Skip to main content

Étiquette : Témoignages

Republicanos españoles en la liberación de París

Eduardo Pons Prades, né à Barcelone le 19 décembre 1920 et mort dans cette même ville le 28 mai 2007, connu aussi sous le pseudonyme de Floreal Barcino, est un écrivain spécialisé en histoire contemporaine espagnole du XXe siècle, scénariste documentaire, militant de la CNT. Il est également conférencier. spécialiste reconnu de la résistance des républicains espagnols en France, pour y avoir lui-même participé, il a publié plusieurs oeuvres sur ses péripéties. Il évoque ici la constitution de la Nueve au sein de la 2e DB et tout son parcours jusqu’à la démobilisation en août 1945.

domninguez_et_cortes.jpg

Documents joints

 

Poèmes de guerre et d’espoir par les élèves du collège de Mouans Sartoux (06)

À l’initiative de leur professeur, Mme Annie Fiore, les élèves de 3è du collège La Chênaie de Mouans Sartoux (Alpes-Maritimes) ont rédigé des poèmes sur le thème de la guerre et de l’espoir.

Clara
Clara


12 sensibilités à découvrir…

Clara
Clara

Documents joints

 

Mauthausen, l’enfer nazi en Autriche. De David Wingeate Pike, éditions Privat, Toulouse 2004.

enfer-nazi-en-autriche1.jpg Le camp de Mauthausen, en Autriche, est un de ces lieux où l’horreur nazie s ‘est donnée libre cours. Il s’impose au sein de l’archipel concentrationnaire, comme l’archétype du camp d’ « exténuation » où les nouveaux esclaves sont promis à la mort après avoir été usés par le travail. Lorsque la situation de guerre s’aggrave dans le IIIe Reich, il se transforme en complexe industriel enterré, fabriquant des avions, Messerschmitt et des armements. À ses portes la société autrichienne continue de vaquer à ses occupations comme si de rien n’était…
David W. Pike propose une radiographie de l’univers atroce de Mauthausen, avec ses prisonniers de diverses nationalités, dont des Espagnols, des Russe, des Français ; avec ses gardiens SS, son escalier aux cent quatre-vingt-six marches, son musée de restes humains, la mort quotidienne… La précision du récit, l’acuité du regard, l’émotion l’acuité du regard, l’émotion contenue donnent sa force brute à cet essai de biographie de l’extrême violence nazie.
4 e de couverture.

David Wingeate Pike, né en Angleterre, émigré aux États-Unis, professeur d’histoire contemporaine, professeur émérite à l’université américaine de Paris et directeur ; de recherche à l’Américan Graduate School pour les relations internationales et la diplomatie. Il est un grand spécialiste de l’histoire de la guerre d’Espagne et des républicains espagnols en exil. Parmi les nombreux ouvrages qui lui ont valu une réputation internationale : Les français et la Guerre d’Espagne (1975), In the service of Stalin, Jours de gloire,/jours de honte (1984), The spanish Communists in exils 1939-1945 (1993), Spaniards in the holocaust, the Horror on the Danube (2000). Il publie également de nombreux articles notamment dans la revue Histoire moderne et contemporaine et la revue d’Histoire de la deuxième Guerre mondiale.

couv_mauthausen_l_enfer_nazi_en_autriche_dwp_.jpg
enfer-nazi-en-autriche1.jpg

Guerre, exil et prison d’un anarcho-syndicaliste

mera1.jpg Né à Madrid le 4 septembre 1897 dans une famille modeste ; Cipriano Mera travaille dès l’âge de 13 ans comme manœuvre dans le bâtiment. Il adhère d’abord à l’UGT puis au syndicat de la Construction de la CNT de Madrid auquel il restera attaché toute son existence.
Le 18 juillet 1936 au moment du soulèvement militaire, il se trouve en prison à la Modelo de Madrid. Le jour même, ses compagnons le libèrent et il s’engage alors dans les milices confédérales anarchistes. Il est nommé « Délégué général » de sa colonne. En première ligne, il se révèle être un excellent stratège militaire, favorisant les prises d’Alcala de Henares, de Cuenca… Mais c’est à la tête de la 14e Division, qu’il s’illustre, avant tout, dans l’importante victoire sur les troupes italiennes à Guadalajara le 23 mars 1937. Sans son plan de prendre par revers les défenses des nationaux en contournant leurs positions dans la cité par le haut, celle-ci ne serait jamais tombée, continuant à faucher la vie de centaines de miliciens qui s’offraient face à un nid de mitraillettes perché sur une hauteur d’où il dominait tous les accès bas de la ville.

Dans son autobiographie, il nous dit sa guerre et témoigne de façon simple et concise sur la participation des unités de la CNT dans un des secteurs géographiques les plus chauds de la guerre civile : la zone du centre de l’Espagne. Il nous raconte son expérience au jour le jour, appuyant sur les événements qui vont marquer son parcours notamment sa manière de s’opposer avec une force tranquille mais déterminée au broyage communiste. Il nous raconte de manière simple mais truculente la façon dont il exige que lui soit remis son chef d’État-major, Antonio Verardini, arrêté par José Cazorla [[conseiller de l’Ordre public de la Junte de défense de Madrid]] alors qu’il était en permission pour 24 heures à Madrid. Et comment il fit aussi sortir de prison Mica Etchebeheré, [[militante du POUM et capitaine d’une des deux compagnies formées par le POUM, accusée d’entente avec l’ennemi]] enfermée dans les cachots de la direction générale de la sûreté à Madrid. Sans éluder certains aspects «doctrinairement» discutables, comme la militarisation des milices, il assume l’entière responsabilité de son action. Il ne passe rien sous silence et évite les justifications a posteriori. Il est nommé lieutenant-colonel à la tête du IVe corps d’armée [[armée du centre]].
En mars 1939, Mera soutient la coalition militaire du colonel Casado contre le gouvernement Negrín, [[composé essentiellement de dirigeants ou sympathisants communistes et assistés de délégués soviétiques, prêts à sacrifier la vie de beaucoup d’hommes pour un combat perdu d’avance, alors que la plupart d’entre eux ont déjà quitté l’Espagne, abandonnant leurs troupes à elles-mêmes]]. Puis il se désolidarise de Casado, compte tenu que ce dernier ne s’est pas garanti [[en occupant les mines de mercure d’Almadén par exemple]], comme cela avait été prévu, pour négocier avec Franco, et du coup les négociations échouent.
À la suite de quoi, Mera se préoccupe de quitter l’Espagne avec ses compagnons. Il réussit dans les derniers jours de mars 1939 à passer en Algérie où il connait les camps d’internement, puis au Maroc où il est arrêté par les autorités pétainistes et en 1941, remis aux autorités franquistes. Incarcéré, il est condamné à mort puis gracié.
Il revient en France en 1947 où il s’installe définitivement comme maçon, métier qu’il exerce toute sa vie. Ce qui lui fait dire cette phrase célèbre : « Ma plus grande victoire a été la truelle« .
En 1965, il est exclut de la CNT avec une partie des militants qui refusent la ligne politique que prend cette dernière. En 1969 il prend sa retraite. Il meurt le 24 octobre 1975, à peine un mois avant Franco…
À ses funérailles, son compagnon Francisco Olaya Morales lui rendit hommage en une belle phrase résumant son action émancipatrice, en forme d’épitaphe : « Il mourut comme il avait vécu : en construisant des édifices que d’autres se consacraient à détruire »

Article réalisé grâce à l’appui d’extraits de la 4e de couverture de l’ouvrage Guerre, exil et prison d’une anarcho-syndicaliste, Cipriano Mera, et de l’article de Lucie Heymé paru le 1er octobre 2012 sur http://www.autrefutur.net/Ma-plus-grande-victoire-a-ete-la

mera1.jpg

5 mai 1945 – 5 mai 2015

——————— Discours hommage aux Espagnols 70 ans de la libération du camp de Mauthausen 5 mai 1945/5 mai 2015.


Monsieur Blandin, maire du 20e chargé de la mémoire combattante Monsieur Daniel Simon, président de l’Amicale de Mauthausen, Monsieur David Wingeate Pike, Professeur émérite de l’Université américaine de Paris, membre du comité international d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Mesdames, messieurs, Tout d’abord laissez-moi au nom de notre association 24 août 1944, vous remercier d’être présents à cet hommage à tous les Espagnols morts pour la liberté, que nous avons voulu organiser ce 5 mai, jour 70e anniversaire de la libération du camp de Mauthausen. Le peuple espagnol a entamé sa résistance armée face au fascisme international le 19 juillet 1936, alors que le monde entier s’imaginait en être encore aux négociations et aux arrangements avec les dictatures. Après 32 mois de résistance, vaincus sur leur terre, par le manque d’armement et de soutien et par la coalition des fascismes allemands, italien et portugais, venus s’entrainer sur la terre espagnole, les républicains espagnols s’exilent en France. Comme l’avait pressenti Buenaventura Durruti, ce n’est pas seulement une armée qui se retire mais tout un peuple, ils seront 500.000 à franchir la frontière en quelques jours de fin janvier au 12 février 1939. C’est le plus grand exil des temps modernes Malgré un accueil déplorable, sans fraternité ni espoir, ils vont restés à l’écoute des bruits de bottes qui montent en Europe. Ils sont là encore les premiers à organiser des maquis, pour passer les frontières, les premiers à se battre contre l’ignominie et la terreur fasciste. Il y eut des Espagnols, combattant le fascisme international sur tous les fronts, dans tous les maquis. Dans la Résistance et dans les armées alliées, ces Espagnols enragés de Liberté associèrent leurs noms à ceux des libérateurs à Narvik, à Bir-Hakeim, dans le Vercors, sur le plateau des Glières, en Sicile, à Monte-Casino, en Normandie, à Paris où ils entrent les premiers le 24 août 1944, éclaireurs de la 2e DB du général Leclerc, à Strasbourg, jusqu’au nid d’Aigle d’Hitler, à Berchtesgaden et dans beaucoup d’autres lieux où fut versé tant de sang et où tant de vies furent fauchées. Ceux qui se sont retrouvés sur la ligne Maginot pour la consolider ont tout se suite été faits prisonniers de l’armée allemande en juin 1940 et déportés dès le 6 août 1940 au camp de Mauthausen, seul camp classé catégorie 3, un camp de mort systématique par épuisement dans lequel les conditions de survie étaient des plus terribles. Mais il y eut des antifascistes espagnols dans tous les camps de concentration nazis y compris des femmes espagnoles à Ravensbrück, « Si un jour prochain, l’un d’entre nous parvient à survivre à ce génocide, qu’il dise au monde entier ce que furent les Camps nazis… » Voici le message que confièrent des milliers d’Espagnols avant de mourir, après avoir été martyrisés et mutilés. Pour le respecter, à Mauthausen, les Républicains espagnols qui sont des combattants aguerris ennemis du totalitarisme, s’employèrent dès leur arrivée à s’organiser afin de résister à la mort programmée, et de collecter les preuves irréfutables de la déportation. Leur conduite força l’admiration de tous, Edmond Michelet résistant déporté à Dachau membre du Comité international des déportés, parle des Espagnols en ces termes : « (…) Les Espagnols réussirent ce tour de force de faire l’unanimité dans la sympathie et l ‘admiration. (…)Ils tiraient de leur adversité une orgueilleuse fierté qui forçait le respect. (…) Quand on me parle de Grands d’Espagne, je revois moins un personnage de Claudel que l’un quelconque de ces camarades malheureux. » Cette perception des Espagnols est l’expression même du sentiment qu’exprima Antonio Machado juste avant la chute de Barcelone en janvier 1939 quand il écrit : « (…) Pour les stratèges, pour les politiques, pour les historiens, tout est clair : nous avons perdu la guerre. Mais humainement, je n’en suis pas si sûr…Peut-être l’avons-nous gagnée. » Mais, nous qui sommes leurs descendants et avons été élevés par eux en France nous pouvons affirmer que longtemps ils ont rêvé de retrouver leur terre débarrassée du franquisme et qu’ils ont dû ravaler leur utopie, ensevelir leur idée de construire une société meilleure dans leur pays. Daniel Mayer, membre du Comité national de la résistance, ministre du gouvernement de la libération, ami des républicains espagnols, Pablo Casals illustre compatriote qui symbolise les arts et leur langage de rébellion et enfin le professeur Charles Richet représentant la science et sa marche progressiste sont les parrains prestigieux de ce monument qui se dresse derrière moi. Daniel Mayer, dans son discours d’inauguration le 13 avril 1969, a appuyé sur cet aspect douloureux d’un combat inachevé vers l’espoir en déclarant : « La victoire venue les démocraties ne surent pas délivrer l’Espagne comme avait été délivré le reste de l’Europe. Il eut, en 1946, suffi d’une chiquenaude pour que les prisons espagnoles se vident, pour que l’Espagne toute entière s’ouvre à l’enseigne de l’homme. Cela n’a pas été fait et ma génération en portera la honte durant des siècles. » Déjà en 1969, son hommage était un appel à la vigilance pour éloigner de notre monde le fascisme et sa cohorte d’exclusion, de haine et de xénophobie ; en effet il ajoute : « D’autant que nous ne savons pas reprendre le combat et qu’au contraire de nos espérances, la violence, la haine, le totalitarisme gagnent de nouveaux États. (…) Ne pas oublier, ce n’est pas seulement évoquer les années passées. C’est construire le monde demain. Au-delà de l’unité des morts —¬et grâce à elle—¬ nous devons créer l’unité des vivants. Et le monde de demain sera celui que nous avons conçu, si nous savons vouloir. » En 2015, 70 ans après, nous devons nous souvenir de ces mises en garde, de la part d’hommes dont la conduite a toujours été de faire obstacle à l’oppression. Rendre hommage aujourd’hui À la mémoire de tous les Espagnols morts pour la liberté cela signifie surtout respecter leur combat et le sacrifice de leur vie en ne permettant pas que reviennent le temps des idéologies fascisantes qui basent leur programme sur l’exclusion la persécution de l’autre, de l’étranger et sur l’exploitation de la misère. Souvenons-nous que ces Espagnols comme toutes les nationalités présentes au camp de Mauthausen ont su s’unir pour organiser la résistance intérieure du camp et que le 16 mai 1945, ils nous ont délivré ce message à respecter et à transmettre aux autres générations jusqu’à la nuit des temps : « Sur la base d’une communion internationale, nous voulons ériger aux soldats de la liberté, tombés dans cette lutte sans trêve le plus beau des monuments, celui du : MONDE DE L’HOMME LIBRE Nous nous adressons au monde entier pour dire : Aidez nous dans notre tâche ! Vive la solidarité internationale ! Vive la liberté ! Au nom de tous ceux qui furent prisonniers politiques à Mauthausen. » Merci de votre attention et de votre présence.

