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Étiquette : Journaux

Albert Camus et l’Espagne

Albert Camus a toujours accompagné les libertaires espagnols dans leur lutte pour la liberté et contre Franco.

Albert Camus (1913-1960)
Né le 7 novembre 1913, fils d’un père ouvrier agricole, et d’une mère femme de ménage analphabète, il vit dans la pauvreté entre sa grand-mère et sa mère à Alger, dans le quartier pauvre de Belcourt. Grâce à son instituteur il poursuit ses études qui sont arrêtées nettes par la tuberculose.
Il rentre comme journaliste au quotidien Alger républicain. Puis il arrive en France métropole le 16 mars 1940.

Journaliste résistant, philosophe, auteur de pièces de théâtre, romancier, toujours au plus près des exploités et des révoltés de son époque, pacifiste libertaire il est proche des exilés anarchistes espagnols. En 1936, il se range du côté de la République espagnole fustigeant la position timorée des démocraties. Il pense qu’il faut éviter la Seconde Guerre mondiale mais rejoint le comité fondateur du journal clandestin Combat pour résister au nazisme, à la libération il en devient le rédacteur en chef. Il quittera ce journal en 1947.
Il écrit et publie entre autre : La Révolte des Asturies (1936), l’Envers et l’endroit (1937), Caligula (1938), Noces (1939), l’Etranger et Le Mythe de Sisyphe (1942), le Malentendu (1944), La Peste (1947), Lettre à un ami allemand et l’État de siège (1948), les Justes (1949), l’Homme révolté (1951), La Chute ( 1956)… et des centaines d’articles de journaux, de correspondances .
Il n’adhère à aucun courant de pensée en vogue, il suit ses propres convictions. Prix Nobel de littérature en 1957, il prononce un discours d’investiture qui ne laisse aucune ambiguïté sur ses convictions libertaires et le choix de son engagement auprès des plus opprimés :
« (…)La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts.
(…) Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer pour finir, l’étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m’accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n’en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. » Discours de Albert Camus au Nobel le 10 décembre 1957 Stockholm.

Il rejette tous les régimes dictatoriaux, les terrorismes, qu’ils soient de droite ou de gauche. Il combat l’emprisonnement, la torture, la peine de mort, la violence d’où qu’elle vienne. (Réflexions sur la peine capitale, en collaboration avec Arthur Koestler, 1957)
Alors que toute la classe intellectuelle de gauche se proclamait du marxisme léninisme et soutenait l’URSS, Camus se démarque et juge très sévèrement le totalitarisme soviétique.

« Qui osera me dire que je suis libre quand les plus fiers de mes amis sont encore dans les prisons d’Espagne ? »
Sa pièce de théâtre, Révolte dans les Asturies, pièce en 4 actes qui raconte la révolution d’octobre 1934 à Oviedo écrite en 1936, est interdite à Alger par peur d’un mouvement révolutionnaire.
Bien avant la fin de la Seconde Guerre mondiale il déclare : « Nul combat ne sera juste s’il se fait en réalité contre le peuple espagnol. Nulle Europe, nulle culture ne sera libre si elle se bâtit sur la servitude du peuple espagnol. » Pour lui, le 19 juillet 1936 est la date de le début de la Seconde Guerre mondiale mais aussi celle d’une révolution sociale, populaire jamais égalée. Il écrit le 7 septembre 1944, dans Combat : « … Notre lutte ne sera jamais victorieuse chez nous tant qu’elle sera écrasée dans la douloureuse Espagne. »

La Guerre froide enterre tous les espoirs de déloger Franco. Camus n’aura de cesse toute son existence d’appuyer le combat des libertaires espagnols contre Franco, de dénoncer les lâches complicités de toutes les démocraties et de participer tant qu’il peut aux campagnes organisées par les libertaires espagnols et la FEDIP (fédération espagnole des déportés et internés politiques) contre le régime franquiste et ses horreurs (exécutions, emprisonnements, persécutions…). Il intervient dans les meetings et contacte les intellectuels proches de lui mais aussi jusqu’à « ses adversaires littéraires » pour défendre la liberté en Espagne et tenter de faire libérer mes condamnés du franquisme.
De même il soutient de toute l’autorité que lui confère sa position d’écrivain engagé, les campagnes de la FEDIP pour la libération des Républicains espagnols détenus dans le goulag de Karaganda en URSS, depuis la fin de la guerre.
En 1952, il s’éloigne de l’UNESCO pour protester de la complaisance de cette institution envers l’Espagne franquiste.
Camus fut un soutien à toutes les actions qui pouvaient de près ou de loin déstabiliser ou pour le moins dénoncer le régime franquiste…

« Le monde occidental doit savoir que sa conscience se trouve dans l’Espagne et ses libertés à retrouver. »

Retrouvez Albert Camus et l’espagne dans un dossier détaillé du Numéro 13 des cahiers du CTDEE.

Et pour mieux connaitre ce que l’idéal libertaire a construit en Espagne et dans le monde, profitez pour découvrir cette publication du N°1 au N°12 avec ses articles de fond et ses dossiers très documentés:
N°1: Les prisonniers fantômes de Karaganda;
N°2: Asturie 1934, l’autre révolution d’octobre;
N°3: Ateneo español de Toulouse;
N°4: La colonia d’aymara;
N°5: 19 de Julio/19 juillet 1936, Révolution espagnole;
N°6: Cléricalisme et anticléricalisme espagne et exil;
N°7: Mai 37, Barcelone;
N°8: « Prisonniers de guerre », les antifascistes espagnols au Lancashire, 1944-1946:
N°9: La Catalogne, une crise qui vient de loin;
N°10: Spécial 80 ans de l’exil; L’exode d’un peuple;
N°11: Les derniers jours de la République espagnole, mars 1939;
N°12: S’intégrer sans se dissoudre, les réfugiés politiques espagnols.

http://www.documentationexilespagnol-toulouse.fr/pages/les-publications-du-ctdee.html

Vous pouvez vous procurer les numéros soit auprès de notre association soit en les commandant directement au CTDEE en utilisant le bon ci joint.

JOURNAL DE BORD DE LA FRESQUE / EL DIARIO DEL MURAL DE LA NUEVE

Le chantier de la fresque de la Nueve à Paris est lancé !

Nous vous proposons de suivre l’avancée des travaux de réalisation à travers un petit reportage photos que nous alimenterons régulièrement. Depuis le vendredi 3 mai l’échafaudage est monté et l’alarme est posée. Et le lundi 6 mai au matin, notre artiste Juan Chica-Ventura, bien épaulé par Anne Aubert -elle-même artiste peintre- projetait sur ce mur du 20 rue Esquirol, le fantôme de ce beau projet, représentant les 3 jours qui marquèrent l’entrée de la 2e DB dans Paris pour soutenir le combat de la résistance intérieure et la libération de Paris. L’avancée des travaux dépend des conditions climatiques. Découvrez qui sont les artistes peintres engagés dans l’aventure.

Diario de la realización del mural de la Nueve

Os proponemos seguir las sucesivas etapas de la realización de la obra mediante un pequeño reportaje fotográfico que iremos incrementando. El viernes 3 de mayo se finalizó el andamio y se conectó la alarma. Y el lunes 6 de mayo por la mañana, nuestro artista Juan Chica-Ventura, con el apoyo de Anne Aubert – ella también pintora – proyectaban en el muro del 20 de calle Esquirol, Paris13 l, la sombra de este bello proyecto que alude a los tres días que marcaron la entrada de la Segunda División Blindada en París, en apoyo al combate de la resistencia interior y a la liberación de París. El progreso de los trabajos depende del tiempo. Descubrid quien son los artistas Pour encourager les artistes, un cadeau de notre ami Serge Utgé Royo: https://www.youtube.com/watch?v=KVLpnnVcnUY Un regalo de nuestro amigo Serge Utgé-Royo: Les premières photos : 3 mai 2019, L’ÉCHAFAUDAGE, el 3 de mayo , EL ANDAMIO 6 mai 2019, PREMIERS PAS, LOS PRIMEROS PASOS 9 mai 2019, LES PREMIÈRE ESQUISSES DES LETTRES, PRIMEROS ESBOZOS DE LETRAS, 14 mai 2019, LE LETTRAGE CONTINUE, LA CALIGRAFÍA SIGUE 16 mai 2019, DU RENFORT AVEC CLAIRE POUR LE TEXTE, EL APOYO DE CLAIRE PARA EL TEXTO 16 mai 2019, ANNE ET CLAIRE AU 2e , JUAN AU 5e, ANNE Y CLAIRE 2a PISO, JUAN 5a PISO Les derniers détails avant son achèvement.6 juillet 2019 Nous remercions chaleureusement de votre soutien inconditionnel et nous vous invitons toutes et tous le 24 août 2019 pour l’inauguration de cette trace de l’Histoire ! Con nuestro sentido agradecimiento – os invitamos todas y todos el próximo 24 de agosto de 2019, para la inauguración de esta huella de la Historia

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Republicanos españoles en la liberación de París

Eduardo Pons Prades, né à Barcelone le 19 décembre 1920 et mort dans cette même ville le 28 mai 2007, connu aussi sous le pseudonyme de Floreal Barcino, est un écrivain spécialisé en histoire contemporaine espagnole du XXe siècle, scénariste documentaire, militant de la CNT. Il est également conférencier. spécialiste reconnu de la résistance des républicains espagnols en France, pour y avoir lui-même participé, il a publié plusieurs oeuvres sur ses péripéties. Il évoque ici la constitution de la Nueve au sein de la 2e DB et tout son parcours jusqu’à la démobilisation en août 1945.

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L’exode républicain espagnol de 1939 dans la presse française.

(photo de l’article : l’Illustration du 18 février 1939, photos de Jean Clair-Guyot)


Dès le début du conflit en juillet 1936, l’enjeu d’un affrontement politique de la presse

Le déclenchement de la guerre civile, consécutivement à l’échec du coup d’état dans une bonne moitié de l’Espagne, est sans doute l’événement qui dans la France d’avant guerre suscite les réactions les plus passionnées, qui atteignent vite la violence verbale, écrite et physique. Violence verbale de par les invectives, violence écrite de par certains articles publiés dans une presse xénophobe à l’encontre de la République espagnole ; violences physiques lorsque, à la sortie des meetings tenus en faveur de l’un ou l’autre camp, salle Bullier ou salle Wagram, s’affrontent les partisans des deux bords. La presse se fera le vecteur de ces polémiques enflammées, dont l’élément déclencheur fut la réunion à Paris, le 21 juillet 1936, d’un conseil des ministres restreint chargé de se prononcer sur la demande d’aide en matériel faite par le président du conseil espagnol José Giral auprès de Léon Blum. Chacun sait que dans un premier temps la réponse de Léon Blum fut favorable à cette demande et que des hommes comme Jean Zay, André Malraux luttèrent dans ce sens. À la suite d’indiscrétions, commises volontairement par l’ambassadeur d’Espagne Juan Francisco Cárdenas y Rodriguez de Rivas [[ambassadeur à Paris du 14 juin 1934 à juillet 1936]] et le chargé d’affaires militaires espagnol, le commandant Barroso, tous deux favorables aux Rebelles et présents lors de la réunion, le journal L’Écho de Paris, sous la plume d’Henri de Kérillis, divulgua cet accord et cria au scandale, en titrant, le 24 juillet, « Il faut empêcher le gouvernement de ravitailler les communistes espagnols » (voir Doc N°1 ). François Mauriac lui-même, qui pourtant deviendra à partir du 15 août [[prise de Badajoz par les Rebelles]] un opposant résolu au franquisme, participera à cette campagne de presse contre le gouvernement et publiera dans Le Figaro du 25 juillet un article, l’Internationale de la Haine, dans lequel il fustige « le partisan Blum » pour son attitude interventionniste. « S’il était prouvé que nos maîtres collaborent activement au massacre dans la Péninsule, alors nous saurions que la France est gouvernée non par des hommes d’État, mais par des chefs de bande soumis aux ordres de ce qu’il faut bien appeler : l’Internationale de la haine. » François Mauriac, extrait Le Figaro 25 juillet 1926.

C’est encore dans l’Écho de Paris que le 26 août, est publiée une diatribe contre les républicains, de la part du Général de Castelnau qui se termine par cette phrase: « Ce n’est plus le Frente popular qui gouverne, c’est le Frente crapular ». Les principales autres publications d’extrême droite –Candide, Je suis partout, Gringoire, le Matin, Le Jour-, auront le même contenu et utiliseront le même registre.
De leur côté, les organes de presse de la gauche française –Le Populaire, L’Humanité, Ce Soir, Regards, L’Oeuvre, Vendredi, Commune, Europe– défendront la cause républicaine, (voir document N°2), et en premier lieu ces toutes premières mesures interventionnistes, prises avant le revirement français de la Non intervention. Il n’est pas exagéré de dire que pendant le conflit espagnol s’installe en France un climat de guerre civile intellectuelle larvée, d’autant plus présent qu’au-delà de l’Espagne c’est l’avenir de l’Europe qui se jouait à Madrid, Barcelone ou Valence. Tel media français célébrait le courage des héros de l’Alcazar, tel autre vantait les mérites des combattants de la liberté, démunis et abandonnés par les puissances européennes. La désinformation et la propagande atteignirent leur paroxysme le 3 mai 1937 dans Le Figaro sous le titre : « Une enquête à Guernica des journalistes étrangers révèle que la ville n’a pas été bombardée…Les maisons avaient été arrosées d’essence et incendiées par les Gouvernementaux » (voir doc N°3).
Près de trois ans plus tard, lorsque l’armée républicaine, vaincue en Catalogne, se replie en terre française, c’est le même clivage que l’on retrouve dans les périodiques vis-à-vis des réfugiés espagnols. Avec une virulente réaction de rejet de la part des adversaires de ces réfugiés.

