre en Espagne dans la clandestinité. Il est mort dans un accident de voiture en 1972. Il est enterré dans le cimetière de Sueca, dans la province de Valence. La pierre tombale, où figurent les lettres LH (Légion d’honneur) et une feuille de palme, a été offerte par le gouvernement de la République française.

 

 

Putz Joseph

Le commandant Joseph Putz était considéré comme l’une des figures les plus significatives de la Deuxième Division Blindée. Héros français remarqué de la guerre de 1914-1918, combattant, héros de la guerre civile espagnole et héros, aussi, de la campagne de Tunisie, il était l’officier le plus admiré et respecté par la majorité des Espagnols. Dans tous les combats, et surtout les plus durs, Putz était toujours près d’eux, en première ligne.

La trajectoire de Joseph Putz, « el comandante », correspondait assez peu à celle des militaires traditionnels de l’époque. Combattant volontaire de la Première guerre, Putz fit toute la campagne et revint des diverses batailles avec le grade de lieutenant, chargé de médailles, et blessé de guerre après avoir été gazé, dans le secteur de Vacqueville, en Lorraine. il revint des tranchées aussi avec un profond sentiment antimilitariste, ce qui ne l’empêcha pas de continuer dans l’armée comme officier de réserve. En 1934, il fut nommé de capitaine. En octobre 1937, l’armée française le punit par une mesure disciplinaire pour s’être enrôlé dans les rangs des Brigades internationales. En Espagne, il participa aux combats au sein de la XIVe brigade internationale. Nommé colonel, Joseph Putz combattit en tant que brigadiste sur le front républicain, sous les ordres du fameux général Walter, qui devait en faire, plus tard, son lieutenant. De Lopera (Andalousie) à Morata, Jarama, Madrid ou Guadalajara, blessé plusieurs fois, toujours à la tête de ses hommes dans les combats, Putz obtint l’estime, l’admiration et l’adhésion sans faille de ses soldats.

Sollicité en dernière instance par le gouvernement basque pour la défense de Bilbao, face à la pression des troupes nationalistes du général Mola, Josep Putz se retrouva – en tant que commandant de brigade, de division et de corps d’armée républicaine – à la division Eusko Deya. Sa valeureuse action au cours de la défense de Bilbao, saluée par l’Anglais George Steer, dans son livre L’arbre de Guernika, passionna également l’écrivain américain Ernest Hemingway, qui, d’après le capitaine Dronne, s’inspira de ce singulier combattant pour camper le personnage de « Pour qui sonne le glas ? ».

De retour en France, en 1938, et réintégré dans l’armée, le capitaine Putz fut mobilisé en septembre 1939, au moment de la déclaration de guerre à l’Allemagne. Installé en Afrique du Nord, après la signature de l’armistice, avec le statut de capitaine de réserve, et employé dans l’administration, Joseph Putz travailla comme chef de groupe des travaux du chemin de fer transsaharien Méditerranée-Niger, tout près des républicains espagnols, à Colomb-Béchar.
Suspect à cause de cette relation, on l’obligea à démissionner de sa charge, sous la menace d’une arrestation. Putz décida de se retirer discrètement dans le sud marocain, où il organisa sa participation secrète à la résistance, comptant sur les nombreux Espagnols réfugiés dans la région, et avec lesquels il maintenait des relations.

Après le débarquement allié, en novembre 1942, le capitaine Putz contribua à la création du 3e bataillon des Corps Francs d’Afrique. Nommé chef de bataillon par le général Leclerc, à la création de la 2e DB, Putz attira facilement dans son unité une grande majorité des réfugiés espagnols. Cette présence fut déterminante pour que la force militaire ainsi formée par ces hommes soit connue sous le nom de « bataillon hispanique », et que, de toutes les compagnies, la Nueve, presque entièrement constituée d’Espagnols, reçoive le titre d’« unité espagnole ».