Hommage au monument de la FEDIP
Hommage au monument de la FEDIP
Hommage 5 mai 2015
Hommage 5 mai 2015
Hommage de l'historien aux acteurs de l'histoire
Hommage de l’historien aux acteurs de l’histoire

Documents joints

 

Ni l’arbre ni la pierre

Des combats pour la liberté aux déchirements de l’exil – L’odyssée d’une famille libertaire espagnole

Mon père était ouvrier à l’usine et le reste du temps avec ses compagnons, il préparait la révolution sociale. Enfant, dans les années cinquante, je considérais mon père comme quelqu’un ayant deux métiers : ouvrier et révolutionnaire.

Les femmes et les hommes qui vécurent cette odyssée s’affrontèrent, la rage au ventre à l’ignominie des pouvoirs. A la joie, la vitalité et l’enthousiasme immense qui régnaient durant la révolution espagnole succéderont la détresse des réfugiés, dépossédés de leurs armes et parqués honteusement dans des camps de concentration français, la résistance contre le fascisme et l’espoir déçu d’un retour en Aragon.
Nous nous souviendrons longtemps, avec tendresse, de cette grand-tante chanteuse de music-hall à Barcelone, de ces grands oncles rebelles et aventuriers, bandoleros au service du mouvement libertaire, de cette grand-mère se répandant d’affection pour ses petits-enfants, leur chantant Hijos del pueblo, l’hymne des anarchistes. Nous repenserons au restaurant populaire collectivisé de Sarinena où se rencontrèrent Juliana et Eusébio, les parents de l’auteur.

Nous les imaginons débordant de révolte, de désir et d’espérance. Ils prennent place dans notre mémoire…


_Né en 1953 à Villefranche-en-Beaujolais, Daniel Pinós est l’avant-dernier d’une famille de six enfants. Ses parents, des anarcho-syndicalistes espagnols, s’exilèrent en France en 1939. Militant libertaire et antimilitariste, insoumis en 1973, il s’exila à son tour à Amsterdam où, en 1976, il apprit la mort de son père. Il est aujourd’hui responsable d’édition aux Presses de la Sorbonne Nouvelle.

Daniel Pinós collabore également à l’association 24 août 1944 pour laquelle, notamment, il écrit des articles et s’occupe des publications.

5 mai, jour de la libération du camp de Mauthausen

Dès 1936 en Espagne, les antifascistes espagnols furent les premiers à s’élever contre le fascisme européen, les premiers aussi en 1940, alors que la France hésitait encore. Ils payèrent très cher cette clairvoyance et ils furent les premiers déportés, en dehors des prisonniers Allemands et Autrichiens. Même s’il y a eu des Espagnols déportés dans tous les camps de concentration, ils furent massivement envoyés des stalags au camp de Mauthausen (classé catégorie III, camp d’élimination), à compter du 06 août 1940 et pour leur rage à défendre la démocratie, ils furent encore les premiers déportés partis du sol français pour les camps de la mort (le 20 août 1940, convoi d’Angoulême).

Ils portent le triangle bleu des apatrides et à l’intérieur du triangle la lettre S pour Spanien. Au début, ils occupent les places les plus exposées dans le camp et effectuent les travaux les plus pénibles. Ils ne trichent pas face à l’atrocité de leur condition mais ils se souviennent qu’ils sont des combattants et non des victimes. Dès lors, ils entrent en résistance, leur but collectif sera de survivre et de collecter toutes les preuves possibles pour témoigner de la terrible déshumanité.
Sur les 7 200 hommes envoyés au camp de Mauthausen, les deux tiers ont été exterminés. Mais animés de la volonté farouche de combattre le fascisme, ils n’ont jamais cessé de résister et de s’entraider, ce qui permit à 2000 d’entre eux de survivre pour témoigner.
Mauthausen et ses kommandos fut un des derniers camps libérés, le 5 mai 1945. À cette date, le comité clandestin espagnol, qui avait été le moteur de l’organisation internationale clandestine de résistance du camp, était prêt à défendre chèrement la vie des survivants. Au moment du rapatriement, les Espagnols ne pouvaient pas rentrer dans leur pays. Aussi après des négociations, furent-ils rapatriés en France puisque c’est de ce pays et à cause de leur engagement à le défendre qu’ils avaient été déportés.

Pour toutes ces raisons qui lient étroitement le combat des antifascistes espagnols à l’histoire de la France dans la Seconde Guerre mondiale, nous serions heureux de vous accueillir, 70 ans après, au cours de cet hommage rendu à ceux qui sont tombés et à ceux qui ont pu résister, et nous souhaiterions vous donner la parole afin que leur engagement pour la liberté soit marqué de votre considération, dans ce lieu symbolique de toutes les luttes populaires pour la liberté. Rendez-vous le 5 mai 2015, 15h 30, cimetière du Père Lachaise, porte Gambetta, rue des Rondeaux, Paris 20e (métro Gambetta).


Invitation 5 mai 2015 Programme 2015 de l’association

Documents joints

 

Rencontre avec les élèves de l’école alsacienne

Le 11 février dernier, des membres de l’association du 24 août ont rencontré des élèves de l’école alsacienne.

Cet échange s’est fait à l’issue d’un travail préparatoire visant à contextualiser l’itinéraire des soldats de la Nueve : de leur combat au sein des milices républicaines jusqu’à leur parcours d’humiliation et de souffrance dans les camps d’enfermement du sud de la France et de l’Afrique du nord.

Après le visionnage du documentaire d’Alberto Marquardt, la Nueve ou les oubliés de la victoire, les élèves de 1ère ont pu engager un débat avec les membres de l’association, petits-fils de républicains espagnols ou historiens de la période. Ce débat a permis aux élèves d’appréhender entre autre les conditions réelles d’enfermement des républicains dans les camps et la finalité de l’engagement de ces jeunes pour lesquels le combat contre l’Allemagne nazie serait suivi d’un combat contre l’Espagne franquiste.

alsace-01.jpg
alsace-02.jpg
alsace-03.jpg
alsace-04.jpg


Vidéos de la conférence et de la rencontre, sur le site de l’école :

  • http://ecole-alsacienne.org/spip/l-antifascisme-de-madrid-a-2808.html
  • http://www.ecole-alsacienne.org/spip/homenaje-a-los-republicanos.html

alsace-01.jpg
alsace-02.jpg
alsace-03.jpg
alsace-04.jpg

La pièce La Nueve nous fait combattre aux cotés de cette unité.

Le 19 novembre, des élèves de 1ère ES du Microlycée de Vitry sur Seine, assistaient au spectacle sur la Nueve au 20e théâtre.

Témoignage d’un élève.

LA NUEVE

Lorsque l’on m’a demandé d’écrire une critique sur la pièce de théâtre La Nueve, je dois admettre que je n’ai pas su quoi dire ni surtout écrire. Je pense que le message traduit par cette pièce est tellement puissant et transmis avec une telle force par les descendants de ses anciens combattants qu’il est difficile de donner son avis. C’est peut-être la peur de déformer les choses ou encore le fait que tout est à voir et rien n’est à dire. Ce que je sais c’est que j’ai eu l’occasion de voir des pièces de théâtre qui dénonçaient des vérités difficiles à entendre ou à faire comprendre. Mais je n’ai assisté qu’à une seule pièce de théâtre qui ne dénonce pas ni raconte ses vérités difficiles, mais qui les fait vivre. Et cette pièce c’était La Nueve.

Je ne vais pas m’attarder à décrire la mise en scène et le jeu des acteurs, qui est de mon avis surprenant et irréprochable, non. Néanmoins, je prends quand même le temps de souligner l’impacte d’une telle pièce. C’est plus qu’un message. C’est un moment bloqué dans le temps ou l’on revit le passé de ces gars qui ont tous vécu des horreurs mais qui ont choisi de continuer à se battre. Certes pour la vengeance, il faut dire, mais aussi pour la justice, qui n’a pas été présente pour eux et qui se devait d’être défendue par eux pour les autres, leurs familles, leurs amis, leurs copains, mais aussi pour nous. C’est comme un paradoxe temporal ou l’on vit et combat avec ses hommes, ou l’on souffre, on danse, on rit, on chante ! La pièce La Nueve ne nous montre pas le combat de cette unité mais nous fait combattre aux cotés de cette unité. C’est un moment si fort, que le message n’est pas transmis, mais vécu.

Pour conclure, La Nueve est une pièce qu’il faut voir, non dans un contexte historique, ou d’obligation, mais il y est des choses de la vie qui nous font réfléchir et changer, et La Nueve en fait partie. Si La Nueve a été par le passé un vent de vérité, de colère et de justice, aujourd’hui ce n’est qu’un souffle, mais qui porte toujours sa devise et qui traversera toujours le temps afin de nous l’inculquer, mais aussi de la transmettre aux générations futures.

Felix Gapin
1ère ES, Microlycée de Vitry sur Seine


La Nueve

Cuando me pidieron que escribiera una crítica sobre la representación teatral La Nueve, tengo que admitir que no sabía qué decir ni, sobre todo, escribir. Pienso que el mensaje de esta obra es transmitido de una manera tan intensa y fuerte por los descendientes de estos antiguos combatientes, que es difícil dar una opinión. Quizás sea el miedo a deformar las cosas, o también el hecho de que todo está en el espectáculo y no hay nada que decir. Lo que sí sé, es que tuve la ocasión de ver otras obras de teatro que denunciaban verdades difíciles de entender o de hacer comprender. Pero sólo asistí a una obra de teatro que no denuncia, ni cuenta hechos reales difíciles sino que los hace revivir. Y esta obra es La Nueve.

No voy a detenerme en la puesta en escena, ni en los actores, excelentes e irreprochables en mi opinión, no. Sin embargo, tomaré el tiempo de subrayar el impacto de una obra de teatro como ésta. Es mucho más que un mensaje. Es un momento detenido en el tiempo en el que revivimos el pasado de estos hombres que han vivido, todos, situaciones horribles, pero que han elegido continuar luchando. Cierto, por venganza, todo hay que decirlo, pero también por justicia, que no ha estado presente en sus vidas, pero que deberán defender por los otros, sus familias, sus amigos, sus compañeros y también por nosotrtps. Es como un paradoja temporal en la que vivimos y combatimos con estos hombres, en la que sufrimos, bailamos, reímos, cantamos ! La Nueve no nos muestra los combates de esta célebre Compañía. Es un momento tan fuerte, que el mensaje no se transmite, sino que se vive.

Para concluír, La NUeve es un espectáculo que hay que ver, no en un contexto histórico ni por obligación. Pero hay cosas en la vida que nos hacen reflexionar y evolucionar. Y La Nueva, hace parte de ellas. Si La NUeve ha sido en el pasado un viento de verdad, de cólera y de justicia, hoy es sólo una brisa, pero sigue llevando consigo su divisa y atravesará el tiempo para inculcárnosla pero también para transmitirla a las generaciones futuras.

Les Espagnols de Leclerc dans la résistance

Eduardo Pons Prades,

Spécialiste reconnu sur le sujet de la résistance des républicains espagnols en France, car il a lutté dans ses rangs et il a publié plusieurs œuvres sur ses péripéties, évoque dans cette série, exclusive pour HISTORIA 16, l’exode espagnol vers la frontière française à la fin de la guerre civile, le traitement reçu par les réfugiés espagnols, le commencement de la Seconde Guerre mondiale, le rôle des Espagnols durant l’invasion allemande de la France , le début des guérillas…
Dans ce cinquième chapitre –avec, comme toujours, la technique du témoignage direct des protagonistes– il nous présente l’organisation des guérillas, l’encadrement espagnol dans les unités régulières de l’armée française renaissante, la participation espagnole à la libération de la France et le début des opérations des “maquisards” en Espagne.