La presse et l’exode républicain.

Après la prise de Barcelone par les Rebelles, le 27 janvier 1939, commence la Retirada. L’arrivée massive sur le sol français des Républicains vaincus fait la une de la presse, et y restera pendant deux mois, jusqu’à ce que cette même presse braque le projecteur sur l’invasion de la Bohême et de la Moravie par les troupes allemandes. Le débat opposera ceux qui considèrent qu’il faut accueillir dignement les combattants de la liberté et de l’antifascisme, et qui dénoncent les conditions mêmes de l’accueil des réfugiés, et ceux qui s’opposent à cet afflux massif d’étrangers sur le sol français, et souhaitent les renvoyer dans l’Espagne franquiste parce qu’ils sont dangereux et qu’ils obèrent les finances de la France.

La presse favorable en campagne pour aider les exilés

Les organes de presse favorables aux réfugiés demandent dès fin janvier que tout soit fait par les autorités gouvernementales, départementales et communales, pour qu’ils soient accueillis dignement. Aux motivations strictement politiques et idéologiques, liées à la défense de la république et au combat antifasciste des républicains espagnols, s’ajoutent des arguments d’ordre éthique, moral, philosophique et humanitaire, en rapport avec la tradition de la France, terre d’asile. Le Populaire, organe du parti SFIO, consacre sa première une sur le sujet le 29 janvier : « La France, suprême espoir des femmes et enfants espagnols qui fuient la mitraille des Barbares », et accompagne ce titre d’une photo d’enfants apeurés sous les bombardements, en évoquant « les scènes déchirantes qui se déroulent à la frontière franco-espagnole » (voir Doc N°4). Le 30, le journal titre en gros caractères « Des dizaines de milliers de femmes, d’enfants se réfugient en France ». Les titres des jours suivants, illustrés par des scènes de désespoir de personnes obligées de quitter leur terre natale, sont tout aussi parlants : « Une vision dantesque : l’Espagne martyre sur le chemin de l’exil » (31 janvier), « La population martyre de la Catalogne » (1 février), « Le lamentable exode des Espagnols continue » (8 février). L’œuvre, quotidien de sensibilité socialiste, évoque pour sa part, dès le 28 janvier, le projet de mise en place, pour l’accueil des réfugiés de « camps d’hébergement ». L’œuvre est ainsi le seul organe de presse qui parle des camps avant le 30 janvier, date à laquelle est prise la décision de créer celui d’Argelès, et qui emploie le mot hébergement, qui deviendra la formulation officielle plus tard. Le 1 février le journal lance une souscription « Au secours des enfants espagnols ». L’Humanité pour sa part invite chaque jour la population des Pyrénées Orientales à créer des comités d’accueil et à aider ceux qu’elle nomme « les victimes du fascisme », qui doivent trouver en France soins et asile (voir Doc N°5). Enfin, Ce Soir, quotidien communiste qui comptait parmi ses collaborateurs nombre d’Intellectuels prestigieux, comme Aragon Andrée Viollis, Paul Nizan ou Louis Parrot, adopte par rapport aux conditions d’accueil des réfugiés, une position très critique. Louis Parrot y dénonce, le 27 janvier, l’envoi par le gouvernement de tirailleurs sénégalais et de gardes mobiles à la frontière française, et titre le 30 : « On ne peut maîtriser son indignation devant l’insuffisance de la réception officielle ». On le voit, en ce début d’exode, les termes sont parfois mesurés dans le camp pro-républicain, et l’art de la litote est parfois bien manié. Le même jour, naissent deux rubriques : « Sauvez les enfants d’Espagne » et « Un jour du monde » (voir Doc N°6) où Aragon défend la cause républicaine. L’originalité de Ce Soir, par rapport aux autres quotidiens favorables à la République, réside dans la part importante qu’il consacre aux documents photographiques. Chaque jour, une page entière est réservée aux photos de l’exode. Le 30 janvier, un document montrant des réfugiés amputés et claudicants est sous-titré : « Quel document plus terrible que celui-ci ? Certains osent parler de la fuite des soldats républicains vers notre frontière. Ceux qui quittent le sol de leur patrie, les voilà : jambes coupées, corps rongés par la maladie, déchirés par les blessures. Faut-il qu’ils restent encore sous la mitraille pour avoir droit au nom de héros » ? Il s’agit là, de la part du journaliste de Ce Soir, d’une réfutation des propos et des allégations de l’extrême droite, qui, nous le verrons, présentait l’armée républicaine comme une bande de fuyards, à l’instar de son chef de gouvernement accusé de s’être réfugié en France. Le ton et le vocabulaire employés par Ce Soir le différencient d’autres publications favorables aux réfugiés, et visent à provoquer chez le lecteur non seulement l’indignation mais aussi la compassion. Il est question à de nombreuses reprises, dans les commentaires de photos toujours saisissantes, des « pauvres gens », des « malheureux », de « l’immense cortège de la douleur », dépeint avec ses balluchons et ses hardes. Une façon d’ajouter au facteur politique, du droit et de la raison dans la lutte, un facteur humain

La presse hostile fustige les hordes de déguenillés, envahisseurs rouge.

La réaction de la presse d’extrême droite par rapport à cette arrivée massive de réfugiés sur le sol français est bien sûr tout autre. Elle est avant tout mue par des considérations d’ordre idéologique, exprimées parfois sous couvert de bien du pays, du triple point de vue politique social et économique. Avant d’étudier ces réactions, il convient de souligner l’importance que détient dans les années 30-40 la presse d’extrême droite. Nous avons vu quel rôle elle avait pu jouer par rapport au problème de la non intervention. Elle tentera à nouveau de conditionner une partie de l’opinion publique française, dans une perspective xénophobe et exclusive, et dans un langage et sous une forme qui aujourd’hui tomberaient sous le coup de la loi, fustigeant avec une outrance et une vulgarité jamais égalées, les réfugiés républicains. Cette presse salue l’avance des troupes nationalistes et stigmatise l’attitude de l’armée républicaine. Elle est violemment hostile à l’arrivée et à l’accueil des réfugiés sur le sol français, et essaie de provoquer la peur et la panique dans l’opinion. S’exprimant sur un ton alarmiste, elle fustige les républicains, présentés tous comme des hommes dangereux, qualifiés d’anarchistes et /ou de voyous. Le Matin, le 29 janvier, parle d’ « invasion », et le lendemain d’ « une masse de fugitifs »(voir doc N°7/1 & 7/2). Il s’agit là d’un discours de propagande qui rejoint celle dont l’extrême droite faisait preuve, depuis 1936, dans le domaine de la politique intérieure française. Le 12 février, le journal titre : « La présence sur notre sol des réfugiés et des fuyards pose un problème grave qu’il faudra résoudre sans tarder ». Le 23, il est question de « l’indésirable invasion des miliciens espagnols », présentés le 25 comme « hôtes dangereux ». Tous ces titres sont illustrés par des photos de cohortes de républicains à la frontière du Perthus, destinées à faire naître chez le lecteur un sentiment d’épouvante. Le ton est encore plus virulent dans Le Jour, que dirige Léon Bailby. Il y est question le 6 février des « débris de l’armée rouge », et dans le numéro du 22 les Pyrénées Orientales sont assimilées à un dépotoir. Un autre périodique, l’Époque, dirigé par Henri de Kérillis, -celui-là même qui tenait les rênes de l’Écho de Paris en 1936- n’est guère en reste ni dans le dénigrement des réfugiés, ni dans le ton employé. Le vocabulaire utilisé dans les titres, « Épaves humaines » (le 27 janvier), « Dangereux envahissements », « flot de fuyards » (le 30), « grande invasion » (le 3 février) « cortège lamentable » (le 7), participe d’une vision apocalyptique qui vise à produire un effet de terreur en envisageant une atteinte à l’ordre public. L’horreur, la haine et la vulgarité atteignent leur paroxysme dans les deux hebdomadaires profascistes que sont Gringoire et Je suis partout. Dans Gringoire du 9 février, Henri Béraud (voir Doc N°8), dans un article particulièrement odieux et xénophobe, intitulé « Donnez-leur tout de même à boire » parle de « débris du frente popular », des « torrents de laideur ». Il s’en prend aux « grandes gueules anarcho-marxistes », aux « bêtes carnassières de l’Internationale », à « la tourbe étrangère », à « la lie des bas-fonds et des bagnes ». C’est avec la même grossièreté qu’il traite les dirigeants républicains de « salauds ». Candide utilise le même registre, dans des articles haineux, qui voisinent avec des fiches anthropomorphiques consacrées à Georges Mendel, Pierre Cot ou Jules Moch, dont la teneur est facilement devinable. Le 8 février, les Républicains sont présentés comme de vils envahisseurs : « la lie, toute la pègre de Barcelone, tous les assassins, les tchéquistes, les bourreaux, les déterreurs de carmélites, tous les Thénardier de l’émeute, font irruption sur le sol français ». Dans le même numéro, un autre titre, de la même veine, s’en prend au ministre de l’Intérieur : « La lie de l’anarchie mondiale est en France grâce à M. Albert Sarrault ». Les réfugiés sont accusés de dévaster les campagnes du Roussillon, d’obérer les finances de la France, et de faire planer sur elle des menaces d’épidémie. Ces thèmes, en particulier celui du coût pour le contribuable français, seront repris par certains députés conservateurs français lors du débat à la Chambre des Députés, le 19 mars, à propos du vote sur l’augmentation du budget destiné à accueillir les Réfugiés espagnols. C’est encore Candide qui, le 16 février, apostrophe le gouvernement en lui demandant : « L’armée du crime est en France. Qu’allez-vous en faire »?

L’affrontement polémique sur les camps dans la presse.