C’est à Temara que l’ancien combattant des terres républicaines espagnoles autorisa les half-tracks de la Nueve à arborer les noms des grandes batailles de la guerre civile – Guadalajara, Brunete, Teruel, Madrid, Ebro, Santander, Belchite…

Croix de guerre en 1914-1918 avec cinq citations, Croix de guerre en 1939-1945 avec cinq citations, officier de la Légion d’honneur et compagnon de la Libération, Joseph Putz est mort à Grussenheim, pendant la bataille Alsace, le 28 janvier 1945.

Pujol Fermín

« Je suis né à Barcelone. Mon père tenait un commerce de vêtements à Sabadell.
Quand la guerre civile éclata, je décidai de partir au front. Je m’engageai dans l’armée républicaine, dans la colonne Durruti et ensuite à la 26e division. J’ai été nommé chef de brigade politique.J’ai fait toute la guerre avec les anarchistes. Avec eux, j’ai défendu Barcelone et j’ai défendu Madrid. Quand on a tué Durruti, j’étais là, comme combattant. J’ai été blessé à Monte Negrillo [ouest de Madrid], en 1937 ; j’avais alors vingt ans. J’ai combattu jusqu’au dernier instant, jusqu’à ce qu’on commence la retraite.
Le 17 février 1939, arrivant au Perthus, on a traversé la frontière française. Tous ceux de la division Durruti sont entrés, ensemble. On était les derniers à passer la frontière. Les gendarmes qui nous accueillaient nous ont désarmés, fouillés, nous prenant tout ce que nous portions – vestes, bagues, montres –, et nous ont mis dans des camps de concentration à l’air libre, sur la plage, sans baraques ni sanitaires, à même le sable, entourés de barbelés.
Après six mois d’enfermement, on en avait tellement marre qu’un jour on a décidé de tout risquer et de s’évader.
On s’est retrouvés un peu plus tard à Saint-Étienne, à travailler dans les mines de charbon aux côtés de nombreux Espagnols qui avaient été écrivains, médecins, chirurgiens, professeurs : de tout. Plus tard notre seule possibilité a été de s’engager pour faire la guerre avec les Français ; sinon, on nous renvoyait en Espagne. J’ai réuni quelques compagnons et peu après, on a pu embarquer à destination de Casablanca. Là-bas, on n’a pas pu échapper aux autorités françaises qui nous ont obligés à nous engager dans la Légion, d’où nous avons déserté, en juin 1943, pour nous enrôler dans la France Libre de De Gaulle. Avec ces troupes, on a combattu au Soudan, en Syrie, au Liban et, surtout, à la bataille de Bir Hakeim, en Libye, dans la 3e brigade mixte de la Légion étrangère, où se trouvaient beaucoup d’Espagnols.
En Algérie, on a appris la formation d’un corps franc d’Afrique, commandé par  Joseph Putz, un colonel des forces de la résistance espagnole, ex combattant des Brigades internationales. La majorité des Espagnols a déserté pour partir avec lui. Le corps franc était un bataillon irrégulier de 3 000 hommes, presque tous espagnols, qui n’allait pas tarder à affronter l’Afrikakorps de Rommel, en Tunisie.
Quand Leclerc est arrivée, nous nous sommes enrôlés dans ses troupes, d’abord à Sabratha, puis à Temara, où a commencé la mise sur pied de la deuxième division blindée, formée surtout d’Arabes et d’Espagnols, en plus de quelques Français. Les Espagnols venaient du corps franc, de la Légion (déserteurs) et des camps de concentration du nord de l’Afrique.
On a fait beaucoup de prisonniers. D’abord, on les remettait aux Américains ; mais ensuite on les leur vendait contre des armes.
Après avoir libéré la Normandie, on est arrivés jusqu’à Paris, jusqu’à l’Hôtel de Ville même. Ça a été très simple, comme une fête. Les gens nous acclamaient tout le long du chemin, couraient à nos côtés, pleuraient, applaudissaient, saluaient, chantaient ! L’enthousiasme était incroyable. Peu après nôtre l’arrivée à l’Hôtel de Ville, les cloches de Paris ont commencé à sonner.
Après d’autres affrontements, on a réussi à libérer Strasbourg. C’était une chose très importante pour nous tous, parce que là s’accomplissait le serment de Koufra qu’avait fait le général Leclerc. Nous sommes arrivés au Nid d’Aigle de Hitler, peu avant la fin de la guerre.
On nous avait dit qu’une fois cette guerre terminée on entrerait en Espagne pour y finir la guerre…On n’a pas voulu nous aider.
J’ai été démobilisé au mois de juillet 1945. Avant, on m’avait proposé d’aller en Indochine, mais j’ai répondu que les Chinois ne m’avaient rien fait. J’ai préféré rester à Paris.