Chaque homme est une péripétie.

Témoignage d’Emilio Álvarez Canosa « Pinocchio »:
« Je me suis retrouvé dans les mines d’or de Salsigne [[c’est une ancienne mine d’or, fermée en 2004, qui se situe sur les communes de Salsigne et de Villanière à 15 km au nord de Carcassonne dans l’Aude]] et je venais du camp de Bram [[un des innombrables camps de concentration où furent parqués les réfugiés espagnols qui fuyaient les armées franquistes, les brigadistes puis les familles juives, ouvert en février 1939]]. Étant en “mission” à Marseille j’ai été arrêté à la gare Saint-Charles, et après les interrogatoires de rigueur, à Marseille et à Montpellier, on m’a transféré au camp disciplinaire de Vernet-les-Bains [[il doit vouloir parler du camp disciplinaire du Vernet d’Ariège]]. Je m’en suis évadé avec deux autres compagnons socialistes et nous sommes allés travailler dans le bassin minier de Provence. Uniquement pour avoir des papiers, naturellement. Pour échapper à une dénonciation, j’ai filé à Bordeaux, en passant la ligne de Démarcation ; que j’ai repassée quelques semaines plus tard, début 1943, pour rejoindre les guérillas de la Dordogne, où j’ai formé mon propre détachement, qui s’était spécialisé dans les sabotages des trains et des voies ferrées. Au commencement de l’année 1944, on m’a nommé chef de la Dordogne-Nord, poste que j’ai assumé jusqu’à peu avant la libération de cette zone (août-septembre 1944). C’est-à-dire jusqu’à ce que nous ayons réorganisé notre unité en vue de son transfert dans les Pyrénées, pour participer à l’Opération Reconquête de l’Espagne. »

Dans le désert et en Normandie

Même si on nous a oubliés intentionnellement, la guerre en France est remplie d’aventures espagnoles. Federico Moreno Buenaventura était dans les unités de Leclerc en Afrique et, ensuite, en Normandie : « Après cette fabuleuse aventure du désert, la colonne Leclerc a été envoyée au repos au Maroc. C’est là, avec la formation de la 2 DB de la France libre, que la représentation espagnole prit une envergure impressionnante. Nos compatriotes venaient de toutes parts: des camps de concentration du Sahara —où le maréchal Pétain les avait enfermés—, de la Légion étrangère ou des Corps Francs, d’où ils désertaient en masse. On les appelait des « transferts spontanés», et de nombreux autres qui s’étaient à moitié cachés à Alger, Oran, Tunis et Casablanca. Une telle affluence se justifiait ainsi: des rumeurs avaient circulé que le débarquement en Europe allait se faire à partir des côtes espagnoles. Si on n’avait pas fermé les bureaux de recrutement, on aurait pu former, rien qu’avec des Espagnols, les deux divisions blindées de la France libre. Bien que nous ayons reçu rapidement du matériel nord américain et anglais, nous avons attendu plus longtemps qu’on le pensait pour abandonner les campements africains, et nous avons embarqué vers l’Angleterre à partir d’avril 1944. Deux mois plus tard, le 6 juin, les Alliés débarquaient en Normandie. Et nous, incompréhensiblement, nous continuions dans des campements au centre de l’Angleterre. C’était dû à plusieurs “croc-en-jambe “que le général Leclerc avait fait à ses alliés lors de la campagne de Tunisie et qu’il allait refaire en France et en Allemagne, car lui tout comme De Gaulle considéraient qu’il devait être très clair –et c’est pour cette raison que les unités de la France libre devaient être à l’avant-garde– que les territoires sous mandat français ou anciennes colonies, allaient être libérés par des unités françaises, qui devaient aussi être les premières à entrer dans les villes importantes
Enfin, dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1944, les hommes de Leclerc ont mis le pied, à leur tour, sur les plages normandes. C’est alors que la fierté nationale française resurgit à nouveau, avec une autre obsession: celle d’arriver les premiers à Paris. Mais, pour cela, nous allions devoir combattre au pas de charge, presque « à la chaîne », en laissant de côté bien souvent les normes les plus élémentaires de la guerre classique: comme celle de ne pas trop négliger les flancs de ses propres forces. Mais ce qui est certain c’est que avec la façon dont Leclerc –qui était indiscutablement un génie– imagina d’avancer, personne n’était capable d’indiquer où étaient nos flancs. Vu avec du recul, c’était une absurdité militaire et je peux t’assurer que personne ne s’est autant réjoui de la marche sur Paris (par la route Normandie –Paris) que les Espagnols. Et en particulier ceux de la Neuvième compagnie [la Nueve], qui, sauf son chef: le capitaine Dronne, était composée exclusivement d’Espagnols. Il fallait voir les groupes de véhicules blindés, presque tous baptisés de noms espagnols –Don Quichotte, Madrid, Teruel, Ebro, Jarama, Guernica, Guadalajara, Brunete, Belchite et celui des trois mousquetaires Portos, Aramis et d’Artagnan– [[Véhicules, il n’y avait ni Jarama, ni Belchite, ni Portos, Aramis et d’Artagnan mais: Les Cosaques , Mort aux cons (jeep du capitaine Dronne) Rescousse, Résistance, Libération, Nous Voilà, Tunisie, Espana Cani, Amiral Buiza, Santander, Les pingouins, les chars entrés dans Paris étaient Le Romilly, le Champaubert, le Montmirail,…]] fonçant sur les routes, escaladant des talus, passant sur des canaux et franchissant des gués. Ce que j’ai dit, de la pure bêtise ! Et, alors que les Nord-américains et les Anglais étaient en train de discuter avec De Gaulle, Leclerc a ordonné à Dronne: « Vous savez ce que vous avez à faire: tout droit à Paris, sans vous soucier de rien d’autre!». Et Dronne nous a convoqués nous les chefs de section –Montoya, Granell, Campos et Moreno– et il nous a dit ce qu’il fallait faire, coûte que coûte.
Parcourir les deux cents kilomètres qui nous séparaient de Paris n’a été une tâche facile pour personne. En opérant en franc-tireurs, nous renoncions à la couverture aérienne made in USA, et au soutien de nos chars lourds. Personnellement, j’ai dû affronter, avec mes trois blindés, des canons allemands de 88, qui nous barraient la route. Nous avons eu de la chance, c’est vrai. C’est ainsi que le 24 août 1944 –un jeudi– vers neuf heures du soir, nous sommes entrés sur la place de l’Hôtel de Ville de Paris. Le « Don Quichotte», qui était le blindé de commandement de ma section, a été le premier à se garer là [[en fait le premier Half-track à entrer dans Paris et à parvenir à l’Hôtel de ville est le Guadalajara]]. Et durant l’heure qui suivit, les engins blindés restants conduits par des Espagnols sont arrivés, avec des noms castillans sur les flancs et le front de leurs véhicules. C’est pour cette raison que ce qui survenu, vingt cinq ans plus tard, nous a fait si mal. En août 1969, dans un reportage commémoratif de la Libération de Paris, retransmis par la télévision française, une émission qui a duré presque deux heures et à laquelle même la veuve du maréchal Leclerc participait …hé bien, pas une seule fois, durant toute l’émission on a entendu nommer le mot espagnol…»

Chaîne d’évasions

Les réfugiés espagnols ont également collaboré à l’évasion d’autres personnes persécutées. L’un d’eux est M. H. P., « el Murciano », qui raconte: « Mon activité clandestine a débuté dans le Midi de la France et s’est spécialisée presque exclusivement à organiser des groupes de gens et à les transférer en Espagne, clandestinement et par voie maritime, pour le compte de la fameuse chaîne d’évasion alliée « Pat O’Leary ». Il est bien connu que ses derniers maillons –tant par les terres, depuis Toulouse, que par mer, depuis Sète– ont été organisés et mis en place par des guides républicains espagnols. Leur plus haut responsable –nous les libertaires nous avons du mal à utiliser le terme de chef– était un instituteur titulaire de la province de Huesca, Asturien de naissance, appelé Paco Ponzán Vidal. Auparavant, et en raison de mon emploi comme mécanicien à bord d’un bateau grec qui battait pavillon panaméen, j’avais participé à l’organisation de la fuite d’un groupe important de diamantaires d’Amsterdam, tous Juifs, à l’automne 1940. Nous les avons conduit jusqu’à Lisbonne, après une escale ratée à Casablanca. Je me demande encore comment nous nous sommes débrouillés pour partir de Hollande, traverser la Belgique et ensuite la zone nord de la France, occupée militairement par les Allemands, franchir la Ligne de Démarcation, traverser toute la zone dite libre et nous présenter au port de Sète comme si de rien n’était. Avec les Juifs et leurs voitures, leurs épouses respectives et des bagages énormes. Ah, et des cartables qu’ils ne lâchaient pas même pas pour dormir! C’est-à-dire que pour ce qui de la persécution des Juifs, on voit que les Allemands n’étaient pas très dégourdis, selon les occasions…
À Sète les embarquements ont dû être interrompus, au printemps 1943, à cause de l’arrestation d’un jeune couple belge, qui parla trop… Je suis alors allé à Marseille et à Nice, où j’ai organisé quelques expéditions. Ensuite, sous la pression de nos protecteurs français, qui me considéraient comme « brûlé », on m’a expédié à Vienne, capitale de l’Autriche, où je suis resté un an. Nous dirons un jour qu’elle y a été notre activité. En mai 1944, j’étais à nouveau en France: à Paris. Nous, les Espagnols, nous avons participé activement –aussi bien ceux de la Division Leclerc que les civils– à la libération de la capitale de la France. Et dans les semaines qui ont suivi, après plusieurs échanges d’impressions entre libertaires de la Division Leclerc (Campos et Bullosa) et ceux du Comité régional de Paris, nous nous sommes engagés clandestinement dans la 2 DB, dans le seul but de récupérer de l’armement léger abandonné par les Allemands sur les champs de bataille et de l’envoyer à Paris, afin d’armer nos compagnons pour aller lutter en Espagne. Mais ce qu’a été cette aventure dans la Division Leclerc, l’ami Blesa va te le raconter.»

« Je n’ai jamais su comment diable le Canarien Campos a dégotté ce véhicule blindé qu’il nous a livré, dit Joaquín Blesa. Nous l’avons baptisé « le kangourou». Nous l’utilisions –avec l’uniforme réglementaire et armés– Manolo Ros, Mariño, Rosalench, García et votre serviteur. Notre tâche consistait à coller aux blindés de la section que commandait Campos et dont l’adjudant –Bullosa– était catalan. Quand la section se déployait, nous commencions alors le ramassage de matériel. Nous avions des grands sacs en toile de bâche et nous y mettions les pistolets, les mitraillettes, les grenades, les fusils mitrailleurs et même des mitrailleuses… Nous les attachions bien fort et les mettions au fond de la caisse du blindé. Et, pour éviter des surprises, nous dormions toujours dans le véhicule blindé, sur les sacs. Et le chef de la compagnie des Munitions –Antonio B. Clarasó, natif de Reus– nous avertissait du passage des camions, qui allaient vers l’arrière-garde chercher du matériel.
Comme beaucoup de conducteurs de véhicules étaient aussi espagnols, l’expédition des sacs vers Paris s’est toujours effectuée dans de bonnes conditions. Parfois, nous cachions les grands sacs dans des maisons à moitié démolies, au bord de la route et nos compagnons –il y en avait toujours deux dans le camion de la récupération– les prenaient au passage. Ce « va et vient » a duré environ huit semaines. Jusqu’à ce que Bullosa meurt dans un combat, auquel nous avons évidemment dû participer avec « Le kangourou ». Campos a considéré qu’il était très dangereux de continuer dans ces conditions, c’est la raison pour laquelle il nous donna des permissions –indéfinies– pour aller à Paris. Et il tira deux salves sur « Le kangourou» avec le canon de son blindé –« El Ebro »–, en lui donnant aussi une permission pour maladie.»