Ces premières polémiques sur l’arrivée massive des réfugiés vont croître en intensité lors de la création des camps d’internement. Avec un élément supplémentaire : la dénonciation par la presse de gauche des conditions de vie dans ces camps. Le premier camp, celui d’Argelès, est créé le 30 janvier 1939. Le Populaire mentionne pour la première fois son existence le 6 février, par une présentation, sans jugement de valeur : « Le camp de concentration d’Argelès pourra recevoir 100 000 hommes environ ». Le lendemain, il signale l’installation d’un deuxième camp, celui de Barcarès, et souligne l’acuité du problème de l’accueil des réfugiés devant le nombre croissant de personnes (150 000) qui ont déjà passé la frontière. En ce début d’exode, le quotidien met l’accent sur le dénuement matériel et moral des réfugiés, victimes des troupes franquistes et italiennes, qu’il appelle « les sauvages de l’air ». Il ne braque pas encore le projecteur sur les conditions de vie dans les camps. Le ton et le contenu changent le 9 février. Dans un article intitulé « À la frontière espagnole », Jean Maurice Hermann, qui sera le journaliste chargé plus particulièrement de couvrir cette rubrique, condamne le manque d’organisation et de diligence de la part du gouvernement français dans les conditions d’accueil des réfugiés : « Il nous faut hélas faire entendre une voix discordante dans le choeur béat des admirateurs officiels. Je suis allé ce matin à Argelès sur mer. Sur la plage, à perte de vue, grouille une foule immense, parquée entre des fils de fer barbelés. Un sur 1000 des hommes qui sont là a pu trouver un abri pour la nuit. La plupart de ceux que j’interroge n’ont pas mangé depuis deux jours. Il faut d’urgence loger ces malheureux, les réunir en baraquements. Si l’on veut éviter des incidents, il faut permettre à ces hommes de vivre ». Cette première critique de la dureté des conditions de vie dans les camps et cette demande d’aménagement de l’espace, par la construction de baraques en dur, Jean Maurice Hermann la reprendra dans de nombreux autres articles. Le 12, sous le titre « Avec les réfugiés espagnols et les combattants de la liberté », il dénonce le surpeuplement : « Combien sont-ils à Saint Cyprien, à Argelès, au Boulou, à Prats de Mollo, à la Tour de Carol ? Nul ne le sait. On continue à manger peu, très peu : un quart de boule de pain par jour c’est bien maigre. À la Tour de Carol, neuf enterrements ont eu lieu en un seul jour ». Il dénonce par ailleurs la propagande franquiste qui s’exerce dans les camps, où se rendent des agents recruteurs, aidés et encouragés par les autorités, pour faire revenir les réfugiés dans l’ Espagne de Franco. Une délégation de parlementaires socialistes, conduite par André Letroquer, est envoyée dans les camps pour enquêter sur les conditions de vie. Le résultat laisse apparaître de terribles manquements à l’hygiène et des conditions désastreuses de réclusion. Le 13 février, JM Hermann dans Le Populaire, sous la rubrique « Au milieu des réfugiés espagnols », en regard d’une photo représentant les tentes d’Argelès, parle de « spectacle lamentable et émouvant », dénonce le surpeuplement, l’absence d’abris, la licence totale laissée aux agents recruteurs franquistes et « le triste travail de la police française » Le 14, sous la même rubrique, il titre sur « Le bagne d’Argelès », qu’il faut vider d’urgence : « Attendra-t-on que les pleurésies, les congestions pulmonaires aient assassiné 10 000 ou 20 000 soldats de la liberté, épargnés par les bombes italiennes et les obus allemands pour prendre enfin les décisions indispensables ? » L’éditorialiste demande que soient utilisés les camps militaires existants, tels ceux du Larzac et de la Valbonne. Le 15, il est fait une large place à la conférence de presse tenue par les parlementaires de retour à Paris. JM Hermann, évoquant la misère morale des internés, demande la création d’un service de regroupement et de recherche des familles. Le 16, le quotidien fait état de la rencontre entre la délégation et le Président du Conseil Daladier et publie une photo du camp d’Argelès avec comme légende ; « Gardes mobiles et spahis marocains gardent le sinistre camp d’Argelès ». Parallèlement, par l’intermédiaire du secours socialiste, une action concrète, organisée par le journal le 19 février, se traduit par le lancement d’une souscription et des appels pour recueillir vêtements et vivres. Une rubrique Le courrier des réfugiés voit le jour le 21, destinée à regrouper des familles. Elle sera moins efficace que prévu, puisque la vente du Populaire sera interdite à partir du 23 février dans les camps d’Argelès et de St Cyprien, ce qui provoquera l’indignation de JM Hermann : « Les autorités françaises n’autorisent que la presse de droite, celle qui couvre d’injures les Républicains espagnols ». C’est de fait toute la politique d’accueil des réfugiés suivie par le gouvernement qui est mise en cause par les socialistes. Léon Blum, dans un éditorial du 17 février, ayant pour titre « Nos hôtes espagnols » écrit à ce sujet : « Quelle idée le gouvernement, et en particulier les départements de la Guerre et de l’Intérieur, se font-ils des Espagnols entassés dans les camps d’Argelès et de St Cyprien ? Pour qui les prennent-ils »? Désireux d’éviter tout amalgame, le chef de la SFIO poursuit : « Admettons qu’il se soit glissé, dans la masse, des éléments « indésirables ». Qu’on les trie et qu’on les extirpe. Mais les autres, les civils et surtout les soldats, de quel droit les traite-t-on comme des prisonniers » ? (Voir doc N°9). Pendant le mois de mars, la guerre d’Espagne reste l’un des thèmes prioritaires du Populaire, mais les camps ne constituent plus les gros titres de la première page, qui sont dorénavant consacrés à la reconnaissance de Franco par l’Angleterre et la France, ainsi qu’à la nomination de Pétain comme ambassadeur à Burgos.
L’autre organe de presse qui braque le projecteur sur le scandale des camps de concentration est L’Humanité, l’organe du Parti communiste. À partir du 9 février, le journal, qui lance une souscription en faveur des réfugiés, souligne le dénuement des conditions de vie des internés, la carence des services médicaux et des médicaments, et met en cause le gouvernement français. Le 15, Argelès est dépeint comme « un véritable pénitencier où couve un foyer d’épidémies ». Jusqu’à cette date, le problème n’est jamais traité en première page, mais en page 4. Un changement s’opère le 16 février à la suite de la visite dans les camps d’une délégation de parlementaires communistes (voir Doc N° 10). Le quotidien, faisant allusion cette fois non seulement aux camps d’Argelès et de St Cyprien, mais aussi à ceux d’Arles sur Tech et d’Amélie les Bains, titre à la une : « Il faut en finir avec le scandale odieux des camps de concentration », et réclame des soins aux blessés et aux malades, ainsi que des vivres et des abris pour les soldats. L’article est relayé en page intérieure par la publication de la lettre que Raymond Guyot, député de la Seine et membre de la délégation communiste, et elle a été envoyée à tous ses collègues. Sous le titre « Ce que j’ai vu à St Cyprien », le parlementaire y dénonce les conditions d’hygiène et de détention qui règnent dans le camp, stigmatise les sévices que font subir aux détenus les tirailleurs sénégalais, et conclut : « Ce que j’ai vu est contraire au respect de la personne humaine et ne peut que semer au cœur de ces hommes et de ces femmes la haine envers la France ». Le 17, François Billoux, député de Marseille, parle de « calvaire », et fait état de la lettre envoyée par la délégation parlementaire au président Daladier, dans laquelle les députés communistes dénoncent « les humiliations, les brutalités et les vols dont ont été victimes dans les camps les soldats et les réfugiés ». L’organe du parti communiste en profite pour relier cette question à la politique intérieure française, et, de manière polémique et pour sûr excessive, accuse M Bonnet, ministre des Affaires étrangères de vouloir « par ce moyen faciliter la besogne du fascisme international en France ». La dénonciation des conditions d’internement ne cesse durant tout le mois de février. La suppression des camps est demandée le 18 : « supprimer les camps d’Argelès et de Saint Cyprien, c’est sauver des vies espagnoles et l’honneur de la France. ». Le 21, plusieurs décès sont signalés. Le thème se raréfie en mars. Le journal consacre alors ses pages à la « trahison » de Casado et de Miaja contre Negrin et le gouvernement républicain, et à la défense d’André Marty, attaqué au parlement pour son comportement au sein des Brigades Internationales. La question des réfugiés réapparaîtra cependant le 15 mars, dans le compte rendu du débat sur l’Espagne qui se déroule à la Chambre, où Raymond Guyot s’élève contre les scandales des camps de concentration et réclame la stricte application du droit d’asile. Ce Soir, pour sa part, publie son premier article sur les camps le 12 février. Son envoyé spécial, Stéphane Manier, titre : « À Argelès sur mer, ce n’est plus la mitraille qui tue, c’est la faim, la fièvre, le froid ». Le 13, c’est la situation à St Cyprien qui fait l’objet d’un article d’un autre envoyé spécial, Ribecourt. Le 14, à propos de l’isolement des Espagnols, il fait allusion aux « scènes révoltantes d’Argelès, où la population du sud-ouest, dont on craint la pitié, est écartée, par la force militaire, des lieux de souffrance du peuple espagnol ». Dans le même numéro, il est question de « l’enfer des camps de concentration d’Argelès et de St «Cyprien» et une page entière est consacrée à des documents photographiques. Le 15, Ce Soir fait état de 25 morts à St Cyprien et de 10 morts par nuit à Argelès. Le 16 du surpeuplement d’Argelès, où se trouvent 78000 hommes pour 1500 abris.
La presse française de gauche ne cesse donc tout au long du mois de février, d’attirer l’attention de l’opinion et des autorités sur les camps, de manière de plus en plus soutenue à partir du 9, au fur à mesure que se découvre, et se dégrade, la situation matérielle et morale des réfugiés. Ce sont seulement les éléments extérieurs -reconnaissance par les démocraties du gouvernement de Burgos, dernières opérations militaires de la guerre civile, invasion de la Bohême et de la Moravie par les troupes allemandes- qui feront passer au second plan dans les journaux la réalité des camps. Mais périodiquement, sans faire l’objet de gros titres ni de la Une, cette situation sera évoquée.

La presse d’extrême droite confirme son allégeance aux dictatures.

Tout autre est la vision de la presse d’extrême droite (voir Doc N° 11). Examinons comment Le Matin, L’Époque, Le Jour, Candide, Je suis partout, Gringoire– réagissent par rapport à l’internement des Espagnols.
Sur un ton que nous avons déjà évoqué, où se mêlent invective, insulte abjecte et xénophobie, la principale demande est le renvoi des réfugiés dans leur pays. Il n’est jamais fait mention des conditions de vie dans les camps. C’est sous un angle méprisant et hostile que le thème est abordé. Le 7 février, Le Matin signale l’acheminement des miliciens désarmés vers des camps de concentration. Le 18, il présente les Internés comme des « Indésirables » astreints à des travaux d’utilité publique, et souligne que des peines sévères sanctionneront toute atteinte à la discipline de ce que le journaliste appelle pudiquement « centre de rassemblement ». La seule référence concrète est celle du camp de Mende, en Lozère. À aucun moment il n’est question d’Argelès, de St Cyprien ou de Barcarès. Le parti choisi est celui de la banalisation, et de la lutte contre l’invasion étrangère, qui constitue le gros titre de la une. L’Époque, pour sa part signale le 6 février, l’envoi des républicains désarmés dans des camps. Le 8, Louis Gabriel Robinet, l’envoyé spécial du journal à Argelès, présente les républicains comme des pillards. Le 12, sous le titre alarmiste « L’inquiétude vient des camps de concentration », il dénonce les menaces d’épidémie, et prête aux internés l’intention de se révolter. Je suis partout va plus loin le 3 février et parle du « fallacieux prétexte des camps de concentration », demandant l’évacuation des réfugiés du sol français. Le Jour va dans le même sens le 18 février. Candide, pour sa part, le 8 février, présente les miliciens comme des profiteurs « bien portants et armés », et recourt à la moquerie, au cynisme et à la dérision : « Ils ne se soucient pas d’affronter l’armée de Franco, et préfèrent la vie dans un camp de concentration français. On les reçoit, on les héberge tant bien que mal, à Argelès, au Boulou, à Fort les Bains. On leur donne à manger ». Dans la même veine, l’hebdomadaire titre le 1er mars « À l’ombre des héros en fuite ». Mais l’organe de presse qui va le plus loin dans l’injure et l’appel à la haine est Gringoire. Le 16 février, cet hebdomadaire évoque « les miliciens mal surveillés dans des camps de concentration fictifs ». Mélangeant exode et internement, montant en épingle des faits isolés, et pratiquant l’amalgame, il présente les réfugiés comme des pillards qui dévastent les campagnes roussillonnaises, et traite les internés de « lie » et de « pègre rouge ». Le 1er mars c’est le terme « racaille meurtrière » qui apparaît, dans un article qui se termine par cette phrase : « il faut nous débarrasser de tout cela ». C’est la même litanie qui sera reprise le 16 mars sous le titre « L’invasion des marxistes espagnols coûte à l’état plus de 200 millions par mois ». Ces exemples suffisent à caractériser l’état d’esprit qui anime la presse d’extrême droite, qui, sur un ton outrancier et injurieux, ne voit dans les républicains que des pillards, des égorgeurs, des bandits et des fauteurs de troubles. Le discours est basé sur la désinformation, pour activer une propagande destinée à faire naître dans l’opinion des réactions de peur et de rejet.
Il est à noter que cette stigmatisation des républicains n’est pas l’apanage exclusif des périodiques d’extrême droite. On peut lire dans un journal comme Le Petit Parisien, considéré comme un journal d’information, un article, en date du 14 janvier, particulièrement xénophobe. L’auteur, Marcel Régnier, s’inquiète de « l’invasion massive de notre sol » et demande le renvoi des Espagnols dans leur pays : « une besogne d’épuration s’impose », suggérant même que ceux qui ne seraient pas repris par Franco, ceux qu’il appelle « les délinquants de droit commun », soient déportés au bagne de Guyane. Un autre chroniqueur, Georges Arquié, écrit le 25 : « À la faveur de l’exode, toute la lie des prisons catalanes est entrée en France ».Cela dit, d’autres articles plus mesurés sont publiés dans le Petit Parisien, qui distinguent certains auteurs d’exactions de « la grande masse de ceux qui n’ont pas cessé d’être pour la plupart, dans la défaite et le malheur, des gens conscients de leurs devoirs » (26 février). Preuve s’il en était de l’embarras et de l’hésitation d’un secteur de l’opinion, fluctuant, face à un problème qui devient chaque jour plus crucial, et dont personne -sauf l’extrême droite évidemment- n’envisage la solution.
Quant à L’Indépendant, principal quotidien des Pyrénées orientales, force est de constater qu’il rejoignit souvent, sur le fond et sur la forme, les positions extrêmes xénophobes. Privilégiant le thème de l’exode dans ses une, il présente très négativement l’arrivée des Espagnols, titrant le 27 janvier : « Des misérables réfugiés aux ministres en fuite et aux déserteurs couverts de bijoux, pendant que l’armée désemparée bat en retraite ». Le 28, Théo Duret évoque « la vague des réfugiés qui vient battre dangereusement la frontière », et s’inquiète d’un possible déferlement sur la France d’une masse humaine incontrôlable. Le 30, la création du camp d’Argelès lui semble « particulièrement opportune », pour des hommes qu’il considère indociles, et leur exode en France lui apparaît agréable. Le 31 les réfugiés sont assimilés à des allumeurs d’incendies, des pilleurs de fermes et des miliciens déserteurs. Durant tout le mois, il n’est question que des incidents et des exactions provoqués ici ou là. Le 9, le quotidien évoque le camp de la Mauresque à Port Vendres, et parle « d’un bien-être apprécié ». Le 24, il est fait état du bilan satisfaisant dressé par une délégation de parlementaires radicaux-socialistes après sa visite des camps. (Voir Doc N°12)

La position de l’autre grand quotidien des Pyrénées orientales, La Dépêche du Midi, fut, elle, ambiguë ou pour le moins évolutive. La Dépêche fait certes, le 29 janvier, preuve de compassion, évoquant « les innocentes victimes de la guerre civile », mais très tôt approuve la création des camps, réfutant d’avance les protestations qui pourraient s’élever : « Demain nous entendrons peut-être des protestations et sans doute jusqu’à la tribune de la chambre. Elles seront sans fondement. Qu’on vienne plutôt se rendre compte de la situation réelle au sein des populations du Roussillon, qui ont été et demeurent fort compatissantes à la situation des réfugiés, mais n’admettront jamais certains abus ». L’existence des camps est donc justifiée par souci de maintien de l’ordre public, et par souci des nécessités d’ordre sanitaire. Par ailleurs La Dépêche entretient avec Albert Sarrault, ministre de l’Intérieur, des liens étroits. Elle rapporte donc le 2 février les propos rassurants du ministre sur l’organisation des futurs camps: « Il ne s’agira jamais d’un internement de prisonniers. Les Espagnols n’y seront soumis à aucun régime vexatoire ». Dès lors, ce sont les réfugiés eux-mêmes, et non leurs conditions d’internement, qui seront stigmatisés. Le 10, Lucien Castan titre « Graves incidents dans les camps de St Cyprien et d’Argelès », et signale des affrontements entre les gardes mobiles et des miliciens des Brigades, mécontents du sort qui leur est réservé par les autorités françaises. L’auteur prétend que les réfugiés sont bien traités. Le 16 février, les critiques émises par les socialistes et les communistes sont réfutées, et la presse de gauche est accusée de faire preuve de mauvaise foi : « Certains journaux ont poursuivi une campagne de dénigrement systématique politiquement intéressée. Je n’ai vu au camp d’Argelès ni « buveur d’urine », ni « mangeur de roseaux ».