Dronne Raymond

Raymond Dronne fut l’un des premiers hommes à se mettre à la disposition de Leclerc quand celui-ci arriva à Douala. Le jeune fonctionnaire avait 32 ans, il était roux, avec une barbe en forme de collier et il parlait avec un fort accent de la Sarthe. Son air truculent et bon enfant cachait une solide formation de droit, sciences politiques, journalisme et d’école coloniale. Apparemment rejeté par le ministère des Affaires étrangères – où il espérait obtenir un poste diplomatique – pour ses manières frustes et provinciales, Dronne obtint un poste d’administrateur au Cameroun. Mobilisé en 1939, avec le grade de lieutenant, il fut incorporé dans les forces de police du Cameroun.

C’est à ce poste que lui parvint la nouvelle de la défaite française devant les Allemands et de la signature de l’armistice. En même temps lui arriva aussi l’appel à la résistance lancé par de Gaulle. Dronne n’hésita pas : il s’organisa immédiatement pour participer à la lutte et gagner la capitale Yaoundé aux forces de la France libre.

Quand Leclerc se présenta, au nom de de Gaulle, à Douala, Dronne se mit sous ses ordres, sans hésitation. Leclerc dira plus tard qu’avec cette adhésion la France libre avait obtenu un de ses meilleurs éléments. Sa grande expérience de la région serait très utile pour le nouvel arrivant. Entre les deux hommes, rapidement, une grande confiance s’installa.

Dronne combattit au côté de Leclerc au Gabon, et, plus tard, devenu capitaine, il participa aux opérations de Fezzan, en Libye, puis en Tunisie, où il fut gravement blessé à Ksar Ghilane, mitraillé par un avion. Après plusieurs mois d’hospitalisation en Égypte, il sortit, début août 1943, pour aller s’engager dans les troupes de Leclerc, stationnées à Sabratha, où les autorités d’Alger avaient relégué les forces de la France libre. Les hommes campaient au milieu des ruines romaines, recevant chaque jour de nouvelles recrues, dont beaucoup étaient espagnoles. Avec ces hommes, Leclerc formait l’embryon de ce qui allait devenir la 2e division blindée.

Dronne intégra le régiment de marche du Tchad et, peu après, fut nommé capitaine de la Nueve. En lui remettant le commandement, Leclerc le lui annonça, expliquant qu’il s’agissait d’une compagnie de volontaires espagnols qui faisaient peur à tout le monde : « Ce sont de beaux soldats, vous vous en arrangerez… » Leclerc avait compris que ces hommes accepteraient d’être commandés seulement par un officier de la France libre ; surtout s’ils savaient que c’était un soldat qui avait été gravement blessé au combat. Les Espagnols le mirent à l’épreuve, mais ils ne tardèrent pas à l’accepter.

Depuis lors, tous le connurent comme « el Capitán ».