Dans le refuge d’Hitler, récit de Martín Bernal « Garcés »

Il y eu même des Espagnols parmi les premiers à atteindre la maison d’été d’Hitler. Martín Bernal « Garcés » raconte: « Je suis passé en France en août 39, après m’être échappé de la prison de Porta-Celi (Valence) [[a priori, il y a une prison Porta Coeli, mais dans le cas présent ce doit plutôt être l’hôpital Portaceli transformé en camp de concentration en 1939]] en compagnie de plusieurs “pays” aragonais. Au bout de huit semaines de marche de nuit et de sommeil de jour nous sommes arrivés en France. Là, j’ai été obligé de m’enrôler dans la Légion étrangère, quand les gendarmes français me conduisaient déjà à la frontière –au Sénégal– et ensuite j’ai participé à la campagne de Tunisie, où j’ai été blessé le 9 mai 1943. J’ai été un de ceux qui ont appliqué le « transfert spontané », en rejoignant les Espagnols de la Division Leclerc. Avec Federico Moreno, nous étions sous-chefs de section d’abord et de section plus tard. J’ai été encore blessé en Alsace. En avril 1945, nous avons traversé le Rhin et l’invasion de l’Allemagne a commencé. Ma section a été une de celles qui ont participé à la dernière plaisanterie de Leclerc, en nous séparant d’abord du gros de la colonne, en prenant ensuite un « itinéraire très libre » fixé par lui, pour arriver presque les premiers à Berchtesgaden, la résidence d’été du Führer Adolphe Hitler. Et je dis presque parce que, avec la section de Moreno, nous sommes tombés sur des canons allemands de 88 dans le défilé d’Inzell, très près de notre objectif final. Et tant que nous ne les avons pas détruits, nous n’avons pas pu reprendre notre marche. Ainsi, en entrant dans cette ville tyrolienne, on voyait déjà dans les rues des blindés de la 2 D B, qui étaient passés par en haut ou … au milieu, c’était un peu pareil à la marche sur Paris. On ne pouvait pas ignorer que Leclerc était de l’arme de la Cavalerie!
Non, je n’ai pas été parmi les premiers à monter au Nid d’aigle d’Hitler. La section qui a accompagné le capitaine Touyéres, debout dans sa jeep, comme un chevalier du Moyen âge dressé sur sa monture, a été la 1ère, celle que Moreno commandait. Nous, –la 2ème– nous sommes montés derrière eux, en service de protection. Mais j’ai été, pour sûr, un des premiers Espagnol à entrer dans le Berghof d’Hitler. Et j’ai ressenti, je l’avoue, un grand soulagement. C’était comme si, subitement, nous nous étions lavés de tous les affronts que nous, les républicains espagnols, avions subis depuis 1936 ».

« Face à l’Espagne »

Avec la libération de la France (août-septembre 1944) la réorganisation des forces espagnoles de guérilla –environ onze mille hommes armés– s’opère avec leur concentration dans les départements proches de la frontière franco-espagnole. La réapparition publique des principales organisations politiques espagnoles de l’exil –républicaines, socialistes et libertaires– et la diffusion de leurs consignes, instructions, et dans certains cas d’ultimatums, provoque le fractionnement de l’initiative communiste « Face à l’Espagne ». Et lorsque ce qu’on appelle l’invasion du Val d’Aran se produit à l’automne 1944, les détachements de guérilleros qui y participent, en comptant un gros millier de jeunes récemment enrôlés, n’atteint pas les cinq mille hommes.
Avec les communistes, qui forment le gros des expéditions de guérilla à travers les Pyrénées, on a, cependant, la collaboration de socialistes partisans de Negrín et d’Álvarez del Vayo, ainsi que celle d’un groupe de libertaires, connus sous le nom de « Groupement cénétiste de l’Union nationale ». Quelques mois plus tard, avec la fin de la Seconde Guerre mondiale (mai 1945), les exilés républicains espagnols sont confrontés à une série d’options qui allaient du retour en Espagne (« Les exilés pourront réintégrer leurs foyers, sans subir aucune sorte d’ennui », pouvait-on lire, à travers les notes officielles, dans la presse franquiste), à l’émigration vers des pays d’Amérique latine, en passant par l’installation dans des pays européens, et tout particulièrement en France. Encore que, dans ce dernier l’aménagement continue à être provisoire, puisque ce qu’on appelle l’offensive diplomatique contre le régime franquiste a été mis en marche, dans le cadre des Nations Unies. Et, aussi bien le gouvernement en exil que préside le républicain José Giral, que l’immense majorité des partis et des organisations de gauche espagnols, attendent l’écroulement du régime instauré par les vainqueurs de la guerre civile, au printemps 1939. Entre temps, et certains depuis le début du conflit –été 1936–, des milliers d’Espagnols et d’Espagnoles, encadrés dans des groupes de guérilleros, ou faisant partie de leurs forces auxiliaires, se battent sur le sol de l’Espagne –en Galice, aux Asturies, en Estrémadure, dans La Mancha, en Andalousie et en Aragon, en particulier–, sans que l’exil ne leur prête l’aide la plus minime.

Une folie

Malgré tout, les comportements étaient assez forts pour écarter tout renoncement. M. P. S « Chispita » déclare: « Non, l’enthousiasme n’a pas trop décliné parmi les expéditionnaires, lorsque les principales forces de l’exil ont désavoué l’invasion de guérilla dans les Pyrénées. N’oublie pas que nous venions de libérer la France. Bon, je veux dire que nous avions été les principaux libérateurs du Midi de la France. Et nous pensions que rien n’allait nous résister. Mais, dans le fond, il ne manquait pas ceux –et j’en faisais partie– qui craignaient qu’avec l’apparition des communistes comme force centrale de l’invasion, les possibilités de triomphe allait diminuer. C’est la vérité. Mais on a continué “ de l’avant”, car nous ne voyions pas d’autre chemin et dans bien des cas par solidarité envers nos compagnons d’armes des années difficiles (1941-1944). Rien qu’en pénétrant sur le territoire espagnol, nous nous sommes rendu compte que la “ tâche libératrice ” n’allait pas être aussi simple que beaucoup se l’imaginaient. Possiblement, si nous avions eu connaissance de l’existence de tant de groupes de guérilleros locaux, nous ne nous serions pas tant occupés de la zone frontière.
Une fois “installé” dans le Maestrazgo [massif de l’Aragon], comme tant d’autres de mes compagnons, je me suis vu obligé de faire le bilan de l’invasion du Val d’Aran et j’ai reconnu que cela avait été une folie. Le bon sens aurait été d’organiser, par palier, l’infiltration de petits groupes, et la prise de contact avec les guérillas locales, puis de passer aussitôt à la création de guérillas urbaines. Et comme je l’ai su par la suite, les anciens groupes auraient beaucoup apprécié l’arrivée de techniciens instructeurs et aussi la mise en marche d’une certaine coordination et non pas la militarisation absolue qu’on prétendait imposer. En effet, l’ambiance de misère et d’exploitation de cette époque favorisait la création de noyaux de résistance et de combat. Il faut se rappeler les usuriers des villages, les gens faisant du marché noir et tout l’appareil que les “ forces vives”, les “ forces vivifiantes” avaient élaboré pour désespérer le peuple. Ce qu’on ne pouvait pas faire, c’était de demander aux gens de se jeter ni plus ni moins dans la gueule du loup. Et c’est ainsi, comme tu le sais, que plusieurs années se sont écoulées en combattant dans ces montagnes, sans grande confiance dans le futur, parce qu’il a été bientôt évident que les puissances dites démocratiques, de même que pendant la guerre civile, n’étaient pas prêtes à mettre les bouchées doubles pour liquider les derniers vestiges du fascisme européen. »

half-track Guadalajara
half-track Guadalajara
half-track Espana Cani
half-track Espana Cani

Bilan des actions de l’association, août 2014

Les colloques

cola-02.jpg
22 août à la bourse du travail de Paris.
Thème : révolution, guère, exil des Républicains espagnols.
– La révolution sociale espagnole: Frank Mintz.
– L’exil des républicains espagnols : Geneviève Armand Dreyfus, Marie Rafaneau- Boj.
– Histoire d’un exil politique ou la lutte contre l’oubli : Claire Pallas.
– Les combattants espagnols dans la résistance espagnols et dans la libération de Paris : Véronique Salou, Evelyn Mesquida, Guillaume Goutte.

Exposition de peintures

porta-02.jpg
Portraits d’hommes de la Nueve peints par Juan Chica-Ventura

Environ 200 personnes ont suivi les interventions et participé aux débats.

Spectacle : La Nueve mise en espace par Armand Gatti

gattia-02.jpg
Des membres de l’association et des compagnons amis ont crée un spectacle à partir des témoignages recueillis par Evelyn Mesquida, dans son ouvrage les Républicains espagnols qui ont libérés Paris. Ainsi ont-ils portés les mots d’hommes de la Nueve.
Ce spectacle a été mis en scène par Jean Marc luneau et Armand Gatti. Stéphane Gatti a accompagné ce spectacle d’un montage d’images d’archives.
– Une première représentation s’est déroulée le 23 août à La Parole errante à Montreuil. 350 à 400 personnes ont assisté à ce spectacle.
– Une seconde représentation s’est déroulée au Cinéma la clé, le 6 septembre. Environ 230 personnes ont assisté au spectacle.
Une représentation se déroulera le 19 novembre 2014 au XXe théâtre à Paris.

La marche

marca-01.jpg
Le 24 août, jour de l’entrée des républicains espagnols à Paris, nous avons organisé une marche sur les pas des hommes de la Nueve.

Le long du parcours, il y avait des portraits des hommes de la Nueve et des drapeaux aux couleurs des principales forces politiques et syndicales qui composaient la Nueve, ainsi que des drapeaux aux couleurs des régions d’origine de ces hommes.

Il y a eu des prises de paroles d’officiels et de membres de l’association au départ de la marche, au square Hélène Boucher, à l’arrêt de certaines plaques, à l’arrivée de la marche, sur l’esplanade des Villes Compagnons de la Libération. Kader Arif, Secrétaire d’État aux Anciens Combattants et à la Mémoire ainsi qu’Anne Hidalgo, Maire de Paris, ont pris la parole soulignant l’engagement des Républicains espagnols, notamment des anarchistes au sein de la Nueve, dans la lutte contre le fascisme. Ils ont déploré l’abandon de La France envers ces mêmes antifascistes espagnols durant leur long combat contre le franquisme.

En outre, les « comédiens » de La Nueve mise en espace par Armand Gatti ont donné lecture d’extraits du spectacle.

Notons que nous avions fait venir le half-track, Guadalajara, de la place d’arme du Mont Valérien jusqu’à l’esplanade.
La marche a été un succès. Nous étions au moins 1500, certains venus d’Espagne et de Province.

Projections de Films

Révolution guerre et exil des républicains espagnols. Projection de documentaires sur la révolution sociale espagnole, l’exil, l’engagement dans la lutte contre le nazisme.
Cinéma la clé à Paris, le 5 septembre.
– Bajo EL Signo Libertario, sous le signe libertaire : la collectivisation dans le village de Pina de Ebro dans l’Aragon filmé par la CNT en 1936.
– Contes de l’exil ordinaire, film de Christian Marc et dont les entretiens ont été réalisés par Marie Louise Roubaud et René Grando: l’internement dans les camps du sud de la France des réfugiés républicains espagnols. Il met en relief leur participation à la Résistance française et à tous les combats pour la libération du territoire..
– La Nueve ou les oubliés de la victoire, film d’Alberto Marquardt : l’histoire de la Nueve. Sortis des camps français, des milliers de soldats espagnols se battent contre les troupes allemandes, sur tous les fronts. En Afrique, après des batailles contre Vichy et les divisions allemandes du général Rommel, une partie de ces milliers d’Espagnols est intégrée à la 2e division blindée (2e DB) du général Leclerc. Au sein de cette division, la 9e compagnie, la Nueve, commandée par le capitaine Dronne, est dans sa quasi totalité une compagnie d’Espagnols ; la langue de la compagnie est le castillan et une forte composante des hommes est anarchiste, antimilitariste… Pourtant la France « Libre » et les alliés vont les abandonner à leur exil laissant Franco régner par la terreur pendant 47 ans.

Ces projections étaient accompagnées d’une exposition de peintures des portraits d’hommes de la Nueve peints par Juan Chica-Ventura.
Il y avait environ 250 spectateurs.

Le prix Goncourt 2014 décerné à Lydie Salvayre, fille de l’exil espagnol

« Pas pleurer », murmurait Montse à sa petite Lunita, serrée contre sa poitrine, en tentant de rejoindre la frontière française lors de la « retirada ». La guerre civile, opposant nationalistes et républicains, se rapprochait dangereusement de Catalogne. Partie seule avec son bébé, la jeune femme laissait derrière elle son enfance, son pays, et surtout l’été radieux de 1936, où elle crut avec tant de ferveur à l’amour et aux lendemains qui chantent pour tous.

Au début du livre, Montserrat se met un jour à raconter cette histoire. Quasiment nonagénaire, elle est atteinte de graves troubles de mémoire et a tout oublié de sa vie, absolument tout, même la naissance de sa cadette Lydie, tout sauf ce merveilleux été 36 où des jeunes gens comme elles ont cru qu’un nouveau monde était possible. Alors elle raconte, et à une époque où le libéralisme a envoyé aux oubliettes les idéaux de la jeunesse de 36, une époque où l’idée même de lutte des classes prête à sourire, l’infinie nostalgie qui se dégage de ce récit terrible est chargée d’une émotion rare.

Lydie Arjona, alias Lydie Salvayre, est née en 1948 (l’année de la mort de Bernanos), dans le sud de la France, d’un couple de républicains espagnols en exil : mère catalane, père andalou. Avec « Pas pleurer », elle évoque pour la première fois, à 66 ans, son histoire familiale. Dans ce roman épique et puissant, elle entrelace les souvenirs révolutionnaires de sa mère, Montse, pendant la guerre d’Espagne, et la découverte par l’écrivain Georges Bernanos, fervent catholique, des exactions franquistes.

En contrepoints de l’histoire maternelle, Lydie Salvayre revient sur les massacres perpétrés par les franquistes, et sur l’engagement de Bernanos aux côtés des républicains. Il était passionnément français, catholique et monarchiste. Il avait même épousé la descendante d’un frère de Jeanne d’Arc et son fils avait revêtu l’uniforme bleu de la Phalange. On voit que rien n’inclinait l’auteur de « Sous le soleil de Satan » à soutenir le Frente popular et que tout l’incitait à s’engager en faveur des « nationaux ».