Conclusion : La presse comme miroir des enjeux politiques à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Ainsi donc l’accueil des républicains espagnols suscita une immense fracture au sein de l’opinion publique française. Le conflit espagnol sur le point de s’achever, alimenta une controverse comparable en intensité à celle qui avait divisé l’opinion en 1936, et de fait avait ébranlé le Front Populaire. L’Histoire aura retenu que l’accueil des combattants de la liberté ne fut pas digne de celui qu’ils méritaient. L’ironie tragique du sort voulut qu’une partie de ces réfugiés, qui avaient quitté leur terre natale pour un exil incertain, et qui avaient subi les attaques de beaucoup d’organes de presse, s’engageront au sein de compagnies de travailleurs prestataires de services de l’armée française, pour participer à un autre combat, qui conduira 7500 d’entre eux, à partir du 6 août 1940, au camp d’extermination de Mauthausen. Près de 5000 y périront.

Pas d'armes pour l'espagne
Pas d’armes pour l’espagne
Aide à l'Espagne républicaine
Aide à l’Espagne républicaine
Une enquête à Guernica
Une enquête à Guernica
La France suprême espoir / La chose Impossible Léon Blum
La France suprême espoir / La chose Impossible Léon Blum
Situations intolérables
Situations intolérables
Un jour du Monde
Un jour du Monde
Frontière française fermée à l'invasion; des réfugiés espagnols
Frontière française fermée à l’invasion; des réfugiés espagnols
Les nationalistes poursuivent leur marche en avant
Les nationalistes poursuivent leur marche en avant
Donnez leur tout de même à boire
Donnez leur tout de même à boire
Non et Non de Léon Blum
Non et Non de Léon Blum
En finir avec le scandale des camps de concentration
En finir avec le scandale des camps de concentration
À la gloire de l'espagne de Franco
À la gloire de l’espagne de Franco
Indésirables dans la presse régionale
Indésirables dans la presse régionale

Les Espagnols de Leclerc dans la résistance

Eduardo Pons Prades,

Spécialiste reconnu sur le sujet de la résistance des républicains espagnols en France, car il a lutté dans ses rangs et il a publié plusieurs œuvres sur ses péripéties, évoque dans cette série, exclusive pour HISTORIA 16, l’exode espagnol vers la frontière française à la fin de la guerre civile, le traitement reçu par les réfugiés espagnols, le commencement de la Seconde Guerre mondiale, le rôle des Espagnols durant l’invasion allemande de la France , le début des guérillas…
Dans ce cinquième chapitre –avec, comme toujours, la technique du témoignage direct des protagonistes– il nous présente l’organisation des guérillas, l’encadrement espagnol dans les unités régulières de l’armée française renaissante, la participation espagnole à la libération de la France et le début des opérations des “maquisards” en Espagne.

Chaque homme est une péripétie.

Témoignage d’Emilio Álvarez Canosa « Pinocchio »:
« Je me suis retrouvé dans les mines d’or de Salsigne [[c’est une ancienne mine d’or, fermée en 2004, qui se situe sur les communes de Salsigne et de Villanière à 15 km au nord de Carcassonne dans l’Aude]] et je venais du camp de Bram [[un des innombrables camps de concentration où furent parqués les réfugiés espagnols qui fuyaient les armées franquistes, les brigadistes puis les familles juives, ouvert en février 1939]]. Étant en “mission” à Marseille j’ai été arrêté à la gare Saint-Charles, et après les interrogatoires de rigueur, à Marseille et à Montpellier, on m’a transféré au camp disciplinaire de Vernet-les-Bains [[il doit vouloir parler du camp disciplinaire du Vernet d’Ariège]]. Je m’en suis évadé avec deux autres compagnons socialistes et nous sommes allés travailler dans le bassin minier de Provence. Uniquement pour avoir des papiers, naturellement. Pour échapper à une dénonciation, j’ai filé à Bordeaux, en passant la ligne de Démarcation ; que j’ai repassée quelques semaines plus tard, début 1943, pour rejoindre les guérillas de la Dordogne, où j’ai formé mon propre détachement, qui s’était spécialisé dans les sabotages des trains et des voies ferrées. Au commencement de l’année 1944, on m’a nommé chef de la Dordogne-Nord, poste que j’ai assumé jusqu’à peu avant la libération de cette zone (août-septembre 1944). C’est-à-dire jusqu’à ce que nous ayons réorganisé notre unité en vue de son transfert dans les Pyrénées, pour participer à l’Opération Reconquête de l’Espagne. »

Dans le désert et en Normandie

Même si on nous a oubliés intentionnellement, la guerre en France est remplie d’aventures espagnoles. Federico Moreno Buenaventura était dans les unités de Leclerc en Afrique et, ensuite, en Normandie : « Après cette fabuleuse aventure du désert, la colonne Leclerc a été envoyée au repos au Maroc. C’est là, avec la formation de la 2 DB de la France libre, que la représentation espagnole prit une envergure impressionnante. Nos compatriotes venaient de toutes parts: des camps de concentration du Sahara —où le maréchal Pétain les avait enfermés—, de la Légion étrangère ou des Corps Francs, d’où ils désertaient en masse. On les appelait des « transferts spontanés», et de nombreux autres qui s’étaient à moitié cachés à Alger, Oran, Tunis et Casablanca. Une telle affluence se justifiait ainsi: des rumeurs avaient circulé que le débarquement en Europe allait se faire à partir des côtes espagnoles. Si on n’avait pas fermé les bureaux de recrutement, on aurait pu former, rien qu’avec des Espagnols, les deux divisions blindées de la France libre. Bien que nous ayons reçu rapidement du matériel nord américain et anglais, nous avons attendu plus longtemps qu’on le pensait pour abandonner les campements africains, et nous avons embarqué vers l’Angleterre à partir d’avril 1944. Deux mois plus tard, le 6 juin, les Alliés débarquaient en Normandie. Et nous, incompréhensiblement, nous continuions dans des campements au centre de l’Angleterre. C’était dû à plusieurs “croc-en-jambe “que le général Leclerc avait fait à ses alliés lors de la campagne de Tunisie et qu’il allait refaire en France et en Allemagne, car lui tout comme De Gaulle considéraient qu’il devait être très clair –et c’est pour cette raison que les unités de la France libre devaient être à l’avant-garde– que les territoires sous mandat français ou anciennes colonies, allaient être libérés par des unités françaises, qui devaient aussi être les premières à entrer dans les villes importantes
Enfin, dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944, les hommes de Leclerc ont mis le pied, à leur tour, sur les plages normandes. C’est alors que la fierté nationale française resurgit à nouveau, avec une autre obsession: celle d’arriver les premiers à Paris. Mais, pour cela, nous allions devoir combattre au pas de charge, presque « à la chaîne », en laissant de côté bien souvent les normes les plus élémentaires de la guerre classique: comme celle de ne pas trop négliger les flancs de ses propres forces. Mais ce qui est certain c’est que avec la façon dont Leclerc –qui était indiscutablement un génie– imagina d’avancer, personne n’était capable d’indiquer où étaient nos flancs. Vu avec du recul, c’était une absurdité militaire et je peux t’assurer que personne ne s’est autant réjoui de la marche sur Paris (par la route Normandie –Paris) que les Espagnols. Et en particulier ceux de la Neuvième compagnie [la Nueve], qui, sauf son chef: le capitaine Dronne, était composée exclusivement d’Espagnols. Il fallait voir les groupes de véhicules blindés, presque tous baptisés de noms espagnols –Don Quichotte, Madrid, Teruel, Ebro, Jarama, Guernica, Guadalajara, Brunete, Belchite et celui des trois mousquetaires Portos, Aramis et d’Artagnan– [[Véhicules, il n’y avait ni Jarama, ni Belchite, ni Portos, Aramis et d’Artagnan mais: Les Cosaques , Mort aux cons (jeep du capitaine Dronne) Rescousse, Résistance, Libération, Nous Voilà, Tunisie, Espana Cani, Amiral Buiza, Santander, Les pingouins, les chars entrés dans Paris étaient Le Romilly, le Champaubert, le Montmirail,…]] fonçant sur les routes, escaladant des talus, passant sur des canaux et franchissant des gués. Ce que j’ai dit, de la pure bêtise ! Et, alors que les Nord-américains et les Anglais étaient en train de discuter avec De Gaulle, Leclerc a ordonné à Dronne: « Vous savez ce que vous avez à faire: tout droit à Paris, sans vous soucier de rien d’autre!». Et Dronne nous a convoqués nous les chefs de section –Montoya, Granell, Campos et Moreno– et il nous a dit ce qu’il fallait faire, coûte que coûte.
Parcourir les deux cents kilomètres qui nous séparaient de Paris n’a été une tâche facile pour personne. En opérant en franc-tireurs, nous renoncions à la couverture aérienne made in USA, et au soutien de nos chars lourds. Personnellement, j’ai dû affronter, avec mes trois blindés, des canons allemands de 88, qui nous barraient la route. Nous avons eu de la chance, c’est vrai. C’est ainsi que le 24 août 1944 –un jeudi– vers neuf heures du soir, nous sommes entrés sur la place de l’Hôtel de Ville de Paris. Le « Don Quichotte», qui était le blindé de commandement de ma section, a été le premier à se garer là [[en fait le premier Half-track à entrer dans Paris et à parvenir à l’Hôtel de ville est le Guadalajara]]. Et durant l’heure qui suivit, les engins blindés restants conduits par des Espagnols sont arrivés, avec des noms castillans sur les flancs et le front de leurs véhicules. C’est pour cette raison que ce qui survenu, vingt cinq ans plus tard, nous a fait si mal. En août 1969, dans un reportage commémoratif de la Libération de Paris, retransmis par la télévision française, une émission qui a duré presque deux heures et à laquelle même la veuve du maréchal Leclerc participait …hé bien, pas une seule fois, durant toute l’émission on a entendu nommer le mot espagnol…»

Chaîne d’évasions

Les réfugiés espagnols ont également collaboré à l’évasion d’autres personnes persécutées. L’un d’eux est M. H. P., « el Murciano », qui raconte: « Mon activité clandestine a débuté dans le Midi de la France et s’est spécialisée presque exclusivement à organiser des groupes de gens et à les transférer en Espagne, clandestinement et par voie maritime, pour le compte de la fameuse chaîne d’évasion alliée « Pat O’Leary ». Il est bien connu que ses derniers maillons –tant par les terres, depuis Toulouse, que par mer, depuis Sète– ont été organisés et mis en place par des guides républicains espagnols. Leur plus haut responsable –nous les libertaires nous avons du mal à utiliser le terme de chef– était un instituteur titulaire de la province de Huesca, Asturien de naissance, appelé Paco Ponzán Vidal. Auparavant, et en raison de mon emploi comme mécanicien à bord d’un bateau grec qui battait pavillon panaméen, j’avais participé à l’organisation de la fuite d’un groupe important de diamantaires d’Amsterdam, tous Juifs, à l’automne 1940. Nous les avons conduit jusqu’à Lisbonne, après une escale ratée à Casablanca. Je me demande encore comment nous nous sommes débrouillés pour partir de Hollande, traverser la Belgique et ensuite la zone nord de la France, occupée militairement par les Allemands, franchir la Ligne de Démarcation, traverser toute la zone dite libre et nous présenter au port de Sète comme si de rien n’était. Avec les Juifs et leurs voitures, leurs épouses respectives et des bagages énormes. Ah, et des cartables qu’ils ne lâchaient pas même pas pour dormir! C’est-à-dire que pour ce qui de la persécution des Juifs, on voit que les Allemands n’étaient pas très dégourdis, selon les occasions…
À Sète les embarquements ont dû être interrompus, au printemps 1943, à cause de l’arrestation d’un jeune couple belge, qui parla trop… Je suis alors allé à Marseille et à Nice, où j’ai organisé quelques expéditions. Ensuite, sous la pression de nos protecteurs français, qui me considéraient comme « brûlé », on m’a expédié à Vienne, capitale de l’Autriche, où je suis resté un an. Nous dirons un jour qu’elle y a été notre activité. En mai 1944, j’étais à nouveau en France: à Paris. Nous, les Espagnols, nous avons participé activement –aussi bien ceux de la Division Leclerc que les civils– à la libération de la capitale de la France. Et dans les semaines qui ont suivi, après plusieurs échanges d’impressions entre libertaires de la Division Leclerc (Campos et Bullosa) et ceux du Comité régional de Paris, nous nous sommes engagés clandestinement dans la 2 DB, dans le seul but de récupérer de l’armement léger abandonné par les Allemands sur les champs de bataille et de l’envoyer à Paris, afin d’armer nos compagnons pour aller lutter en Espagne. Mais ce qu’a été cette aventure dans la Division Leclerc, l’ami Blesa va te le raconter.»