Leclerc Philippe, Général

Le général Leclerc – « el patrón », comme les hommes de la Nueve l’appelaient – gagna amplement la confiance et l’estime de tous les Espagnols. Sa notion originale et efficace de la discipline cadrait parfaitement avec le caractère et les valeurs de ces soldats : ne pas rester passif, prendre toujours l’initiative, réagir immédiatement devant un obstacle imprévu – sans attendre la note ou l’ordre –, s’adapter aux circonstances les plus inattendues, atteindre l’objectif dans le cadre de la mission donnée, et, surtout, ne pas obéir à des ordres stupides…
Les Espagnols savaient que Leclerc était un militaire qui n’avait pas hésité à choisir « la lutte pour la liberté » . Tous savaient aussi que « el patrón » défendait au maximum la vie de ses soldats et qu’il avait même refusé par écrit d’exécuter des ordres qu’il considérait insuffisamment étudiés, mal conçus et pouvant mettre en péril, sans aucun profit, l’existence de ses hommes. Les Espagnols appréciaient de le voir arriver en première ligne, gardant son calme sous une pluie de feu. Dans l’expérience de la guerre, une surprenante symbiose faite de confiance réciproque se tissa entre Leclerc et ces républicains espagnols, et jusqu’au dernier instant.
Ses officiers étaient ceux qui connaissaient le mieux ses colères fulgurantes. Beaucoup savaient qu’il pouvait être, dans ces moments, excessivement sévère ou injuste, bien qu’il fût capable, ensuite, de le reconnaître et de s’excuser. La plupart d’entre eux admiraient chez Leclerc sa capacité de synthèse et sa grande facilité à distinguer immédiatement l’essentiel. Chaque réunion ou discussion avec eux s’achevaient sur des conclusions précises et l’élaboration d’objectifs clairs et bien définis. Tous ces hommes admiraient ses extraordinaires capacités militaires, reconnues également par le haut commandement allié, qui le respecta comme un grand stratège.
« Ne me dites pas que c’est impossible » est une des phrases qui caractérisent Philippe de Hauteclocque. Une autre des plus connues est : « Il ne faut jamais exécuter les ordres idiots » ; expression particulièrement curieuse, pour un militaire de carrière traditionnel à la discipline rigoureuse, qui définit le caractère particulier du soldat Leclerc.

Baro Victor

Réfugié espagnol, il passera la frontière avec les Républicains, et sera enfermé dans un camp en bordure de mer en Roussillon. Puis, il s’engagera dans l’armée. Il n’a pas encore 18 ans, sous le nom de guerre « RICO Juan ».
Pendant la période de captivité, le premier mot français qu’il prononce est cornichon. Ne sachant pas que la signification est péjorative lorsqu’il traite une personne de « cornichon », il appelle le résident par ce mot, ce qui lui vaut des histoires. C’est aussi le surnom que les Chalabrois (habitants de Chalabre, dans le département de l’Aude) lui attribueront par la suite.

Le 4 août 1944, comme tirailleur lourd, avec ses compagnons, il pose le pied sur le sol de France à Saint Martin de Varreville (Utah Beach). Le 12, il est à Alençon. Avec Manuel Lozano, ils mettent hors de combat un blindé chenille allemand armé de mitrailleuses qui remontait la colonne, ce qui leur vaudra la croix de guerre avec citation. Le 21 août, alors qu’il se trouve devant Argentan, le général Leclerc est informé que la Résistance, qui s’est soulevée à Paris le 18 août, livre de violents combats dans toute la ville.
Mais en date du jeudi 24 août, les troupes des colonels Billotte, Dio et Langlade sont toujours bloquées aux portes de Paris. Leclerc qui applique les principes de l’attaque à tout prix depuis que les Français sont entrés en Normandie, lance un ordre au capitaine Dronne : «Dronne, filez sur Paris, entrez dans Paris, passez où vous voudrez, dites aux Parisiens de ne pas perdre courage, que demain matin la division toute entière sera dans Paris».