Mais voilà, en séjour à Majorque quand éclata, en juillet 1936, la guerre civile espagnole, Georges Bernanos fut choqué par la violence barbare et les rafles aveugles de l’armée franquiste, révolté par la complicité de l’Eglise avec les militaires putschistes et sa justification pieuse de la répression sanglante. Sous l’effet de la colère et de l’effroi, l’ancien camelot du roi écrivit « les Grands Cimetières sous la lune », un pamphlet, d’abord paru dans une revue de dominicains, qui lui valut d’être traité par ses amis de dangereux anarchiste et de voir sa tête mise à prix par le général Franco.

Montserrat Monclus Arjona, surnommée Montse, avait quinze ans en 1936. À sa fille, elle raconte les terreurs et les misères d’une enfance catalane dont celle-ci ne peut même pas avoir idée. Elle avait 15 ans. Elle appartenait à ceux que le clergé franquiste appelait « les mauvais pauvres », ceux qui « ouvrent leur gueule ».
Dans un savoureux mélange de français et d’espagnol, dans un « frañol » formidable (parfois hilarant), Montse raconte son été 36 : « Il faut que tu sais, ma chérie, qu’en une seule semaine j’avais aumenté mon patrimoine des mots : despotisme, domination, traitres capitalistes, hypocrésie bourgeoise, […] j’avais apprendi les noms de Bakounine et de Proudhon, les paroles de Hijos del Pueblo […]. Et moi qui était une noix blanche, pourquoi tu te ris ?, moi qui ne connaissais rien à rien, moi qui n’étais jamais entrée dans le café de Bendición par interdiction paterne, […] je suis devenue en une semaine une anarquiste de choc prête à abandonner ma famille sans le moindre remordiment et à piétiner sans pitié le corazón de mi mamá ».
Tout le talent de Lydie Salvayre est d’avoir su recréer le dynamisme et l’étonnante poésie de cette langue hybride, langue maternelle qui n’appartient qu’à la mère. On est subjugué par une telle prouesse d’écriture, même si d’autres textes l’ont précédée, et on se souvient en particulier du savoureux « Les Ritals » de François Cavanna.
Lydie Salvayre raconte l’arrivée, au village de ses parents, des idées révolutionnaires, et les chambardements qui s’en suivent. Car ces idées viennent percuter un monde immuablement rythmé par les saisons et les récoltes, régi par des principes ancestraux, « un village où les choses infiniment se répètent à l’identique, les riches dans leur faste, les pauvres dans leur faix », un monde « lent, lent, lent comme le pas des mules », un monde où les pères imposent leur autorité « à coup de ceinturon ».
Ces idées nouvelles bouleversent l’ordre établit depuis des siècles, transportent les cœurs des uns, terrorisent les autres. Le village en est complètement retourné, et la ferveur générale des premiers moments se mue progressivement en conflit ouvert. La romancière donne à voir toute la complexité de la guerre civile espagnole sur la scène de ce petit village perché sur les hauteurs de la Catalogne.

Dans de nombreux villages de l’arrière-pays catalan à l’existence réglée par le calendrier liturgique de l’Église catholique, des jeunes gens se sont mis à lire Proudhon, Marx et Bakounine. Les plus hardis d’entre eux ont rêvé de « supprimer l’argent, collectiviser les terres, partager le pain ».

En pleine guerre civile, certaines villes et certains villages, tombés aux mains des révolutionnaires, se déclarent communes libres et instaurent dans leurs murs un système collectiviste authentiquement libertaire où – entre autres expérimentations audacieuses – l’argent est aboli. Montserrat a vécu cette parenthèse libertaire, ce temps suspendu où les pauvres ont pu lever la tête, avant que la rébellion soit écrasée dans le sang par les Phalangistes et les militaires fascistes.
Montse, jeune et pauvre paysanne, vit avec exaltation la révolte libertaire qui secoue la terre espagnole et semble comme un face-à-face entre le bien et le mal. D’un côté, les grands propriétaires exploiteurs (don Jaume), les partisans de Franco, ivres de haine et de violence, l’Eglise catholique, sans une once de charité. De l’autre, les ouvriers et les paysans qui se battent pour leur dignité et leur liberté.
L’auteure évoque l’été 1936, « le plus beau, vif comme une blessure ». Celui où, emportée par la ferveur libertaire, elle quitte avec son fougueux frère Josep, le village familial. Avec son frère anarchiste, « un rouge » de la CNT, elle croit aux lendemains qui chantent et à la jeunesse du monde. Ils rejoignent à Barcelone les révolutionnaires venus de l’Europe entière pour soutenir le camp de ceux qui veulent changer le monde.

À Barcelone, elle rencontre un jeune français, il s’appelle André et écrit. Ils se connurent moins de vingt-quatre heures. Et ce fut aussi fort que toute une vie. Peu de choses ont compté pour Montse après cet été 1936, où elle avait rejoint le camp libertaire. Enceinte de ce bel amant français, qui partait au front aragonais, elle dut se résigner à épouser Diego, un notable communiste, pour ne pas laisser tout un village cancaner sur sa condition de fille-mère. Forcée de s’exiler, elle s’installa dans un pays, la France, où elle s’appliqua à métisser la langue, au grand dam de ses filles…
Les « questionnements » de Lydie Salvayre ont trait au silence des démocraties bourgeoises, aux rugissements inattendus du catholique et royaliste Bernanos, témoin horrifié du massacre des innocents à Palma de Majorque, et aux manœuvres équivoques des staliniens dans les lignes arrière du camp républicain. À travers le destin tragique de Josep, le frère de Montse, la romancière se souvient qu’une guerre au cœur de la guerre civile espagnole fut celle qui opposa les anarchistes de la CNT-FAI et les marxistes anti-staliniens du POUM aux commissaires politiques des Brigades internationales et du Komintern. Une histoire occultée « par les communistes espagnols, occultée par les intellectuels français, qui étaient presque tous à cette époque proches du PC ».

Ce livre est un très bel hommage à ces mères de l’exil – les nôtres – qui ont vécu dans la douleur l’arrachement à leur terre et à leur espoir. Car pour elles, chaque mot prononcé, chaque phrase construite, réclamaient un courage de tous les instants pour se confronter à une langue qui leur résistait, et parler tout de même. On lit « Pas pleurer » et on pleure : l’évocation de ce français encombré, malhabile et volubile, pour dire le regret d’une révolution enterrée et la dureté d’une vie de femme dans le siècle, constitue probablement un des textes les plus poignants que l’on ait écrit sur le « bref été de l’anarchie » et sur l’exil républicain espagnol.

« Pas pleurer » Lydie Salvayre (Seuil – 279 pages – 18,50 euros)

Daniel Pinós Barrieras

Photo : VB Annecy

pas_pleurer.jpg

German Arrue « On est arrivé par la Porte d’Italie »

On est arrivés sans grands problèmes jusqu’aux environs de Paris. Pendant qu’on affrontait les Allemands, dans les alentours, Leclerc est arrivé en demandant à joindre Dronne. Je suis allé le chercher et, une fois arrivé, le général lui a dit qu’il devait filer avec la compagnie vers Paris; il fallait arriver cette même nuit. Je n’avais jamais été à Paris.

On a atteint rapidement l’Hôtel de Ville et on s’est installés autour, face aux quais de la Seine et à tous les endroits stratégiques. Tout de suite, les maquisards de la Résistance sont arrivés; ils montaient avec nous, dans nos voitures, et nous dirigeaient là où se trouvaient les Allemands.


(- Interview réalisée par Evelyn Mesquida -)

Le jour suivant, tôt, on a nettoyé toute la zone, libéré la rue des Archives, où se trouvaient encore des forces allemandes, et on s’est dirigés ensuite vers la place de la République où se trouvait une caserne encore occupée par une grande quantité d’Allemands. Après des affrontements durs, on est repartis avec plus de 300 prisonniers.

Là, on a dû être très fermes, parce que beaucoup de civils qui les insultaient voulaient aussi leur prendre leurs bottes et leurs vêtements. On ne les a pas laissé faire: ça ne nous plaisait pas, ça n’était pas digne. Après toute la misère qu’on avait subie pour arriver jusque-là, et une fois que tous ces gens étaient libres, ils n’avaient pas à prendre les bottes des prisonniers. Nous, sur le front, oui: on leur enlevait montres, bagues, stylos à plume et des choses comme ça, avant de les refiler aux Américains, qui étaient très contents et nous donnaient beaucoup de choses en échange, parce qu’ils pouvaient dire qu’ils avaient fait eux- mêmes des prisonniers…
Un jour, contre une montre prise à un Allemand, les Américains m’ont donné un pistolet: un colt. À Paris, on donnait tous nos prisonniers aux maquisards et aux résistants. Ils les emmenaient…

German Arrue  » J’étais sur le Teruel « 

 » Nos blindés avaient reçu les noms des principales batailles de la guerre civile, comme Guernica, Guadalajara, Ebro, Madrid. Le mien était le Teruel. Nous y étions cinq.

Chaque Espagnol avait aussi un drapeau républicain espagnol. Il était en toile. Je crois que c’est Granell qui les avait obtenus. Il nous en avait déjà donné un autre pour combattre en Tunisie. Les uns le portaient au bras, les autres à l’épaule. D’autres le portaient sous la forme de petits insignes : en Angleterre, on nous prenait pour des aviateurs.

Quand un compagnon tombait, si on le pouvait, il était enterré avec son drapeau républicain. »


(Interview réalisée par Evelyn Mesquida )

German Arrue « Dans la 9ème compagnie, nous nous commandions nous-mêmes »

Dans de la Nueve, les anarchistes sont nombreux. Comme tous les républicains vaincus, ils concevaient ce combat comme la continuité de celui entamé en Espagne et espéraient – comme on leur avait promis – qu’il se poursuivrait, avec l’aide des alliés, contre la dictature de Franco.

Au combat, comme l’évoque German Arrue, «  ils se commandaient eux-mêmes « . « Ancien » de Teruel, il rejoint la 2è DB, participe à la Libération de Paris avec la Nueve, et avec eux, escorta le général de Gaulle le 26 août sur les Champs-Élysées.

« On nous avait mis là parce que je crois qu’ils avaient plus confiance en nous, comme troupe de choc, qu’en d’autres… Il fallait voir comme les gens criaient et applaudissaient! Au début du défilé, on a vu une grande banderole républicaine espagnole, longue de 20 ou 30 mètres, portée par un important groupe d’Espagnols qui n’arrêtaient pas de nous acclamer. Peu après, quelqu’un leur a fait retirer cette banderole.« 


( Interview réalisée par Evelyn Mesquida )

Lire le portrait de German Arrue

Témoignage du général Roquejeoffre

En 1993, quittant le service actif[[Fils de médecin, il entre à l’école militaire de Saint-Cyr en 1952. Il sert ensuite dans le génie parachutiste en Algérie. Il a été chef de corps du 17è Régiment du génie parachutiste à Montauban (Tarn-et-Garonne) de 1978 à 1980. Il a participé à plusieurs missions militaires à l’étranger : Liban, Tchad, Cambodge…]], je me retire à Pamiers (Ariège).

A l’époque, je ne connaissais aucun des faits d’armes de la Nueve, ni même ce nom. Voila comment, par épisodes successifs, j’ai découvert l’épopée de cette Compagnie.

Très intéressé par l’histoire locale, je complète mes connaissances sur les événements qui se sont déroulés en Ariège, de 1939 à 1944. Je savais qu’à proximité de Pamiers existait, au Vernet-dAriège, un camp d’internement où avaient été enfermés des républicains espagnols lors de la Retirada de février 1939. Je me documente sur le sort de ces internés, dont le nombre avait atteint 15000 à l’été 1939, pour décroitre a 200 en septembre de la même année. Que sont devenus les autres? Autour de 60 sont décédés pendant le terrible hiver 1939, d’autres ont rejoint l’Espagne ou le Mexique, certains se sont engagés dans la Légion étrangère, mais la plupart se sont enrôlés dans les compagnies de travailleurs étrangers (CTE), affectées dans les montagnes ariégeoises à des travaux forestiers.
Ces Espagnols constituèrent le noyau initial des maquis de guérilleros.
Les guérilleros ne m’étaient pas inconnus. Ils avaient participé aux combats de la libération de l’Ariège en 1944, qui se termina par la bataille de Castelnau Durban et la reddition de 1500 Allemands à 500 guérilleros et FTP (francs-tireurs et partisans). Je prends contact avec José Alonso, dit « commandant Robert », chef état-major de la 3e brigade de guérilleros, qui me renseigne longuement sur l’engagement de ses hommes dans la lutte contre les Allemands et la milice, de 1942 à 1944.
Or, en octobre 2002, dans le cadre de cérémonies marquant en France le 60e anniversaire des événements de 1942, une plaque est apposée au col de Py, là où fut créée en Ariège la 3e brigade de guérilleros. Le commandant Robert rappelant ce fait, le préfet me demande, en tant que membre du haut Conseil de la mémoire combattante, de développer plus largement l’engagement des Espagnols dans la libération de la France. Un livre attire mon attention: L’Exil des républicains espagnols en France, de Geneviève Dreyfus-Armand. Dans cet ouvrage, je trouve mentionnée l’existence de la Nueve. J’apprends que les premiers véhicules blindés qui sont entrés dans Paris, dans la nuit du 24 aout 1944, et ont atteint l’Hôtel de Ville sont ceux de cette Compagnie. Et tous les équipages de ces half-tracks sont espagnols.
C’est ainsi qu’à travers les internés du camp du Vernet, les bucherons des CTE, les guérilleros de la 3e brigade, je découvre cette Nueve. J’ignorais totalement le rôle qu’avaient joué les Espagnols de cette compagnie dans la libération de Paris. Je décide donc d’approfondir leur histoire.