« Je n’ai jamais su comment diable le Canarien Campos a dégotté ce véhicule blindé qu’il nous a livré, dit Joaquín Blesa. Nous l’avons baptisé « le kangourou». Nous l’utilisions –avec l’uniforme réglementaire et armés– Manolo Ros, Mariño, Rosalench, García et votre serviteur. Notre tâche consistait à coller aux blindés de la section que commandait Campos et dont l’adjudant –Bullosa– était catalan. Quand la section se déployait, nous commencions alors le ramassage de matériel. Nous avions des grands sacs en toile de bâche et nous y mettions les pistolets, les mitraillettes, les grenades, les fusils mitrailleurs et même des mitrailleuses… Nous les attachions bien fort et les mettions au fond de la caisse du blindé. Et, pour éviter des surprises, nous dormions toujours dans le véhicule blindé, sur les sacs. Et le chef de la compagnie des Munitions –Antonio B. Clarasó, natif de Reus– nous avertissait du passage des camions, qui allaient vers l’arrière-garde chercher du matériel.
Comme beaucoup de conducteurs de véhicules étaient aussi espagnols, l’expédition des sacs vers Paris s’est toujours effectuée dans de bonnes conditions. Parfois, nous cachions les grands sacs dans des maisons à moitié démolies, au bord de la route et nos compagnons –il y en avait toujours deux dans le camion de la récupération– les prenaient au passage. Ce « va et vient » a duré environ huit semaines. Jusqu’à ce que Bullosa meurt dans un combat, auquel nous avons évidemment dû participer avec « Le kangourou ». Campos a considéré qu’il était très dangereux de continuer dans ces conditions, c’est la raison pour laquelle il nous donna des permissions –indéfinies– pour aller à Paris. Et il tira deux salves sur « Le kangourou» avec le canon de son blindé –« El Ebro »–, en lui donnant aussi une permission pour maladie.»

Dans le refuge d’Hitler, récit de Martín Bernal « Garcés »

Il y eu même des Espagnols parmi les premiers à atteindre la maison d’été d’Hitler. Martín Bernal « Garcés » raconte: « Je suis passé en France en août 39, après m’être échappé de la prison de Porta-Celi (Valence) [[a priori, il y a une prison Porta Coeli, mais dans le cas présent ce doit plutôt être l’hôpital Portaceli transformé en camp de concentration en 1939]] en compagnie de plusieurs “pays” aragonais. Au bout de huit semaines de marche de nuit et de sommeil de jour nous sommes arrivés en France. Là, j’ai été obligé de m’enrôler dans la Légion étrangère, quand les gendarmes français me conduisaient déjà à la frontière –au Sénégal– et ensuite j’ai participé à la campagne de Tunisie, où j’ai été blessé le 9 mai 1943. J’ai été un de ceux qui ont appliqué le « transfert spontané », en rejoignant les Espagnols de la Division Leclerc. Avec Federico Moreno, nous étions sous-chefs de section d’abord et de section plus tard. J’ai été encore blessé en Alsace. En avril 1945, nous avons traversé le Rhin et l’invasion de l’Allemagne a commencé. Ma section a été une de celles qui ont participé à la dernière plaisanterie de Leclerc, en nous séparant d’abord du gros de la colonne, en prenant ensuite un « itinéraire très libre » fixé par lui, pour arriver presque les premiers à Berchtesgaden, la résidence d’été du Führer Adolphe Hitler. Et je dis presque parce que, avec la section de Moreno, nous sommes tombés sur des canons allemands de 88 dans le défilé d’Inzell, très près de notre objectif final. Et tant que nous ne les avons pas détruits, nous n’avons pas pu reprendre notre marche. Ainsi, en entrant dans cette ville tyrolienne, on voyait déjà dans les rues des blindés de la 2 D B, qui étaient passés par en haut ou … au milieu, c’était un peu pareil à la marche sur Paris. On ne pouvait pas ignorer que Leclerc était de l’arme de la Cavalerie!
Non, je n’ai pas été parmi les premiers à monter au Nid d’aigle d’Hitler. La section qui a accompagné le capitaine Touyéres, debout dans sa jeep, comme un chevalier du Moyen âge dressé sur sa monture, a été la 1ère, celle que Moreno commandait. Nous, –la 2ème– nous sommes montés derrière eux, en service de protection. Mais j’ai été, pour sûr, un des premiers Espagnol à entrer dans le Berghof d’Hitler. Et j’ai ressenti, je l’avoue, un grand soulagement. C’était comme si, subitement, nous nous étions lavés de tous les affronts que nous, les républicains espagnols, avions subis depuis 1936 ».

« Face à l’Espagne »

Avec la libération de la France (août-septembre 1944) la réorganisation des forces espagnoles de guérilla –environ onze mille hommes armés– s’opère avec leur concentration dans les départements proches de la frontière franco-espagnole. La réapparition publique des principales organisations politiques espagnoles de l’exil –républicaines, socialistes et libertaires– et la diffusion de leurs consignes, instructions, et dans certains cas d’ultimatums, provoque le fractionnement de l’initiative communiste « Face à l’Espagne ». Et lorsque ce qu’on appelle l’invasion du Val d’Aran se produit à l’automne 1944, les détachements de guérilleros qui y participent, en comptant un gros millier de jeunes récemment enrôlés, n’atteint pas les cinq mille hommes.
Avec les communistes, qui forment le gros des expéditions de guérilla à travers les Pyrénées, on a, cependant, la collaboration de socialistes partisans de Negrín et d’Álvarez del Vayo, ainsi que celle d’un groupe de libertaires, connus sous le nom de « Groupement cénétiste de l’Union nationale ». Quelques mois plus tard, avec la fin de la Seconde Guerre mondiale (mai 1945), les exilés républicains espagnols sont confrontés à une série d’options qui allaient du retour en Espagne (« Les exilés pourront réintégrer leurs foyers, sans subir aucune sorte d’ennui », pouvait-on lire, à travers les notes officielles, dans la presse franquiste), à l’émigration vers des pays d’Amérique latine, en passant par l’installation dans des pays européens, et tout particulièrement en France. Encore que, dans ce dernier l’aménagement continue à être provisoire, puisque ce qu’on appelle l’offensive diplomatique contre le régime franquiste a été mis en marche, dans le cadre des Nations Unies. Et, aussi bien le gouvernement en exil que préside le républicain José Giral, que l’immense majorité des partis et des organisations de gauche espagnols, attendent l’écroulement du régime instauré par les vainqueurs de la guerre civile, au printemps 1939. Entre temps, et certains depuis le début du conflit –été 1936–, des milliers d’Espagnols et d’Espagnoles, encadrés dans des groupes de guérilleros, ou faisant partie de leurs forces auxiliaires, se battent sur le sol de l’Espagne –en Galice, aux Asturies, en Estrémadure, dans La Mancha, en Andalousie et en Aragon, en particulier–, sans que l’exil ne leur prête l’aide la plus minime.

Une folie

Malgré tout, les comportements étaient assez forts pour écarter tout renoncement. M. P. S « Chispita » déclare: « Non, l’enthousiasme n’a pas trop décliné parmi les expéditionnaires, lorsque les principales forces de l’exil ont désavoué l’invasion de guérilla dans les Pyrénées. N’oublie pas que nous venions de libérer la France. Bon, je veux dire que nous avions été les principaux libérateurs du Midi de la France. Et nous pensions que rien n’allait nous résister. Mais, dans le fond, il ne manquait pas ceux –et j’en faisais partie– qui craignaient qu’avec l’apparition des communistes comme force centrale de l’invasion, les possibilités de triomphe allait diminuer. C’est la vérité. Mais on a continué “ de l’avant”, car nous ne voyions pas d’autre chemin et dans bien des cas par solidarité envers nos compagnons d’armes des années difficiles (1941-1944). Rien qu’en pénétrant sur le territoire espagnol, nous nous sommes rendu compte que la “ tâche libératrice ” n’allait pas être aussi simple que beaucoup se l’imaginaient. Possiblement, si nous avions eu connaissance de l’existence de tant de groupes de guérilleros locaux, nous ne nous serions pas tant occupés de la zone frontière.
Une fois “installé” dans le Maestrazgo [massif de l’Aragon], comme tant d’autres de mes compagnons, je me suis vu obligé de faire le bilan de l’invasion du Val d’Aran et j’ai reconnu que cela avait été une folie. Le bon sens aurait été d’organiser, par palier, l’infiltration de petits groupes, et la prise de contact avec les guérillas locales, puis de passer aussitôt à la création de guérillas urbaines. Et comme je l’ai su par la suite, les anciens groupes auraient beaucoup apprécié l’arrivée de techniciens instructeurs et aussi la mise en marche d’une certaine coordination et non pas la militarisation absolue qu’on prétendait imposer. En effet, l’ambiance de misère et d’exploitation de cette époque favorisait la création de noyaux de résistance et de combat. Il faut se rappeler les usuriers des villages, les gens faisant du marché noir et tout l’appareil que les “ forces vives”, les “ forces vivifiantes” avaient élaboré pour désespérer le peuple. Ce qu’on ne pouvait pas faire, c’était de demander aux gens de se jeter ni plus ni moins dans la gueule du loup. Et c’est ainsi, comme tu le sais, que plusieurs années se sont écoulées en combattant dans ces montagnes, sans grande confiance dans le futur, parce qu’il a été bientôt évident que les puissances dites démocratiques, de même que pendant la guerre civile, n’étaient pas prêtes à mettre les bouchées doubles pour liquider les derniers vestiges du fascisme européen. »

half-track Guadalajara
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half-track Espana Cani
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« C’est l’histoire oubliée d’une poignée d’Espagnols… »

Article paru dans le Républicain Lorrain le mercredi 20 août 2014

 » C’est l’histoire oubliée d’une poignée d’Espagnols qui, ayant fui Franco, vont s’engager avec les forces françaises et, sous les ordres du général Leclerc, être les premiers à libérer Paris, le jeudi 24 août à 21 h 22… »
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Source : http://www.republicain-lorrain.fr/france-monde/2014/08/20/les-espagnols-de-la-nueve-liberent-paris

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Los españoles que liberaron París, silenciados y olvidados en Francia

«  El próximo 24 de agosto, una extraña caravana recorrerá París. Un grupo de franceses y españoles portarán en las calles de la capital francesa las fotos de algunos de los soldados que ese día, hace 70 años, fueron los primeros en entrar en la ciudad para liberarla de sus ocupantes nazis. Franceses y turistas descubrirán que esas fotos en blanco y negro con los rostros de los liberadores son el testimonio, silenciado durante décadas, de que esos soldados que se jugaron la vida por liberar París eran en su inmensa mayoría españoles.

El 24 de agosto de 1944, un grupo de vehículos blindados semiorugas (half-tracks) y tres tanques Sherman entran en la capital francesa por sorpresa. Los parisinos creen en un principio que son parte de las tropas alemanas instaladas en la ciudad; después se dan cuenta de que no, que visten uniformes del ejército de Estados Unidos y que son la avanzadilla de las tropas que devolverán la libertad a París y, por consiguiente, a toda Francia.

Pero la confusión aumenta cuando cada vehículo en los que se desplazan esos oficiales y soldados tiene inscrito en el morro un nombre en español. Los half-tracks bautizados ‘España cañí‘, ‘Guernica‘, ‘Madrid’, ‘Brunete‘, ‘Guadalajara‘ o ‘Ebro‘, entre otros, son conducidos por militares que portan una bandera roja, amarilla y violeta cosida a sus uniformes. Son los miembros de La Nueve, la compañía de choque de la II División Blindada (DB) del general Leclerc. Se la conocía así, La Nueve, en español, porque 146 de sus 160 componentes eran republicanos españoles, alistados en las tropas de la Francia libre.  »

La Nueve estaba comandada por el capitán francés Raymond Dronne, que tenía como mano derecha al teniente Amado Granell, el valenciano que fue el primer militar francés en entrar ese día en el Ayuntamiento de París[[ El primer oficial de la Nueve que subió las escaleras del Ayuntamiento fue, de hecho, Raymond Dronne, que luego dejó el mando a su segundo Granell, para ir a la prefectura.]], ya en manos de la resistencia parisina en la que, por cierto, habían participado otros miles de españoles exiliados. En la noche del 24 de agosto del 44, canciones como « Ay, Carmela » y otras pertenecientes al cancionero republicano español sonaron hasta la madrugada en los lugares ‘asegurados’. Pero la liberación de París no había terminado.