Le soir même à 20h 41, la colonne Dronneentre dans Paris par la Porte d’Italie. C’est une folle kermesse, une foule immense entoure les voitures et embrasse les équipages. A 22h 20, il fait encore jour lorsque les sections Michel Elias et Miguel Campos de la 9e Cie arrivent sur la place de l’hôtel de ville, accueillies par les FFI du colonel Henri Rol-Tanguy, ancien des Brigades Internationales, blessé sur le front de l’Ebre. Une formidable Marseillaise retentit et les cloches de Paris sonnent à toute volée, accompagnées par le bourdon de Notre-Dame.

Juan Rico et l’avant-garde du Régiment de Marche du Tchad sont reçus en héros dans Paris libérée. Plus tard dans la soirée, Raymond Dronne installé dans un lit de camp à même le trottoir entendra monter un chant hérité de l’Espagne des guerres napoléoniennes, le fameux « Paso del Ebro ».

 

Royo-Ibanez Luis

Quand j’ai été appelé au régiment – classe du « biberon » – et que je suis parti à la guerre, le fait d’être allé à l’école m’a été utile. Parce que je savais lire et écrire, on m’a tout de suite nommé caporal
« Mobilisé en avril 1937, j’ai commencé la guerre avec l’offensive de Balaguer, qui a été un échec parce qu’on n’avait pas de moyens et qu’il est clair qu’on ne pouvait se battre avec un balai contre un canon. Malheureusement, ça a toujours été comme ça dans le camp républicain. Dans de nombreuses batailles, on a combattu en jetant des pierres et des grenades.
« J’ai participé à toute la bataille de l’Èbre et au remplacement des internationaux [brigades internationales] à Tortosa, quand on les a retirés. J’ai vu beaucoup de morts, beaucoup de blessés graves, quelques-uns sans jambes ou sans bras. C’était très dur de ne pouvoir rien faire pour eux…
« Le front a été enfoncé en décembre [1938], après Noël ; et, de Tortosa, on est partis vers l’Ampurdán. Là, on a commencé la retraite, à pied. On est passés par Berga, Olot, Figueres, et on est arrivés à la frontière de Prats-de-Mollo le dimanche 12 février 1939, vers cinq heures de l’après-midi. On était cinq amis de la même division, avec des mules et un cheval. Il faisait encore jour. L’aviation franquiste bombardait près de Ripoll, à quelque trois kilomètres.
« Avant de franchir la frontière, on nous a tous désarmés. J’avais un « naranjero » [fusil-mitrailleur] ; plutôt que le donner, j’ai préféré le briser et jeter les morceaux dans le fossé. Ensuite, on a passé la frontière avec le général Hernández à notre tête, son état-major et un groupe de musiciens. On était une soixantaine de militaires. On est entrés, en formation, avec les musiciens jouant l’Himno de Riego [hymne de la République espagnole]. J’avais 18 ans. […] »

Gomez Rafael

« Je suis né à Almería. Ma famille était républicaine. Quand la guerre a éclaté, j’avais seize ans et je me trouvais à Badalona. Mon père était carabinier, et j’espérais le devenir aussi. J’étais encore à l’école de carabiniers quand ma classe de conscription – la classe du « biberon » – a été appelée sous les drapeaux, et j’ai dû quitter l’école. J’ai été affecté en tant que carabinier cycliste au ministère des Finances. J’y ai passé neuf mois, jusqu’à la fin de la guerre, jusqu’à ce qu’on sorte pour fuir vers la frontière. »

Lozano Manuel

Ma mère est morte quand j’avais cinq ans. Elle est tombée malade – des grosseurs parsemaient son corps – et on n’a rien pu faire pour la soigner parce qu’on n’avait pas d’argent. D’elle, je me rappelle seule- ment que, peu avant de mourir, elle m’a dit : « Fais bien cas de ton père, Manuel, écoute-le toujours. » Mon père était anarchiste ; un
très brave homme, très sérieux et très anticlérical. Il était garçon de café. Il y avait beaucoup d’anarchistes en Andalousie…