Je réunis une documentation, parmi laquelle les extraits de Carnets de route d’un croisé de la France libre et La Libération de Paris, par Raymond Dronne, un article de El Pais de décembre 1981, un numéro spécial de Tiempo de Historia, et surtout un long article: « La Nueve, los Españoles que liberaron París », paru dans Tiempo en 1998, signé d’Evelyn Mesquida. C’est la première fois que je voyais le nom de cette journaliste.
Ces lectures me font mieux connaitre les soldats de la Nueve. Ces Espagnols avaient combattu pendant trois ans pour rétablir la République dans leur pays.
Présents en Afrique du Nord, ils avaient repris les armes aux cotés des Français. Ils n’étaient pas obligés de le faire, mais ils avaient la volonté de continuer la lutte contre le nazisme. C’étaient des fantassins entrainés, aguerris par leur participation à la guerre d’Espagne. Pas faciles à commander, mais, dès qu’ils avaient confiance en leur chef, ils obéissaient sans hésitation. Ils me rappellent les légionnaires que j’ai connus dans ma carrière. Des hommes comme eux, on les prend sans hésiter comme soldats.
Parmi toute cette documentation, je ne trouve sur ce sujet aucun texte d’un auteur militaire. C’est pourquoi, en 2004, pour le 60e anniversaire de la libération de Paris, je décide d’écrire un article pour sortir de l’oubli le combat de ces frères d’armes. Il parait en août dans un hebdomadaire [[Le Nouvel Observateur, 19-26 août 2004]].

Parmi le courrier que je reçois à la suite de cet article, il y a une lettre d’Evelyn Mesquida, correspondante a Paris du magazine Tiempo, dont voici des extraits: « Depuis quelque temps, je travaille sur […] la Nueve. J’ai lu avec plaisir l’article que vous avez écrit dans Le Nouvel Observateur du mois d’août dernier. C’était la première fois que j’entendais un militaire français parler si simplement et si clairement du rôle joué par ces républicains espagnols, et je voudrais vous remercier. » Elle termine en souhaitant me rencontrer. Nous nous sommes vus à Paris en janvier 2005.

Cette première rencontre est le début de nombreux contacts, de conversations téléphoniques, de séjours dans l’Ariège pendant lesquels je découvre la personnalité très attachante d’Evelyn, qui devient une amie.
Journaliste et écrivaine, elle a été correspondante à Paris pendant trente ans (1977-2007) du groupe espagnol de presse Zeta, rédactrice dans plusieurs de ses magazines et, notamment, dans l’hebdomadaire Tiempo. En 1992 et 1993, elle fut présidente de l’Association de la presse étrangère a Paris.
Depuis plus de dix ans, elle fait des recherches sur l’histoire de la Nueve. Elle est devenue historienne en compulsant de multiples archives, aussi bien en France qu’en Espagne, en lisant de nombreux ouvrages, dont certains abordaient des sujets plus globaux, nécessaires pour bien comprendre cette période où furent impliqués les républicains espagnols. Elle a appliqué sa formation de journaliste à la quête minutieuse des événements qu’ont vécus les hommes de la Nueve, de la guerre d’Espagne à la prise du repaire d’Hitler à Berchtesgaden, en passant par la libération de Paris. Elle s’est attachée à recueillir les souvenirs des acteurs ou de leurs descendants et à garder le contact avec les survivants.

C’est tout ce travail qu’Evelyn Mesquida a regroupé dans son livre La Nueve. Elle y raconte l’épopée de cette Compagnie, tout en faisant ressortir la personnalité de deux hommes qui ont joué un rôle majeur dans cette histoire: le commandant joseph Putz, ancien Volontaire en 1914-1918, ancien des Brigades internationales, ancien des corps francs d’Afrique, nommé chef du 3e bataillon du RMT; une figure passionnante, qui incarne à lui seul la légende de la Nueve; le capitaine Raymond Dronne, qui avait rejoint Leclerc à Douala et participa aux combats du Fezzan, de Lybie et de Tunisie. C’est à lui que le général Leclerc confia les Espagnols pour constituer sa 9e Compagnie, car « il avait senti que ces hommes ne pouvaient être commandés que par quelqu’un qui avait l’aura d’être un Français libre des premiers temps [[* Carnets de route d’un croisé de la France libre, Raymond Dronne, Editions France-Empire, Paris, 1984]]». La 9e Compagnie devint alors la « Nueve », et ces Espagnols appelèrent le capitaine Dronne « El capitan ».

La seconde partie de l’ouvrage est plus originale :
Evelyn Mesquida laisse la parole à une dizaine de soldats pour qu’ils racontent ce quils ont vécu, chacun suivant son expérience, et en toute liberté. Ces témoignages sont passionnants parce qu’exprimés très simplement par des hommes de troupe. En 2011, ils ne sont plus que deux survivants: Rafael Gomez, conducteur du half-track Guenica, et Luis Royo Ibanez, conducteur du half-track Madrid.

Il faut remercier Evelyn Mesquida d’avoir fait traduire son livre dans notre langue. Ainsi, il fera connaitre aux Français les faits d’armes de ces soldats espagnols qui ont participé, « par le sang versé », à la libération de la France et au rétablissement de la paix en Europe.
Leurs actions glorieuses rejoignent celles d’autres Espagnols exilés en France: guérilleros du Sud-Ouest, passeurs des Pyrénées, résistants de la MOI (main-d’œuvre immigrée) et des différents réseaux, maquisards des Glières et du Vercors, légionnaires de la 13 DBLE à Narvik et à Bir Hakeim et des régiments de volontaires étrangers en 1940, soldats des bataillons « Guernica» et « Libertad» dans la poche de Royan en 1944, membres des CTE de la ligne Maginot, déportés et morts a Mauthausen parce que républicains espagnols.

Il ne faut surtout pas les oublier, car eux aussi, par leur engagement, leurs blessures au combat, le sacrifice de leur vie, ont participé, bien qu’étrangers, à cette victoire contre les nazis. Leur histoire, sous forme de recueil de témoignages, reste à écrire. Par respect pour ces hommes et ces femmes, venus d’Espagne, elle doit l’être. Nous avons le devoir aujourd’hui de transmettre aux jeunes générations ce que furent leur vie, leur action, leur mort. Leur apprendre qu’ils défendaient des valeurs universelles sans lesquelles nous ne pourrions pas maintenant vivre en paix. Et, surtout, leur dire qu’eux, les jeunes, à leur tour, doivent lutter pour que ces événements de 1939-1945 ne recommencent pas.
Evelyn Mesquida est toute désignée pour écrire cette suite à La Nueve.

Général Michel ROQUEJEOFFRE

La journée du 24 Août 1944 racontée par le Capitaine Dronne

_ Le capitaine Dronne des Forces Françaises Libres, fut le premier officier français à entrer dans Paris encore occupé par les Allemands, a la tête de la 9è compagnie du IIIe régiment de marche du Tchad, composé de volontaires étrangers, surtout espagnols qui s’étaient engagés en Afrique du Nord, et qui furent d’extraordinaires combattants. C’est le récit de leur ruée vers Paris que fait ici l’ancien capitaine de cette unité, devenu depuis député de la Sarthe
lozano-2.jpg

La ruée vers Paris

La libération de Paris ! Quinze années sont déjà passées. Les souvenirs sont devenus lointains. Les heures qu’on croyait inoubliables s’oublient, comme le reste. Pourtant, en fouillant dans les vieux tiroirs de la mémoire, les souvenirs reviennent. L’un appelle l’autre, puis ils jaillissent, se bousculant. Certains détails apparaissent, avec une netteté singulière. Et je puis reclasser et ordonner ces souvenirs sur quelques points de repère : les brèves notes de mon très réglementaire journal de marche.

Nous avancions, aveugles, muets et sourds

Je me souviens tout particulièrement de la nuit du 23 au 24 août. Nous avions quitté le matin du 23 la région d’Ecouché. En un jour, en une étape, la division avait bondi de la Normandie au delà de Chartres ; le soir, elle avançait vers les lisières de Paris en prenant ses dispositions de combat. L’orage et la pluie, une pluie diluvienne, s’abattirent sur nous dans la nuit, pendant des heures et des heures. Nous ne voyions rien, nous avions peine à distinguer les routes et les chemins. Le silence radio, qui nous était imposé pour ne pas trahir notre avance, nous empêchait de tenir nos liaisons. Impossible d’ouvrir et de lire les cartes. Nous avancions, aveugles, muets et sourds. Je me suis arrêté au milieu de la nuit, dans une chaume détrempée. Nous étions quelque part du coté de Limours, nous ne savions exactement où. Je n’avais jamais vu une telle pagaille. Des véhicules de toutes les unités s’étaient égarés et avaient suivi des colonnes qui n’étaient point les leurs Je passai le reste de la nuit a trier et à regrouper les miens.

Accrochage et kermesse dans la banlieue parisienne

À l’aube du 24, la compagnie était rassemblée au complet, à la seule exception d’un half-track qui avait perdu une chenille. Les pleins d’essence étaient faits, les armes nettoyées et fin prêtes. Un beau soleil d’été séchait nos vêtements. Le sous-groupement Putz, dont je fais partie, démarre au petit matin. Nous traversons Arpajon et Monthléry, à Longjumeau, la colonne se heurte, vers huit heures, aux premières résistances allemandes. Je reçois la mission de manœuvrer par la droite de notre axe et de nettoyer le village de Boulainvilliers. Avec une section de chars du 501 et la section de half-tracks du sous-lieutenant Elias, nous menons l’opération entre dix et onze heures. Nous avons quelques brefs accrochages avec des éléments d’infanterie allemands qui ne tiennent pas longtemps. L’opération se solde avec un seul blessé, mais très gravement atteint, le pauvre Vega fera des mois et des mois d’hôpital. Les deux autres sections de la « neuf », aux ordres du lieutenant Granell [[Amado Granell (1898-1972) Valencien, ancien du Tercio (légion étrangère espagnole) où il s’était engagé, mineur sans le consentement de ses parents et en sorti Sergent en 1922. Il s’installe à Alicante avec un magasin de cycle à louer et participe au mouvement syndical ouvrier avec ferveur. il prend une part active à la guerre civile dans le bataillon Levante, puis De Hierro où il est nommé capitaine. Il est commandant en décembre 1938 de la 49e brigade mixte. Le 28 mars 1939, il s’embarque sur le Stanbrook, dernier navire marchand anglais à quitter le port d’Alicante avant l’arrivée des nationaux de Franco. Il rejoint Oran avec juste son fusil mitrailleur. Il est mis comme beaucoup dans un camp disciplinaire (camp de concentration français) puis en décembre 1942, il intègre les Corps Francs d’Afrique, après le débarquement allié en Méditerranée. Durant la campagne de Tunisie, il rencontre le commandant Putz qui lui offrira l’occasion de passer dans la 2e DB sous le commandement du général Leclerc. Il est nommé adjoint du capitaine Dronne et est indiscutablement un des meilleurs officiers de la Nueve. Il s’illustre à : Écouché, Paris où il se trouve dans la colonne qui entre dans la ville en avant garde de la 2e DB, le 24 août 1944. Décoré de la légion d’honneur par le Général Leclerc, ce dernier prononcera ces mots en guise de félicitations : « S’il est vrai que Napoléon a créé la Légion d’honneur pour récompenser les braves, personne ne la mérite plus que vous. »
Il poursuit le combat : Andelot, Remoncourt, Châtel-sur-Moselle, Vaxancourt, Vacqueville, Strasbourg… Il s’illustre avec son unité à Badenvilliers où ils délogent l’ennemi très supérieur en nombre. Mais déçu des intrigues politiciennes pour ramener l’ordre militaire traditionnel et écarter les vrais combattants, très affecté de la perte des compagnons de route, il décide de cesser son combat en parvenant sur les rives du Rhin. Le 28 novembre 1944 Dronne dira : « Avec Granell s’en va une partie de l’âme de la Nueve. » ]], procèdent au nettoyage à l’entrée de Longjumeau. Les Allemands s’accrochent. Il faut les tuer dans leurs trous. Granell ramasse une quarantaine de prisonniers, qui donnent des renseignements intéressants. Les Allemands, une fois captures, sont étrangement bavards.

Vers midi, je regroupe toute la 9e compagnie devant Antony où des résistances se révèlent. La section du sous-lieutenant Montoya [[Vicente Montoya, ancien officier carabinier de l’armée républicaine. Il eut des petits conflit avec ses hommes mais son attitude courageuse et responsable au combat renforça la confiance et le respect de son équipe. Croix de guerre avec étoile d’argent pour son courage lors de la campagne de Normandie. Sous-lieutenant dans la Nueve, il fut un des rares à suivre le Général Leclerc en Indochine. (La Nueve, 24 août 1944, E. Mesquida)]] est lancée en pointe ; Montoya est légèrement blessé par éclats d’obus.