Los españoles de La Nueve hicieron frente dentro de la capital a los contraataques y emboscadas de los alemanes que todavía ocupaban la ciudad. El 25 de agosto, el gobernador alemán, atrincherado en el Hotel Meurice con sus tropas de élite, se rindió por fin. Un extremeño, Antonio Gutiérrez, se encargó de mantener encañonado a la máxima autoridad nazi en la capital francesa mientras esperaba que un militar del rango del alemán se hiciera cargo de él. Von Choltitz le regaló a Gutiérrez su reloj, en agradecimiento por haber respetado las convenciones militares internacionales. « 

Lire la suite et les commentaires d’internautes sur le site : elconfidencial.com

Avec les espagnols de la Division Leclerc

Le 25 aout passé, une communication téléphonique nous annonça que les premiers véhicules blindés américains avaient rejoint « l’Hôtel de Ville » et que d’autres se dirigeaient vers le boulevard Sébastopol. Nos informateurs ajoutaient que beaucoup de ces blindés portaient le drapeau républicain espagnol et donc peut être leurs équipages composés de compagnons espagnols.
Anxieux de vérifier la nouvelle et pour ne pas être victimes d’un canular, nous nous dirigeons immédiatement vers les lieux indiqués. Nous n’étions pas encore arrivés à notre objectif que nous rencontrions les premiers véhicules, rue du Temple et rue des Fontaines (du roy), attaquant la place de la République. Il était exactement 11 heures du matin, nous approchons des véhicules les plus avancés, l’équipage des trois premiers étaient composés d’espagnols. Un cri sous forme de question fut nos premières paroles : Une tête connue ? L’ex commissaire médical de la Brigade « Tierra y Libertad » répondit : Présent ! Ponctué par un émouvant et fort « abrazo ». Peu après il conta l’histoire de son « Odyssée ».

Sur les quelques mille espagnols intégrés à la Division Leclerc, tous étaient des réfugiés politiques qui combattirent pour la Liberté et la Justice sociale durant la « guerre sociale » espagnole. Ils se trouvaient dans les camps d’Algérie au moment de la Libération de la colonie française par les armées anglo-américaines [[Des camps de concentration furent ouverts (par le gouvernement Dalladier) en 1939, à la fin de la guerre d’Espagne, lors de l’exode des républicains espagnols vers l’Algérie. ]]. Immédiatement, ils se portèrent volontaires (pour intégrer la 2ème DB) afin de venger le déshonneur de l’intervention brutale criminelle allemande et italienne contre la révolution espagnole.

Ils ont participé à la campagne en Tunisie. Plus tard débarqués en Normandie et toujours actifs en première ligne, c’est comme cela que nous les avons rencontrés au cœur de Paris.
Braves copains des 26ème et 28ème Division [[Deux divisions (ex colonnes Durruti et Ascaso), composées uniquement de libertaires, qui combattirent sur les Fronts d’Aragon et de Madrid.]] et de tant d’autres aussi héroïques, recevez l’hommage reconnaissant de tous les milliers d’espagnols qui ont souffert de la tyrannie nazi et de la politique collaborationniste française.

Un peu plus tard, nous vîmes défilés ces fiers blindés sur lesquels nous pouvions lire, en grand caractère, le glorieux nom de Durruti parmi d’autres aussi magnifiques : Teruel, Saragosse et Belchite [[Contrairement à ce qu’écrit le camarade (certainement emporté par l’émotion), il n’a y jamais eu de blindé portant le nom de B. Durruti ou de Pasonaria. Tous portaient effectivement des noms de batailles.]]. Pas simplement un souvenir, mais un symbole de luttes rappelées par ces noms si glorieux. A la fois un hommage au passé reconnu et aux promesses des belles perspectives libératrices pour le futur de notre Espagne chérie [[lire à ce sujet, l’article d’Albert Camus : A nos frères d’Espagne, paru dans Combat à la Libération de Paris.]].

Affirmation résumée par un des braves garçons de la Division Leclerc, pendant qu’il alimentait le canon de sa mitrailleuse : « Ha s’ils nous permettaient de diriger nos armes jusqu’en Espagne pour la libérer du joug phalangiste ». C’est notre véritable désir.

Toberli


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Con los espanoles de la Division Leclerc.

Solidaridad Obrera. Paris 24 septiembre 1944

Una comunicaciôn telefonica nos anuciaba el dia 25 del pasado, que los primeros carros blindados americanos habian llegado « l’Hôtel de ville », y que otros desfilaban ya por el bulevard de Sébastopol. Anadian nuestros informadores que muchos de los carros ostentaban la bandera republicana espanola, por ser compuestos esquipagjes de companeros espanoles. Ansiosos de verificar la noticia, para no ser victimas de un bulo, nos dirijimos imediatemente hacia los lugares indicatos ; no habiamos llegado todavia a nustro objetivo cuando ya nos encontramos con los primeros carros que desde la rue del temple y rue les fontaines atacaba ya la plaza de la République. Eran exactamente la s 11de la manana. Nos acercamos a los carros mas avanzados. El equipaje de los tres primero sera compuesto des espanoles. Una exclamacion seguida de una pregunta fue nuestra primera intervencion : una carra connocida ! Ex comisario de sanidad de la Brigada Tierra y Libertad. Presente ! Fue la respuesta, rematada con un fuerte y emocionado abrazo ; despues siguio el comentario de su odisea.

Unos cuantos miles de espanoles se hallan encuadrados en la Division Leclerc. Todos ellos son exilados politicos que combatieron por la Libertad y la Justicia social durante la Guerra social espanola. Y que se hablaban en los campos de Argelia en el momento de la liberacion de la colonia francesa por los ejercitos anglo-americanos. Inmediatamente se ofrecieron como voluntarios para vengar todas la afrentas de la intervencion asesina y brutal del ejercito aleman e italiano contra la Revolucion espanola.

Han hecho la campana de Tunez. Mas tarde desembarcaron en Normendia y actuendo siempre en primera linea es como los hemos encondrado en el corazon mismo de Paris.

Bravos muchachos de la 26 y 28 divisiones y de tantas otras de recuerdos tambien heroicos, recibid el homage reconocido de todos los millares de espanoles exilados que han sufrido el aprobio de la tirana nazi y de la politica colaboracionista francesa.

Hemos visto mas tarde el defile arrogante de los carros, sobre los que hemos podido distinguir en grandes caractes el nombre glorioso de Durruti y entre otros el del manifico Teruel, Zaragoza y Belchite. Ello sinifica, no solamente un recuerdo, sino tanto tambien un simbolo de lucha, condensado en la significacion de nombres tan gloriosos : Ruerdo de recosinido homenage al pasado y promesa de bellas perspectivas liberatrices para el futuro de nuestra querida Espana. Afirmacion que va condesada en la exclamacion de un bravo muchacho de la Division Leclrec, mientras acariciaba orgulloso el canon de su ametralladora : Ha ! Si se nos permitiese dirijir nuestras armas hacia Espana para libertala del yugo falangista… Ese es nuestro verdadero deseo

Toberli

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«Señora Madame, yo soy un Français»

Notre article du 27 août denier, intitulé « Muchas Gracias »[[Voir article sur ce site : 61]]. rendant hommage au rôle essentiel des guérilleros espagnols dans la libération de Paris, où ils entrèrent les premiers, en avant-garde de la deuxième D.B. du général Leclerc, nous a valu un grand nombre de messages téléphonés et un important courrier, tant en espagnol qu’en français. Leur lecture bouleversante atteste combien ces « olvidados » – oubliés – immigrés et réfugiés qui se sont intégrés dans notre combat et l’ont souvent animé, ont été sensibles au légitime hommage que nous leur avons rendu. Dans l’impossibilité momentanée de répondre nommément à tous mes correspondants, je les prie de bien vouloir trouver ici mes excuses, avec ma satisfaction personnelle d’avoir contribué à rétablir l’authenticité d’un point historique méconnu, parce qu’hélas falsifié. C’est un fait incontestable : l’élément de pointe de la deuxième D.B., qui vint au secours de Paris insurgé, était composé d’anciens guérilleros espagnols, pour la plupart anarchistes. Pourquoi, depuis quarante ans, le cacher ?

Je me bornerai à citer l’un des rares survivants de cette fameuse « Neuvième compagnie », anéantie à 90%, qui pénétra en tête dans Paris et poussa jusqu’à l’Hôtel de Ville. Son nom de guerre était Juan Rico[[ De son vrai nom : Victor Baro.

Voir son portrait dans la rubrique « Les hommes de la Nueve » : 22]]. Il vit actuellement dans l’Aude.

Anarchiste espagnol ! Je suis l’un des seize survivants de ceux qui sont entrés les premiers dans Paris. J’étais le plus jeune et j’avais une guitare. La capitaine Dronne m’a dit: « Rico, ce n’est pas un régiment de mandolines ». J’ai caché ma guitare sur le tank. Il n’était pas commode, nous non plus. C’est le seul qui a voulu de nous et nous de lui. Il parlait l’espagnol, nous on se débrouillait en français, mais le cœur y était. Si bien qu’à la porte d’Italie, quand nous sommes arrivés et qu’une femme a crié : « Vive les Américains ! », un de mes camarades a répondu : « Non Señora Madame, yo soy un Français ».

C’est vrai et je vous remercie de le dire dans votre article, nos « half tracks » portaient des noms espagnols, sauf celui où j’étais, appelé « les cosaques », probablement parce que nous chevauchions vite à l’avant-garde, sans trop faire de cadeaux à l’ennemi. Ce que vous avez écrit m’a profondément ému, parce que vous savez bien ce qui s’est passé en vérité mais que personne ne dit… Dont acte…

René MAURIES

Muchas gracias

Nous savons tout, ou presque, sur la Libération de Paris, et c’est une bonne chose d’apprendre aux générations nouvelles, qu’avant de devenir des pépés rabâcheurs, les anciens combattants furent aussi des jeunes de leur âge, capables, le cas échéant, de mourir pour la liberté, à 20 ans, sinon avant. Mais il est une justice à rendre, puisque personne n’en a parlé, et que nous ne saurions négliger, nous, dont la métropole, Toulouse, fut, voilà une quinzaine de siècles, du temps des Wisigoths, la première capitale de l’Espagne.

Il convient donc de savoir que la fameuse division blindée du général Leclerc, la « Deuxième» qui devait devenir la première, celle qui, voilà quarante ans, fit son entrée dans Paris en colère, comprenait plus de trois mille Espagnols, soit le cinquième de ses effectifs. Ces anciens guérilleros d’une guerre civile, prélude à la mondiale, si mal accueillis chez nous dans les camps de concentration infâmes, s’étaient, après notre défaite, engagés ans la Légion étrangère ou enfuis en Angleterre. Certains d’ailleurs avaient déjà combattu en Tripolitaine contre le célèbre « Afrika Corps » du général Rommel. Et ces antimilitaristes, car pour la plupart anarchistes, étaient de l’avis unanime de leurs chefs, de magnifiques soldats. Répartis sur l’ensemble de la « IIe D.B. », ils constituaient la majorité du Régiment d’infanterie du Tchad, ainsi que de la neuvième compagnie de chars du troisième bataillon.

Ce denier était commandé par le colonel Putz, un vétéran des « Brigades internationales», qui, devant Teruel imprenable, avait évoqué, six ans auparavant : Ce coup-ci, c’est Verdun… Et il y revint pour se faire tuer, près de trente ans après. Le capitaine Raymond Dronne, un hispanisant, avait accepté la neuvième compagnie, dont aucun officier ne voulait, pour son caractère particulier. On y comptait, en effet, début août 1944, cent quarante-quatre Espagnols très exactement. Il en restera seize, guère plus de dix pour cent, dix mois plus tard, à la fin de la guerre. Or ce sont ces guérilleros qui sont entrés les premier dans Paris.

Les images de la Libération de la capitale, ou sa reconstitution, ne montrent guère qu’un char, baptisé « Romilly», celui qui fut, ces jours-ci, de toutes les cérémonies. Robert Aron, qui écrivit l’histoire de ces évènements, ne cite que lui, tandis que son collègue Adrien Dansette en ajoute deux autres, « Montmirail » et « Champaubert ». Ces historiens ne veulent voir que des chars français, conduits, à la rigueur, par des éléments marocains. Or, s’il s’agissait de blindés bien à nous, ils portaient des noms de combat espagnols, choisis par leurs équipages d’outre Pyrénées. Le capitaine Raymond Dronne, envoyé en avant-garde par le général Leclerc, témoigne d’ailleurs sans la moindre équivoque: Des half-tracks, portant des noms espagnols et conduits par des Espagnols de la neuvième compagnie, furent les premiers à entrer dans Paris.
Cette unité, composée de cent vingt hommes, avec vingt-deux blindés, était commandée par le lieutenant Elias, assisté du lieutenant Amado Granell et du sergent Campos, qui rêvait de partir ensuite animer la guérilla contre Franco. Elle déboucha place d’Italie, à 20h20. Le capitaine Dronne y prit part en personne, à la tête de la colonne, laquelle se présenta devant l’Hôtel-de-Ville, à 21h33, très exactement. Les premiers chars sur la place, atteste le lieutenant Granell, s’appelaient « Guadalajara », « Teruel », «Madrid » et « Ebro ».

Raymond Dronne pénétra seul à l’intérieur de l’Hôtel-de-Ville, où il fut reçu par une délégation du Comité national de la Résistance, à savoir : Georges Bidault, son président, assisté de Daniel Mayer, Joseph Laniel, Georges Marrane et Léo Hamon. Pendant ce temps, un tireur isolé semait la panique sur la place, où les blindés prenaient aussitôt position, en prévision d’une attaque. Sorti saluer leurs équipages, Léo Hamon confire à son tour : Ils ne parlaient pas très bien le français. C’était des républicains espagnols, engagés dans la division Leclerc.