« À cette époque, les jeunes se réunissaient pour publier des revues et des journaux, aller à des conférences, faire du théâtre. Beaucoup de ces jeunes faisaient des kilomètres et des kilomètres à pied pour donner des cours et animer des discussions dans des fermes où se réunissaient les ouvriers agricoles, après une dure journée de travail, à la lueur d’une chandelle. Moi, je savais lire et écrire et j’appartenais à un de ces groupes qui allaient donner des cours et commenter des textes d’écrivains libertaires – dont Anselmo Lorenzo [ouvrier typographe, une des plus importantes figures de l’anarchisme espagnol].

« Quand les rebelles de Franco sont arrivés et qu’ils ont occupé Jerez, mon père m’a dit que je devais m’en aller tout de suite ; et il m’a aidé à fuir. Il n’a pas voulu venir avec moi : ils l’ont fusillé peu après… D’après un de mes oncles, il a dit avant de mourir : « Moi, ils vont me fusiller, mais ils ne prendront jamais mon fils. » Et ils ne m’ont pas pris.
« J’étais très jeune. Mais dans ces moments-là, et vivant une telle tragédie, on « grandit » très vite… Je suis arrivé à Grenade par la montagne, déjà en guerre contre ceux qui avaient fait le coup d’État. Je me suis trouvé à Almería, en Murcie, et à Alicante. De là, je suis parti vers l’Afrique du Nord sur un bateau de pêche qui s’appelait La Joven María (La jeune Marie). Il nous a emmenés jusqu’en Algérie…

« Le lendemain, en pleine rue, j’ai été arrêté par la police et, comme beaucoup d’autres Espagnols, enfermé dans un camp réservé aux clandestins, dans un grand hangar sur les quais. Ce hangar était entouré de barbelés et surveillé par la garde mobile et des Sénégalais armés. C’était un vrai camp de concentration. Le directeur du camp avait lui-même prononcé ces mots, en riant, quand je lui avais demandé une serviette de toilette : « Ce n’est pas un hôtel, c’est un camp de concentration.
« De là, on m’a emmené dans deux autres camps, et, ensuite, à Colomb-Béchar, toujours à manier la pelle et la pioche, écrasant des pierres et surveillé par des gardiens, parmi lesquels il y avait des nazis. Un jour, j’ai laissé tomber une brouette chargée de pierres contre un des chefs allemands qui se trouvait un peu plus bas, un type d’une grande cruauté. Il n’a pas survécu. Deux Espagnols seulement ont vu que c’était moi. On était très contents.

« Quand les Alliés ont débarqué en Afrique, ils nous ont tous libérés. Peu après, je me suis engagé dans les corps francs d’Afrique pour lutter contre les Allemands dans la guerre de Tunisie ; une guerre que dirigeait le général allemand Rommel. Ses troupes étaient considérées comme des forces d’élite. On a réussi à les mettre en déroute ; et je me suis toujours demandé comment j’avais pu survivre à cet enfer. Et comment j’ai pu survivre à ce qui est venu après…

« Pendant qu’on était en Algérie, on nous disait de ne pas passer dans la zone arabe ; mais moi, j’y passais tous les jours, je me promenais tranquillement, j’allais dans les cafés, on m’invitait à prendre le thé. Les autres me disaient que j’étais fou de faire ça, mais je leur répondais que c’était eux les fous, parce que ces gens étaient superbes. »


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Hernandez Daniel

«  Mon père était pêcheur, mais, comme il y avait peu de travail, il était parti comme mécanicien sur un cargo. En 1930, comme les choses conti- nuaient à être difficiles, toute la famille avait émigré à Alger ; on s’était installés dans le quartier de la Marine, où on a vécu dans de grandes difficultés et une grande misère. Un an plus tard, on s’installait à Oran, où travaillait un frère de mon père, également pêcheur.