Je lance la section Campos sur la droite, avec mission de nettoyage. Elle enlève une batterie de quatre mitrailleuses lourdes de 200 mm et plusieurs emplacements de mitrailleuses légères. Elle tue pas mal d’Allemands dans leurs trous et en capture vingt-cinq. Nous avons un tué, un engagé tout récent d’origine arménienne, Ernest Hernozian, qui s’est révélé un combattant dune audace extraordinaire.
La section du lieutenant Elias procède au nettoyage le long de l’axe, entre Montoya et Campos. Nous vivons une étrange journée, une journée a la fois de combats et de kermesse. Les combats consistent en réalité en une série de petits accrochages successifs, parfois violents, mais de courte durée. Il ne s’agit pas d’une vraie bataille, comme celle de Normandie ou comme celles que nous mènerons plus tard en Lorraine et en Alsace.

Une foule dense d’hommes, d’enfants, de vieillards, de femmes surtout, se précipite sur nos voitures, les entoure, gave les équipages de bouteilles, de victuailles, les embrasse, chante, danse. Soudain un obus éclate, une rafale fait courber les têtes. La foule s’écarte, fuit, se terre, rentre chez elle. L’accrochage est a peine terminé qu’elle revient.

Vers seize heures, je reçois du commandant Putz[[Putz, Joseph (1895-1945). Officier supérieur au renom de légende, Compagnon de la Libération. Il s’engage à 17 ans dans l’armée. et s’illustre au cours de la Première Guerre mondiale. En 1936, il s’enrôle dans les rangs de l’armée de la République espagnole, il se distingue à Bilbao où il sera nommé commandant de corps d’armée des Républicains. En 1940, à l’armistice, il s’enfuit dans le sud marocain pour participer à la résistance, où il met sur pied le bataillon des Corps Francs d’Afrique qui s’illustre à Bizerte. Nommé colonel, Putz va jouer un rôle de premier plan dans le recrutement des Espagnols dans l’armée Leclerc. Héros de la Première Guerre mondiale, ancien des Brigades internationales et issu des rangs de commandement de l’armée républicaine espagnole, il jouit d’une très grande popularité auprès des combattants espagnols de la 2e DB. Il aurait inspiré Hemingway pour son livre Pour qui sonne le glas. Il intègre les Corps Francs d’Afrique et plus tard le 3e Bataillon de Marche du Tchad de la 2e DB, appelé aussi « le bataillon espagnol », qui comprenait les 9e, 10e et 11e compagnies. Il est tué à Grussenheim, pendant la bataille d’Alsace, en janvier 1945.]] la mission de déborder les résistances ennemies par la droite. Je récupère les sections Elias et Campos, je laisse la section Montoya, qui est clouée au sol en Pointe, sur l’axe principal.

Nous progressons sans grandes difficultés. Nous passons à Wissous et au large de la prison de Fresnes, devant laquelle le sous-lieutenant Warabiot est stoppé.

J’ai le sentiment que la route de Paris est grande ouverte et qu’il n’y a qu’à foncer. Nous recevons bien quelques rafales et quelques obus. Mais les coups sont rares et imprécis.

À ce moment, je reçois par radio l’ordre de mon sous-groupement de me rabattre sur l’axe, à 600 mètres au sud du Carrefour de la Croix-de-Berny, qui est solidement tenu par les Allemands. Cet ordre est stupide. Pourquoi se rabattre sur un axe déjà encombré ? À la rigueur, je pourrais valablement me rabattre au-delà de la Croix-de-Berny, pour prendre la résistance a revers. L’ordre est répété ; je formule mes objections. L’ordre est maintenu, impératif.

L’imprévu : la rencontre avec le général Leclerc

À regret, mécontent, en colère, je me rabats sur l’axe à l’endroit prescrit. Je tombe pile sur le général Leclerc. Il est exactement 19 h 30. Le général tape nerveusement de la canne. C’est un signe qui ne trompe pas : le général n’est pas satisfait. Je n’ai pas noté aussitôt les termes exacts de notre brève conversation. Mais j’en ai gardé le sens.
Leclerc m’apostropha : « Dronne, qu’est-ce que vous faites là ?  » Et il me reprocha de m’être rabattu sur l’axe.

Je lui répondis que j’exécutais un ordre, que je l’exécutais la mort dans l’âme, mais que je l’exécutais quand même. Je précisais que j’avais le sentiment que le chemin de Paris était ouvert et qu’on pouvait y entrer le soir même, à condition de ne pas se laisser hypnotiser par les nœuds de résistance qu’on pouvait rencontrer.

Après une réflexion sur l’inopportunité qu’il y a à exécuter les ordres idiots, le général Leclerc me dit : « Allez, filez sur Paris, passez n’importe où, mais entrez à Paris ce soir, il le faut pour le moral de la population et de la résistance ». Je pris immédiatement les éléments de ma compagnie que j’avais sous la main : les sections Elias et Campos, la section de commandement et l’élément de dépannage. Le général Leclerc me fit donner en renfort une section de chars du 501 réduite a trois chars (elle venait d’en perdre deux) et une section du génie qui se trouvaient a proximité. La section du génie était commandée par l’adjudant-chef Cancel et la section de chars – avec les chars « Montmirail », « Champaubert » et « Romilly »- par un garçon de grande classe, « père blanc dans le civil », le lieutenant Michard, qui devait être tué quelques mois plus tard en Alsace.

À toute vitesse

half.jpg
La colonne, improvisée rapidement démarre alors qu’il n’est pas 20 heures. Nous contournons la prison de Fresnes, devant laquelle mon camarade Dupont va être mortellement blessé. Officier d’active d’une grande valeur technique, d’une valeur morale plus grande encore, possédant des dons extraordinaires de rayonnement et d’ascendant, le capitaine Dupont était un des espoirs de l’armée française.

À toute vitesse, passant là où nous trouvons le vide, nous traversons L’Hay-les-Roses, Arcueil, Cachan, Le Kremlin-Bicêtre, Bagneux. Partout la population se précipite sur notre route et nous fait un accueil enthousiaste. Pour nous autres, Français Libres, que la France officielle de Vichy avait condamnés, cette réception du peuple de Paris était à la fois notre récompense et notre justification. Nous ne voulions pas le montrer, mais nous étions émus jusqu’aux larmes.

Nous avions emmené avec nous un volontaire, un habitant d’Antony, M. Chevallier, qui connaissait bien les labyrinthes compliqués que constituent les rues de la banlieue de Paris. Il fut un guide précieux. De gros arbres avaient été abattus en travers de certaines rues. Les gens, par dizaines, par centaines, s’accrochaient aux troncs et aux branches, déplaçaient les arbres et nous ouvraient la route. À 20 h, 45, nous arrivions à la Porte d’Italie.

« Les français: ce sont les français ! »

La foule nous considéra avec étonnement. Quelques cris fusèrent « Les Allemands, les blindés allemands ! » La foule, inquiète, reflua et commença à se disperser et a fuir. Puis d’autres cris se firent entendre « Les Américains, ce sont les Américain ! » La foule suspendit sa retraite et, prudemment, commença à s’avancer pour voir de plus près ces véhicules et ces uniformes étranges quelle ne connaissait pas.

Ma jeep était passée en tête de colonne. Le chauffeur portait un casque américain. J’avais mis mon képi noir de la « Coloniale », vieux képi d’Alexandrie à la visière cassée, bien fatigué de tant de voyages. Est-ce la vue de ce képi qui nous fit reconnaitre ? Tout d’un coup la foule hurla « Les Français, ce sont les Français » Elle se précipita sur nous, nous entoura, nous pressa ; une Alsacienne dans son magnifique costume régional,[[ il s’agit de Jeanne Borchert]], sauta sur ma jeep et s’assit d’autorité sur le capot. Elle cassa la glace du pare-brise replié. Le pauvre pare-brise devait être réduit en miettes le lendemain sur la place de l’Hôtel de Ville par la foule qui grimpait partout pour apercevoir le général de Gaulle.
Nous eûmes grand-peine à nous tirer des bras de tous ces braves gens. Il ne fallait pas nous laisser attarder. Où aller ? Pas d’hésitation : au Cœur de Paris, à l’Hôtel de Ville, symbole des libertés parisiennes, de façon, dès ce soir, à bien « marquer le coup ». Un nouveau guide [[Il s’agit de Lorenian Dikran, Arménien de Paris et commerçant crémier-fromager, dans le 13e arrondissement. Enfourchant une motocyclette et précédant crânement la colonne commandée par le capitaine Dronne, il guida ce dernier de la Porte d’Italie à la Place de l’Hôtel de Ville, en contournant les chicanes et les résistances allemandes. (anciens-combattants-armeniens.org)]], a motocyclette, nous y mena par l’avenue d’Italie, la rue de la Vistule, la rue Baudricourt, la rue Nationale, la rue Esquirol, le boulevard de l’Hôpital, le pont d’Austerlitz, le quai de la Rapée, le quai Henri IV, le quai des Célestins, le quai de l’Hôtel de Ville. J’ai noté l’heure. Il était exactement 21 heures 22 – à l’heure allemande – lorsque nous débouchâmes sur la place de l’Hôtel de Ville. Le jour se mourait.

Toutes les cloches de Paris se mirent à sonner

Ce fut la frénésie. Nous avions traversé la moitié de Paris. Un Paris de révolution et de barricades, dans un enthousiasme indescriptible, sans apercevoir un Allemand. D’ailleurs, notre mission n’était pas de les apercevoir, elle était au contraire de les éviter, d’apporter le réconfort de notre présence symbolique, annonciatrice de la grande offensive du lendemain. À notre passage, la « Marseillaise » jaillissait, une « Marseillaise » formidable. Nous avions l’impression quelle couvrait la ville. Tout d’un coup, les cloches de Paris se mirent a sonner. Toutes les cloches de Paris, les unes après les autres, puis toutes ensemble. J’entends encore leur musique toutes les fois que j’y pense.

Jamais soldats ne furent tant fêtés et tant embrassés.

Je donnai mes ordres, rapidement, avec peine, dans cette foule délirante. Il fallait garder la tête froide et prendre les dispositions en cas d’une riposte éventuelle.
J’ai rarement dans ma vie été aussi heureux. Rarement aussi j’ai éprouvé autant d’appréhension, « Il est si facile, me disais-je, sinon de détruire Paris, du moins d’y causer de graves dommages jusqu’à demain. Il suffirait de lancer sur des ilots successifs quelques obus au phosphore, de couper l’eau et d’interdire avec quelques rafales l’intervention des sauveteurs. Demain, Paris pouvait être en flammes. »

Georges Bidault me reçoit à l’hôtel de ville

Je montai à l’Hôtel de Ville. Dans le grand salon du premier étage, tout illuminé, fenêtres ouvertes sur la place, un petit homme très ému m’ouvrit les bras. Il s’appelait Georges Bidault[[Bidault Georges (1899-1983).
Né le 5 octobre 1899 à Moulins (Allier), il milite à l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF). Avec Francisque Gay il fonde le périodique démocrate-chrétien L’Aube dont il est éditorialiste et dénonce les ligues d’extrême-droite, les dictatures et l’antisémitisme. Prisonnier, libéré en juillet 1941, il rejoint la zone sud et le mouvement Combat. Il succède en 1943 à Jean Moulin à la tête du Conseil national de la résistance, et accueille, à ce titre, à Paris le 25 août 1944 de Gaulle dont il devient le ministre des Affaires étrangères. L’un des fondateurs du MRP, il en est président en 1949. Député de la Loire, il est plusieurs fois ministre des Affaires étrangères et président du Conseil (46 et 50). Partisan du maintien de l’empire colonial dans le cadre de l’Union française, il soutient de Gaulle dès le 13 mai 1958 et rompt avec le MRP. Après le discours sur l’autodétermination de l’Algérie, il succède en 1962 à Salan à la tête de l’OAS. Son immunité parlementaire levée, il s’exile en 1962, jusqu’à son amnistie en 1968. Il fonde le mouvement Justice et Liberté qu’il quitte en 1972, en raison de sa majorité néo-fasciste. Il meurt le 27 janvier 1983.]]. Il y avait là tout l’état-major de la résistance intérieure parisienne. Tout de suite, d’emblée, instinctivement, les hommes de l’action clandestine en France et les soldats en uniforme venus de l’extérieur se sentaient d’accord sur un grand idéal commun. Ils n’avaient pas besoin de parler pour se comprendre. Soudain, dans ce grand salon bondé de lumières, de gens et d’enthousiasme, des balles sifflèrent. De loin, une mitrailleuse allemande tirait ses rafales à travers les fenêtres grandes ouvertes. Un lustre vola en éclats. On chercha à éteindre les lumières mais on ne trouva pas les interrupteurs. Ces rafales furent bénéfiques. Elles freinèrent les manifestations d’enthousiasme et rappelèrent tout le monde à la réalité des choses : les Allemands étaient encore là.
Je descendis sur la place pour préciser les ordres. Chars et half-tracks furent disposés en hérisson autour de l’Hôtel de Ville, en surveillance des points d’attaque possible.