Le sergent-chef Jesus Abenza, qui se trouvait aux premières loges, jure même que Leclerc en personne avait promis aux Espagnols qu’ils seraient placés en tête de colonne et conduiraient l’armée de Libération.
Il rapporte également que, sur le trajet de la Porte d’Italie à l’Hôtel-de-Ville, plusieurs chars arboraient le fanion de la République espagnole, et qu’on les acclamait comme tels. Ce même sergent-chef installa, sur la place, le premier canon, baptisé « El Abuelo », le grand-père. Ces témoignages vécus se retrouvent, si je ne m’abuse, dans le bouleversant ouvrage de Federica Montseny, la leader anarchiste, ancien ministre de la République : « Passion et mort des Espagnols en France ». Et nous citerons encore le tankiste V. Etchegaray, qui précise en substance : Les forces françaises de l’intérieur nous saluèrent à notre arrivée en anglais. Et nous étions déjà place de l’Hôtel-de-Ville, quand nous vîmes apparaître deux chars français. Les F.F.I. de la capitale étaient sous les ordres d’Henri Rol-Tanguy, le dernier chef du bataillon « Commune de Paris », vétéran des « Brigades internationales ».

Après avoir procédé au « nettoyage » de Paris, la neuvième compagnie du capitaine Dronne alignait, le 26 aout, ses chars devant l’Arc-de-Triomphe. Elle formait la garde d’honneur du Soldat Inconnu pour l’arrivée du général de Gaulle. Une immense banderole aux couleurs de la République espagnole barrait les Champs-Elysées. Entre-temps, plus de quatre mille réfugiés espagnols participaient au soulèvement de la capitale et l’un de leurs chefs, José Baron, s’était fait tuer place de la Concorde.
Cette émulation dans la course à la liberté, dont la Libération da Paris fut le symbole, ne change certes pas le sens de l’Histoire. Aussi, puisqu’il faut rendre à César ce qui lui revient. nous devons-nous de dire « muchas gracias » – merci beaucoup – à ces cousins de sang qui, vaincus à Madrid, où nous étions absents, firent un si long et douloureux parcours pour rentrer en vainqueurs dans Paris.
Mais la course à la liberté n’est-elle pas le rêve éternel de Don Quichotte?

René MAURIES

Muchas gracias. La dépêche du midi 27/08/1984
Muchas gracias. La dépêche du midi 27/08/1984

Manuel Lozano. L’un des premiers à entrer dans la capitale occupée

Manuel, républicain espagnol et anarcho-syndicaliste, raconte comment, en compagnie de nombre de ses compatriotes, il fut l’un des premiers soldats de la deuxième division blindée à entrer dans la capitale occupée, le soir du 24 aout 1944.

C’est au cinquième étage d`un vieil immeuble du dix-neuvième arrondissement qu’habite Manuel Lozano, un de ces immeubles trapus et centenaires comme on en trouve encore dans certains quartiers de Paris.
La ressemblance entre le maitre des lieux et le héros de Cervantes, l’immortel Chevalier à la triste figure est frappante : même sècheresse de corps, même souveraine hauteur un peu courbée ; même idéalisme aussi, intransigeant et utopique.
Sur les murs, constellés d’innombrables petits dessins abstraits, s’égrènent les souvenirs, témoignages d’un passé peu commun : photos bien sûr, mais aussi décorations militaires et citations diverses. L’une d’elles attire plus particulièrement l’attention, qui attribue au soldat Manuel Lozano la croix de guerre. Elle est signée du général Leclerc.

Manuel se souvient. II y a quarante et un ans, le 24 aout 1944, un détachement de la deuxième division blindée, commandé par le capitaine Dronne, roulait silencieusement vers Paris. Manuel était en tête du convoi, juste devant la jeep du capitaine. Vers 20h45, la Porte d’Italie est franchie. Le véhicule à bord duquel prennent place Manuel et quatre de ses compatriotes est le premier des forces alliées à pénétrer dans la capitale occupée.

La terreur franquiste

Juillet 1936: les armées espagnoles d’Afrique, bientôt placées sous le commandement du général Franco, se soulèvent contre le gouvernement légal de la République. En ce mois de juillet torride, Manuel travaille dans les vastes vignobles autour de Jerez de la Frontera, sa ville natale, située à l’extrême sud-ouest de l’Andalousie. À 19 ans, il est déjà membre, depuis 1932, d`un syndicat d’ouvriers viticoles et milite dans les rangs des jeunesses libertaires. Aussi, lorsque Jerez, dès le début des hostilités, tombe sous la coupe des rebelles, c’est tout naturellement qu’il s’enfuit pour rejoindre les bataillons de l’armée républicaine.

Les vicissitudes de la guerre vont alors le conduire sur de multiples fronts, de Malaga à Murcia, en passant par Grenade, Marbella, Almeria et Alicante. En mars 1939, c’est la débâcle des républicains. Le 28 mars Manuel embarque donc à bord de la « Joven Maria », et le 1er avril, la silhouette tranquille du port d’Oran, territoire français à l’époque, se profile enfin à l’horizon.

Il raconte : « Le port était encombré d’un tas de bateaux, chargés de réfugiés, comme nous. Les autorités leur interdisaient de débarquer et ne les ravitaillaient même pas. Les maladies étaient nombreuses. » Manuel et ses compagnons parviennent cependant à quitter leur bateau. Mais le lendemain même, alors qu’il se promène dans les rues animées d’Oran, Manuel est arrêté par la police et immédiatement placé dans un camp réservé aux réfugiés espagnols clandestins. « Les conditions de vie étaient épouvantables », précise-t-il d’une voix pleine d’émotion. On n’imagine pas que Manuel a vécu là une expérience unique. À partir de 1939, ce sont des centaines de milliers de réfugiés espagnols fuyant la terreur franquiste que les autorités françaises parquent systématiquement dans ce qu’il n’est pas possible d’appeler autrement que des camps de concentration.
La libération survient en novembre 1942. avec le débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord. Les Corps Francs d’Afrique sont alors créés, dont tous les membres sont des volontaires antifascistes venus de divers horizons : Italiens, Allemands, Espagnols… Manuel est parmi eux.

Toutes les familles politiques

Commence alors la longue et difficile campagne d’Afrique à laquelle les Corps Francs participent, intégrés à la 2ème D.B. Dans la division de Leclerc. Manuel fait partie de la neuvième compagnie du troisième régiment de marche du Tchad, surnommée la Nueve parce qu’elle est presque exclusivement constituée d’Espagnols. « Une compagnie qui faisait peur à tout le monde », tient-il à préciser. On retrouve là toutes les familles politiques de ce vaste front républicain qui, trois ans durant, a désespérément combattu la rébellion franquiste : républicains modérés, socialistes, communistes, et bien sûr, anarchistes, les plus nombreux.
Au mois de mai 1944, c’est l’embarquement pour l’Angleterre, en vue de vaste offensive alliée qui, à cette date n’est pas encore prévue pour le 6 juin. Manuel pose le pied pour la première fois sur le territoire français le 4 aout l944. En compagnie de toutes les troupes de la 2ème D.B.
L’accueil de la population est ambigu. C’est du moins, l’impression ressentie par Manuel : « Les bravos, l’accueil chaleureux et enthousiaste, la liesse, c’était dans les grandes villes. Pas à la campagne.»

Du 4 au 19 aout, la division livre sa bataille de Normandie : Alençon est libéré, puis, après sept jours de violents affrontements, Ecouché. Le 19 août, éclate l’insurrection parisienne. Le 22, le général Leclerc reçoit du général Bradley, son supérieur hiérarchique, l’autorisation de marcher sur Paris. Mais les Allemands résistent. Les accrochages sont fréquents, à Longjumeau, Antony, Fresnes. Ils retardent l’avance du convoi. Le 24, les combats se poursuivent.
Le capitaine Dronne parvient cependant à dégager sa compagnie et constatant que devant lui la route est libre, il décide de foncer vers la capitale dont il franchit les limites vers 20 h 45.
Les Espagnols représentaient presque les trois quart des effectifs de ce détachement qui fut le premier à entrer dans Paris. Les autres troupes de la 2ème D.B. ne pénétreront dans la capitale que le lendemain 25 août.
Pour Manuel, le hasard a bien fait les choses en plaçant des Espagnols à l’avant-garde des combats : « Parmi les soldats, et en dehors des officiers français qui avaient fait la campagne d’Afrique, seuls les Espagnols connaissaient bien la guerre. »

Est-ce fortuit ou volontaire, l’histoire ne garde rien, ou presque, du rôle prédominant que jouèrent les Espagnols durant ces heures décisives. Parmi les ouvrages les plus connus, citons celui de Dominique Lapierre et Larry Collins[[Paris brûle-t-il ?, de Dominique Lapierre et Larry Collins, Robert Laffont. 1964]], et celui d’Henri Michel [[ La Libération de Paris, de Henri Michel, éditions Complexe, 1980]]. Ni l’un ni l’autre ne font la moindre allusion à une quelconque présence espagnole dans le détachement de Dronne. Admettons cependant que les auteurs de ces deux ouvrages aient pu être induits en erreur par des sources communes, fausses ou incomplètes.
Le premier grand ouvrage écrit sur la libération de Paris est celui d’Adrien Dansette [[Histoire de la libération de Paris, de Adrien Dansette, fayard, 1946]], publié en 1946. Dansette ne signale aucune présence espagnole aux côtés du capitaine Dronne. Mieux encore, devant les nombreux rapports faisant état de la présence active d’Espagnols à l’avant-garde des combats, il prétendra qu’il s’agissait de Marocains !

Après la France, l’Espagne

Ainsi s’est progressivement constitué l’image des « Français libérés eux-mêmes ». Image inaugurée par de Gaulle dans son célèbre discours du 25 août à l`Hôtel de ville, relayé par des générations d’écrivains et d’historiens, puis finalement assimilé par la communauté nationale.
C’est ce consensus national implicite autour d’une rassurante simplification historique qu’est venu ébranler, il y a quelques semaines, le film de Mosco. Des « terroristes » à la retraite, dont l’intérêt réside en bonne partie dans le rappel des combats historiques que les travailleurs immigrés menèrent en France contre l’occupant nazi.

Mais l’odyssée de la 2ème D.B. ne s’arrête pas à Paris. Après les violents combats du 25 août, puis le célèbre défilé du 26 aux Champs-Elysées, auquel Manuel a participé aux tous premiers rangs (voir notre photo), ce sera la libération de Strasbourg le 23 septembre, le passage au camp de Dachau récemment libéré par les Américains, puis l’ultime étape, Berchtesgaden, le nid de l’aigle.

Pour les Espagnols cependant, La mission de la 2ème D.B. n`est pas finie. Manuel raconte: « Nous nous étions engagés dans la division Leclerc car nous pensions qu’après la France, nous irions libérer l’Espagne. Dans ma compagnie, la Nueve, tout le monde était prêt à déserter avec tout le matériel. Campos, le chef de la 3ème section, prit contact avec les guérilleros espagnols de l’Union Nationale, qui combattaient dans les Pyrénées. Mais l’Union Nationale était noyautée par les communistes, et nous avons du renoncer »
Mais si cela n’avait pas été le cas, si les communistes n’avaient pas été prédominants dans l’Union Nationale?
« Alors nous aurions embarqué la compagnie, et non seulement la compagnie, mais tous les autres bataillons où il y avait des Espagnols. Nous avions tout étudié. Avec les camions chargés de matériel, d’essence, nous serions allés jusqu’à Barcelone. Alors, qui sait si l’histoire de l’Espagne n’aurait pas été changée… »

Laurent GIMENEZ


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Portrait de Manuel Lozano

 

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Témoignage Chrétien No 2146 du 26 août au 11 septembre 1985
Témoignage Chrétien No 2146 du 26 août au 11 septembre 1985

« Nos frères d’Espagne » par Albert CAMUS

Cette guerre européenne qui commença en Espagne, il y a huit ans, ne pourra se terminer sans l’Espagne. Déjà la péninsule bouge. On annonce un remaniement ministériel à Lisbonne. Et de nouveau la voix des républicains espagnols se fait entendre sur les ondes. C’est, le moment peut-être de revenir à ce peuple sans égal, si grand par le c?ur et la fierté et qui n’a jamais démérité à la face du monde depuis l’heure désespérée de sa défaite.

Car c’est le peuple espagnol qui a été choisi au début de cette guerre pour donner à l’Europe l’exemple des vertus qui devaient finir par le sauver. Mais à vrai dire c’est nous et nos alliés qui l’avions choisi pour cela.

C’est pourquoi beaucoup d’entre nous depuis 1938 n’ont plus jamais pensé à ce pays fraternel sans une secrète honte. Et nous avions honte deux fois. Car nous l’avons d’abord laissé mourir seul. Et lors qu’ensuite, nos frères vaincus par les mêmes armes qui devaient nous écraser, sont venus vers nous, nous leur avons donné des gendarmes pour les garder à distance. Ceux que nous appelions alors nos gouvernants avaient inventé des noms pour cette démission, ils la nommaient, selon les jours, non intervention, ou réalisme politique. Que pouvait peser devant des termes si impérieux le pauvre mot d’honneur ?

Mais ce peuple qui trouve si naturellement le langage de la grandeur s’éveille à peine de six années de silence, dans la misère et l’oppression qu’il avait compris que désormais c’était lui à lui de nous tendre la main, le voilà tout entier dans sa générosité sans peine aucune pour trouver ce qu’il fallait dire.