On était arrivés là-bas sans rien et on essayait de gagner notre vie en pêchant clandestinement. On n’a reçu aucune aide. Ni les Espagnols, ni les Français d’origine espagnole ne voulaient entendre parler de nous…
« Mon père était un de ces pêcheurs andalous qui croyaient en la Vierge du Carmel et qui ne coupaient jamais le pain sans l’avoir d’abord signé d’une croix ; mais, en même temps, il avait des idées républicaines et suivait de près les informations sur la guerre civile. C’était un homme qui savait lire, et comme il y en avait peu qui lisaient, il en réunissait quelques-uns devant la porte de la maison, et, à la lumière d’une bougie ou d’un quinquet, autour d’une cruche de vin et d’un peu de poisson salé, il leur lisait le journal en racontant et commentant ce qui se passait dans le monde.

« À Oran, où le maire était curé et pétainiste – et appuyé par de nombreux fascistes –, débarquaient beaucoup de réfugiés qui venaient d’Almería, Alicante ou Valence, la plupart sur des voiliers ou des barques de pêcheurs. Ils étaient tous considérés comme des « rouges », et on en a emmenés beaucoup vers des camps de concentration situés dans le sud de l’Algérie. Nous, on savait qu’ils étaient maltraités dans ces camps.
« Comme les ports étaient réquisitionnés à cause de la guerre, mon père et moi devions aller pêcher à 20 km d’Oran. C’est justement sur la plage où on allait pêcher qu’on s’est retrouvés face au débarquement américain. »

Arrue German

« Mon père était républicain et appartenait à la Confédération nationale du travail (CNT). Moi, j’étais aux Jeunesses libertaires (JJLL).
« Quand la République est arrivée, j’avais quatorze ans. […]
« Quand la guerre a éclaté, j’étais à Teruel. On était là-bas un groupe de Benaguacil, partis pour y travailler, récolter le blé. […] J’ai marché une cinquantaine de kilomètres, jusqu’à ce qu’une voiture me prenne et m’emmène à Benaguacil. Quand je suis arrivé au village, tout le monde me croyait mort. […]
« J’ai fait la guerre à Teruel, à Lérida et dans la région de l’Èbre, engagé dans l’artillerie lourde ; j’étais au 5e léger d’artillerie. Je m’occupais d’une équipe de camions de transport de munitions. […]
« La guerre civile a été une guerre dans laquelle nous avons lutté sans armes et qui a duré vingt-sept mois. En France, par contre, face au même ennemi allemand, l’armée française a été vaincue en très peu de jours. Et on disait pourtant que l’armée française était la meilleure d’Europe.
« J’ai passé la frontière le 2 février 1939. L’aviation allemande et l’aviation franquiste nous ont bombardés sur le chemin, jusqu’au dernier moment. En peu de jours, on est arrivés en France ; plus d’un demi-million de personnes. En grande partie, on nous a laissés sur les plages comme des animaux, sans aucune protection contre le froid ou la pluie ; comme des animaux… […]
« De nombreux blessés sont morts faute de soins médicaux. Ils étaient enterrés dans un cimetière aménagé dans un des camps. Un cimetière qu’on a labouré, quelques années après, sans tenir compte de rien. Aujourd’hui, il ne reste aucun souvenir de ces morts pour la République. Et ils étaient des milliers. […]

« Quelques mois plus tard, la déclaration de guerre est arrivée en France ; et, tout de suite, ils sont venus dans les camps pour former des compagnies de travail avec les Espagnols. Moi, on m’a emmené dans une carrière : une poudrière.
« Quand les Allemands ont envahi la France, je me trouvais dans la zone libre ; mais je savais que si les choses empiraient, on viendrait nous prendre tous. Pour l’éviter, et pour voir si, au moins, on pouvait manger, beaucoup d’entre nous sont allés à la Légion. On nous a emmenés en Afrique du Nord. En Afrique aussi, il y avait beaucoup d’Espagnols. »