Hier à la radio de Londres, ses représentants, ont dit que le peuple français et le peuple espagnol avaient en commun les mêmes souffrances, que des républicains français avaient été victimes des phalangistes espagnols comme les républicains espagnols
L’avaient été des fascistes français et qui unis dans la même douleur ces deux pays devaient l’être demain dans les joies de la liberté.

Qui d’entre nous pourrait rester insensible à cela ?
Et comment ne dirions-nous pas ici aussi haut qu’il est possible, que nous ne devons pas recommencer les mêmes erreurs et qu’il nous faut reconnaître nos frères et les libérer à leur tour ?

L’Espagne a déjà payé le prix de la liberté.
Personne ne peut douter que ce peuple farouche est prêt à recommencer. Mais c’est aux Alliés de lui économiser ce sang dont il est si prodigue et dont l’Europe devrait se montrer si avare en donnant à nos camarades espagnols la République pour laquelle ils se sont tant battus.

Ce peuple a droit à la parole.
Qu’on la lui donne une seule minute et il n’aura qu’une seule voix pour crier son mépris du régime franquiste et sa passion pour la liberté. Si l’honneur, la fidélité, si le malheur et la noblesse d’un grand peuple sont les raisons de notre lutte, reconnaissons qu’elle dépasse nos frontières et qu’elle ne serai jamais victorieuse chez nous tant qu’elle sera écrasée dans la douloureuse Espagne.

COMBAT du 7 septembre 1944
COMBAT du 7 septembre 1944

COMBAT du 7 septembre 1944
COMBAT du 7 septembre 1944

Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris

Des Espagnols, premiers soldats de la « France libre » à entrer dans Paris, le 24 août 1944 et qui, le 26 août, lors du défilé de la victoire sur les Champs-Élysées, escortaient le général de Gaulle, on ne parle guère. Et pourtant, ces jours-là, ils étaient reconnus et acclamés comme des héros ayant pleinement contribué à la libération de la capitale.

Evelyn Mesquida, dans son ouvrage La Nueve. Los españoles qui liberaron París [[Evelyn Mesquida, « La Nueve » (Los españoles qui liberaron París, Ediciones B, Barcelone, septembre 2008.]], publié en espagnol en 2008 et enfin traduit en français (La Nueve, 24 août 1944. Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris [[Éditions le cherche midi, Paris, août 2011]], réhabilite la mémoire de ces hommes dont il fallait occulter l’engagement afin que les Fran-çais puissent apparaître comme les grands libérateurs, juste secondés par les alliés. Les propos du général de Gaulle, le 26 août, sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris sont éloquents : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »

De Gaulle veut rassembler les Français autour de sa personne, éviter une guerre civile, effacer la honte de la collaboration. Pragmatique et cynique, il tait la contribution des étrangers – dont les Espagnols – dans la résistance ou dans les armées. Il évoque peu celle des Anglais et des Américains, dont il craignait qu’ils ne cherchent à réduire l’indépendance de la France à leur avantage.

Les rapports de force politiques ont aussi précipité les Espagnols dans l’oubli. Les pensées dominantes du gaullisme et du communisme français rivalisaient. Gaullistes et communistes se prévalaient d’être les libérateurs, et tous flattaient l’ego collectif en évoquant un peuple français uni dans sa lutte contre l’occupant et qui s’était délivré lui-même.

Pas de doute : si l’implication des Espagnols dans la libération de la France est passée sous silence [[Même si nombre d’entre eux ont été médaillés]], c’est bien d’abord du fait de l’étroitesse d’esprit intrinsèque du patriotisme. Il contraste tant avec la motivation de ces Ibères à se battre, où qu’ils se trouvent, contre le nazisme, au nom de la liberté. Les propos de Luis Royo, l’un des survivants de la Nueve que l’auteur a rencontré, illustrent bien cela : « Je faisais la guerre et je savais que je pouvais être blessé ou que je pouvais mourir. La vérité est que je n’ai jamais pensé que je luttais pour libérer la France, mais que je luttais pour la liberté. Pour nous, cette lutte signifiait la continuation de la guerre civile [[pp. 243-244]]. »

Ces Espagnols avaient combattu le franquisme qui était appuyé par le régime fasciste portugais de Salazar et secondé des forces fascistes italiennes et nazies allemandes. Ils étaient bien conscients que, la guerre civile espagnole avait été un champ d’expérimentation des armes du régime nazie et que la victoire du franquisme était le prélude à l’expansion de ce type d’idéologie totalitaire.

La France les avait « accueillis », à partir de la fin janvier 1939, au moment de la Retirada (la retraite), l’exode massif des réfugiés espagnols, dans des conditions indignes, en particulier pour les combattants entassés dans des camps, officiellement nommés « camps de concentration ». Cette attitude méprisante se prolonge jusqu’à maintenant. La France passe sous silence le rôle non négligeable joué par ces hommes pour mettre fin à l’occupation allemande et jeter à bas le nazisme. Pourtant, leur participation a été conséquente, tant par le nombre d’Espagnols qui ont rejoint les différentes forces combattantes [[Le chiffre de 60 000 maquisards dans le Sud-Ouest est avancé. Au terme de ses recherches, Evelyn Mesquida es-time que les républicains espagnols qui ont combattu le nazisme en France seraient plus de 10 000.]] que par la qualité et la solidité de leur engagement, qui les amenait, bien souvent, à se mettre en première ligne, forts de leur expérience du combat et animés par leur idéal de liberté et leur haine de la dictature.

Cette occultation est aggravée par le sentiment de trahison : la France ne s’engagera pas contre Franco. En outre, la guerre froide entraîne une banalisation des relations avec le régime franquiste ; et, par conséquent, l’oubli s’approfondit.

C’est soixante ans plus tard que la ville de Paris reconnaîtra que les premiers libérateurs à entrer dans Paris, le 24 août 1944, sont les soldats de la 9e compagnie (appelée « la Nueve ») du 3e bataillon de marche du Tchad, commandée par le capitaine Raymond Dronne et appartenant à la deuxième division blindée (2e DB) du général Leclerc.
Son nom l’indique : cette compagnie était à majorité espagnole. Ainsi, enfin, Paris rend hommage à ces républicains espagnols, lancés à corps perdu dans la lutte. Elle se sou-vient que les premiers half-tracks (voitures blindées) à pénétrer dans son enceinte, avant de poursuivre le combat en Alsace et d’aller jusqu’au nid d’aigle d’Hitler, s’appelaient : Madrid, Guernica, Teruel, Guadalajara, Don Quichotte…
Toutefois, une telle reconnaissance tardive et symbolique est bien insuffisante, d’autant que les pages des manuels sont bien discrètes sur le rôle de ces républicains espagnols dans la Seconde Guerre mondiale.

Parmi eux, nombreux étaient anarchistes [[En Afrique du Nord, les cénétistes étaient nombreux dans le corps franc d’Afrique.]] ; rien d’étonnant puisqu’ils étaient très nombreux à combattre le régime de Franco. Comme les autres Espagnols antifranquistes exilés en France ou dans les colonies d’Afrique du Nord, beaucoup se sont d’abord interrogé sur l’éventualité de prendre les armes contre l’occupant allemand et, donc, de défendre ceux qui non seulement ne les avaient pas soutenus dans leur lutte pour sauvegarder la jeune république espagnole, mais, qui plus est, les avaient laissé croupir dans les camps, contraints d’effectuer de pénibles travaux en échange de l’obtention du droit d’asile.

Comme tous les républicains vaincus, ils concevaient ce combat comme la continuité de celui entamé en Espagne et espéraient – comme on leur avait promis – qu’il se poursuivrait, avec l’aide des alliés, contre la dictature de Franco.

Comme en Espagne, durant la guerre civile, ces anarchistes voulaient agir. Ils refusaient d’être des spectateurs, sachant combien le nazisme – partenaire du franquisme – est l’ennemi de la liberté, valeur fondamentale pour tout libertaire.
C’est pourquoi beaucoup d’anarchistes ont rejoint les maquis ou ont endossé l’uniforme. Antimilitaristes, ils considéraient que l’enjeu valait ce compromis avec leurs principes.

Dans l’ouvrage d’Evelyn Mesquida, les anarchistes sont très présents puisqu’ils étaient majoritaires parmi les espagnols formant la Nueve (144 dans cette compagnie de 166 hommes). Sur les 144, seuls 16 d’entre eux ont survécu à la traversée de la France, puis à celle de l’Allemagne.

Ce livre fait suite à des articles et des ouvrages collectifs[[La mémoire entre silence et oubli, presses de l’université de Laval, Québec, 2006. Sorties de la guerre, presses universitaires de Rennes, 2008.]] dans lesquels Evelyn Mesquida, journaliste (elle a été correspondante à Paris pour la revue Tiempo), écrivaine, chercheuse, après avoir fouillé dans d’innombrables archives et documents, recueilli des témoignages, porte à la connaissance des lecteurs le vécu de ces républicains espagnols, saluant ainsi leur combativité ancrée dans la fidélité à leur idéal.

La parution de ce livre en français est importante car, à travers l’exemple de la Nueve, des Français pourront découvrir, ou mieux comprendre, la contribution des Espagnols à la Libération. Des historiens pourraient s’en inspirer…

Cet ouvrage est divisé en trois grandes parties : un récit historique, des entretiens témoignages, une série de portraits des divers acteurs de cette histoire.
Le récit historique, détaillé, après dix ans de recherches, est émaillé des propos des protagonistes. L’auteur relate les périples de ces Espagnols en individualisant leur trajectoire.

Avec neuf témoignages des soldats de la Nueve qui suivent l’historique, des précisions sont encore apportées, et nous approchons mieux les parcours et la manière dont ils ont pu être vécus. Ainsi, l’ouvrage nous éclaire-t-il sur les itinéraires qui ont conduit tant d’Espagnols à faire partie de la 2e division blindée de Leclerc en 1943. Beaucoup venaient des camps de concentration français[[À l’armistice, pour mieux les contrôler, le régime de Pétain en transfère au Sahara. ]]. Certains sortaient de leur cachette. D’autres encore venaient des corps francs. Dispersés dans les armées régulières de Pétain, beaucoup ont déserté pour rejoindre les rangs du général Leclerc, qui représentait le France libre. De même, nombre d’entre eux, pour la même raison, ont déserté la Légion dans laquelle ils s’étaient enrôlés pour ne pas périr dans les camps ou sous la menace d’être renvoyés en Espagne, où la « justice » franquiste les attendait.

À l’époque, les Espagnols partageaient cette vision de de Gaulle qu’exprime Manuel Fernandez, un des survivants de la Nueve avec qui s’est entretenue l’auteure : « À cette époque, ce n’est pas le colonel Leclerc qui m’a incité à m’engager, parce que, en réalité, je le connaissais à peine ; c’est surtout la figure du général de Gaulle. Je rêvais de partir avec lui depuis le début, depuis qu’il avait lancé l’appel de Londres. Pour moi, de Gaulle était l’homme qui n’avait pas cédé aux Allemands et celui qui représentait la liberté. Comme Le-clerc était avec lui et qu’il représentait la France libre, on est partis avec celui-là[[p. 266.]]. »

Au sein de la Nueve, ces hommes ont combattu en Afrique du nord. En France, ils ont débarqué d’abord en Normandie, où ils ont combattu, puis participé à la libération de Paris, où ils ont soutenu l’insurrection, avant de poursuivre la lutte en Alsace. Enfin, ils ont livré com-bat en Allemagne, jusqu’à l’armistice.

Alors qu’ils arboraient toujours le drapeau républicain espagnol, le 27 août 1944, de Gaulle ordonna de le retirer, dans le but de redorer le blason des Français, marquant ainsi le début de la disparition historique des libérateurs étrangers.

Un des intérêts de cet écrit est de bien situer l’engagement de ces combattants au sein de La Nueve, en tissant le fil de leur histoire, et, par conséquent, de le replacer à partir de 1936, voire avant. Ainsi, nous parcourons leur épopée, de la guerre civile jusqu’à l’arrivée, pour les survivants, au « nid d’aigle » d’Hitler.

L’auteure nous relate leurs conditions de vie terribles dans les camps de concentration où ils croupissaient. Elle met en avant les traitements particuliers auxquels étaient soumis ceux considérés comme potentiellement dangereux, dont nombre de personnalités anarchistes. La mise en lumière de la réalité, particulièrement rude, des camps en Afrique du Nord retient l’attention du lecteur, car elle est peu retracée dans les différents ouvrages sur l’exil des républicains. Dans tous ces lieux, en plus de l’insalubrité, régnaient la brutalité, la perversité et l’humiliation. C’est pourtant là que se trouvait le vivier des futurs combattants espagnols qui ont renforcé les maquis ou les différentes forces alliées.

Au regard des rares ouvrages qui retracent ces pages noires de l’histoire de France, ce-lui d’Evelyn Mesquida est nécessaire. Il est aussi salutaire, car il rappelle, à travers le récit même de l’implication de ces hommes, que le pays qui les a si mal traités leur est, en plus, redevable. Comme le montre bien l’auteure, leur contribution a été d’autant plus remarquable qu’ils avaient l’expérience du combat. En outre, leur conscience politique les rendait courageux et déterminés – bien que rebelles, pour beaucoup d’entre eux, à la discipline militaire –, comme en ont témoigné le général Leclerc et le capitaine Dronne.
Le mérite essentiel de cet ouvrage d’Evelyn Mesquida est de donner une visibilité à ces hommes, de les extraire de l’oubli dans lequel ils ont sombré.

Agnès Pavlowsky