À la préfecture de police

Un agent de police vint me trouver et me demanda d’aller avec lui à la préfecture de police. Je passai le commandement à Granell. Outre Granell, il y avait là le sergent-chef Bernal[[Martín Bernal, Aragonais de Saragosse, un colosse tranquille, ancien toréador sous le nom de : Larita Segundo, évadé des prisons franquistes après la guerre civile, il traverse à pied l’Espagne et passe la frontière en septembre 1939, par les Pyrénées. Il s’engage dans l’armée française, et à la fin de la drôle de guerre, il rejoint les troupes de Leclerc. Sergent-chef, par son courage il s’impose rapidement dans La Nueve. Décoré de la Croix de Guerre avec étoile d’argent pour avoir affronter un ennemi supérieur en nombre en faisant de nombreuse victimes dans leur rangs et en sauvant un compagnon blessé.]], l’adjudant-chef Neyret, l’adjudant-chef Caron, le sous-lieutenant Elias.

Bernal, un géant, aujourd’hui installé dans la région parisienne, avait été torero en Espagne. Il avait fière allure. Il exerçait un très grand ascendant sur ses hommes, qui avaient entière confiance en lui. Il avait l’art de se faire obéir sans avoir l’air de commander. Neyret, vieux sous-officier de la Coloniale, était tout le contraire de Bernal. Il représentait le règlement, mais un règlement humainement interprété. Par sa science et par sa conscience, Neyret avait gagné l’estime et la sympathie de gens qui n’étaient pas toujours faciles.

L’adjudant-chef des chars Caron et le sous-lieutenant Elias devaient être blessés, le premier mortellement, l’autre grièvement le lendemain matin 25 août, lors de l’opération de dégagement du central téléphonique Archives, Caron était imprudemment assis sur la tourelle de son char, pour mieux surveiller la rue. Elias, élève à l’École Coloniale, nous avait rejoint à travers l’Espagne en Afrique du Nord. Il venait d’être blessé et évacué quand, le 25 août, à midi, sa mère et sa sœur arrivèrent à la place de l’Hôtel-de-Ville et demandèrent à le voir.

Dans la nuit, je partis vers la préfecture de police avec le gardien de la paix et mon fidèle Pirlian. Pirlian, Arménien d’origine s’était engagé en Afrique du Nord. Il était – il est encore – tout petit. Il doit être maintenant tailleur du côté de Nice. Il était brave dans tous les sens du terme, aussi bien dans le sens « héroïque » que dans le sens que donnent à ce mot les Marseillais. Je le vois encore quelques mois plus tard, à plat ventre dans le purin, derrière un tas de fumier lorrain posé en bordure de rue, en train d’essayer de lancer, avec un bazooka dont la pile avait manifestement des ratés, une fusée contre un char allemand qui tournait lentement au coin de la rue. Pirlian était bien embêté. Moi aussi…

Un garçon de bains qui a fait son chemin

Le gardien de la paix nous emmena prudemment, par un itinéraire détourné à la préfecture de police. Il y avait beaucoup de monde, des gardiens en uniforme, des civils, un très jeune général dans un bel uniforme kaki tout neuf, et le préfet de police de la libération, M.Luizet. La police avait pris l’initiative et la tête de la résistance parisienne. Elle redoutait, à juste titre, une dernière réaction de représailles de la part de l’occupant allemand. Le jeune général, aimable, sympathique et dynamique, un peu timide, s’appelait Delmas, il est aujourd’hui plus connu sous le nom de Chaban-Delmas[[Jacques Delmas, dit Chaban-Delmas (1915-2000), Aspirant puis sous-lieutenant pendant la drôle de guerre au 75e Bataillon alpin de forteresse.

Il refuse la défaite et tente de partir en Angleterre en août 1940. N’étant pas parvenu à quitter la France, il entre, à Paris fin décembre 1940, dans le réseau de renseignements Hector, organisation de résistance du Nord de la France. Il est spécialisé dans le renseignement sur l’industrie et en particulier sur la mise à la disposition des Allemands de l’industrie française. Il entre en juin 1941 au Ministère de la Production industrielle.

À la fin 1942, il entre directement en contact avec les représentants de Londres et se livre à un travail de renseignement dans les services du Ministère de l’Industrie.

Il poursuit son activité de renseignement avec l’Organisation civile et militaire (OCM) qui a succédé à Hector en fusionnant avec d’autres organismes résistants.

En octobre 1943, il devient « Chaban » et entre à la Délégation militaire du Comité français de la Libération nationale (CFLN) comme adjoint au délégué militaire national, le commandant Louis Mangin.

En mai 1944, il est nommé délégué militaire national chargé de transmettre les ordres du Haut-commandement interallié (général Koenig) à la Résistance intérieure et de veiller à leur application. Promu général de brigade par décision du Gouvernement d’Alger le 15 juin 1944 (le plus jeune général que la France ait connu depuis le Premier Empire), il quitte Paris pour Londres le 25 juillet 1944 afin de rendre compte au Commandement allié des possibilités militaires de la Résistance.

Avec Alexandre Parodi, délégué général, il s’oppose à la stratégie insurrectionnelle du COMAC (Comité d’Action du Conseil national de la Résistance). Il demande instamment que le plan d’opérations qui prévoyait la chute de Paris soit modifié de manière à éviter à la capitale destructions et massacres inutiles.

Il repart de Londres le 13 août 1944 nanti des ordres du général Koenig. Amené au Mans par les Américains le 14 août, il arrive à Paris le 16 à bicyclette. Il accueille le général Leclerc à Arpajon le 24 août 1944 et entre avec lui dans Paris.
Après la libération de la capitale, Chaban sert au cabinet du ministre de la Guerre comme chef de la Mission de liaison et d’inspection mobile d’organisation de l’Armée. Pendant sa carrière politique, il est élu député-maire de Bordeaux de 1947 à 1995, il présida l’Assemblée nationale à trois reprises, de 1958 à 1969, de 1978 à 1981 et de 1986 à 1988 et exerça les fonctions de Premier ministre de 1969 à 1972 sous la présidence de Georges Pompidou. ordredelaliberation.fr]].

Bien entendu, la réception fut des plus cordiales et des plus enthousiastes. J’annonçai l’arrivée du gros de la division pour le lendemain matin. Manifestement, les responsables de la préfecture de police éprouvaient les mêmes appréhensions que moi.
Je crois que c’est M. Luizet qui me demanda ce que je voulais. Devant tous ces gens propres et bien habillés, je me sentis soudain un complexe. Je me rendis compte que j’étais dégoûtant et que je détonnais. Je portais sur moi une étonnante couche de crasse, un composé de sueur, de poussière, de boue, de gaz-oil, de vapeurs d’essence. Je réclamai un bain qu’un jeune attaché du préfet de police me prépara aussitôt. Lavé, vêtu de linge et d’une combinaison propres, je me sentis un autre homme.

Le garçon de bains improvisé s’appelait Félix Gaillard[[Félix Gaillard, (1919-1970) homme politique français. Inspecteur des finances en 1943, il participe activement à la Résistance en France à partir de 1943. Il est adjoint en 1944 d’Alexandre Parodi, délégué du GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) en France.
Il est élu député du Parti radical-socialiste de la Charente, sur la liste Rassemblement des gauches républicaines, et conserve ce mandat jusqu’à sa mort.]].

lozano-2.jpg
half.jpg
hispania-lib-paris-20-ans.jpg

Luis Royo-Ibanez : « Je fonce sur Paris… »

Il était membre de la 9 ème compagnie qui participa à la libération de Paris à bord d’un Half-Track baptisé  » Madrid « , en mémoire des combats contre les troupes franquistes près de la capitale espagnole. Ce Catalan engagé à l’âge de dix-sept ans dans l’armée républicaine raconte son parcours, de Madrid à Agde dans l’Hérault, de Marseille à Oran, du Maroc au pays de Galles, de Omaha Beach[[ En fait, La Nueve a débarqué à Utah-Beach]] à Paris, jusqu’à sa blessure dans les Vosges. Ses camarades de combats, le général Leclerc, sa joie d’entrer dans Paris, le défilé sur les Champs-Élysées, les femmes tondues, les FFI. Voici son témoignage.

Q. Vous êtes un des premiers soldats de la division Leclerc qui ont participé à la libération de Paris. Après tant d’années, à quoi pensez-vous d’abord ?

Luis Royo-Ibanez. D’abord ? A mes dix camarades du Half-Track  » Madrid  » que je conduisais. Ils ont tous disparu. Je pense à mon chef de section Moreno, à ces dix Espagnols vaincus par les franquistes soutenus par les nazis et les fascistes italiens. Lorsque l’ordre nous a été donné par Leclerc de  » foncer sur Paris « , nous étions ivres de joie et de bonheur. Nous allions participer, aux premières loges, à la libération de Paris, nous allions chasser les Allemands et surtout prendre notre revanche sur ceux qui avaient assassiné la République espagnole que nous défendions à l’époque avec des tromblons datant de la guerre 1914-1918. En débarquant en France, en combattant dans l’Orne, en pénétrant dans la capitale de la France, nous disposions d’un armement américain moderne. Je pense à mon Half-Track  » Madrid « , à sa vitesse, à sa puissance de feu. Nous étions déterminés, bien armés et entraînés, bien commandés, bien guidés par les FFI. Les Allemands n’avaient, cette fois, qu’à bien se tenir.

Q. Vous avez débarqué à Omaha Beach, [[voir note N°1]] le 1er août 1944. Saviez-vous que l’objectif était Paris ?

Luis Royo-Ibanez. Absolument pas. Nous avons combattu d’abord dans l’Orne, où a eu lieu la première rencontre avec la résistance chargée de nous renseigner. C’est un FFI espagnol qui nous a ouvert le chemin jusqu’à Alençon puis à Écouché. Dans cette ville nous avons libéré des aviateurs américains et nous avons eu nos premiers morts. Il a fallu attendre la relève (des Polonais) avant d’entendre l’ordre :  » Objectif Paris « . Une des chenilles de mon Half-Track avait été touchée pendant les combats. Nous avons effectué une réparation de fortune avant de parcourir en une journée environ 200 kilomètres, pour une première halte près d’Arpajon. Pendant une inspection, Leclerc a repéré l’état de la chenille et nous a dit :  » Il faut réparer.  » Nous étions si pressés que nous lui avons répondu :  » Elle a tenu deux cents kilomètres, elle tiendra jusqu’à Paris.  » Le général a haussé le ton. Trois heures après et avec une chenille neuve, direction Antony. Les habitants sortaient des maisons, surtout les femmes, nous félicitaient, nous embrassaient alors même que les Allemands bombardaient toujours le coin. C’était bien agréable, très agréable, mais dangereux.

Q. Comment s’est déroulée votre entrée dans Paris ?

Luis Royo-Ibanez. Par la porte d’Orléans, et toujours guidés par les FFI car nous ne disposions d’aucun plan et ne connaissions pas la route. Avec un premier objectif : l’école militaire. Là , nous avons été accueillis par des tirs nourris provenant des maisons entourant les Invalides. Ce n’étaient pas les Allemands mais la milice française. Une fois cette poche éliminée, nous avons reçu l’ordre de rejoindre l’Hôtel de Ville, toujours en compagnie des FFI. Il y avait beaucoup de monde. Le Half-Track  » Madrid  » a pris position devant la porte centrale. Imaginez notre joie et notre fierté. Pourtant, un événement nous a choqués. Plusieurs individus ont entraîné des femmes pour les tondre sur la place. Un spectacle insupportable, qui en rappelait d’autres : les troupes franquistes pratiquaient de la même manière en Espagne. Nous les avons dispersés en leur disant :  » Vous voulez en découdre ? Alors prenez les armes, partez sur le front, combattez les Allemands et laissez ces femmes tranquilles.  » Ils ont quitté les lieux. Je sais qu’ils ont continué un peu plus loin leur sinistre besogne. Nous avons demandé à nos officiers d’informer Leclerc.

Q. Vous affirmez avoir été  » bien commandés « . Quel souvenir gardez-vous du général Leclerc, un aristocrate qui disait de vous :  » Je commande une troupe de rouges, mais quel courage.  » ?

Luis Royo-Ibanez. Leclerc n’était pas un général français. C’était un véritable général républicain espagnol, comme ceux qui nous commandaient pendant la guerre contre les franquistes. Je vous explique. Leclerc était intelligent, courageux et d’une grande simplicité. Il exigeait et obtenait une discipline rigoureuse avant et pendant les combats. Après, il redevenait un homme parmi les autres, une attitude peu courante chez les officiers supérieurs français. Nous avions pour Leclerc un immense respect et beaucoup d’affection.
Q. Après la libération de Paris, vous avez poursuivi le combat.

Luis Royo-Ibanez. J’ai participé au premier défilé sur les Champs-Élysées. Puis nous avons pris la route de Troyes, Chaumont, Vittel. J’ai été blessé un peu plus tard dans les Vosges. Après avoir été soigné sur place, j’ai été rapatrié par avion à Oxford avant de revenir en convalescence en France, à l’hôpital de Saint-Germain. J’ai été démobilisé en 1945. Je croyais, à l’époque, que Franco et Madrid seraient nos prochains objectifs. Vous savez ce qu’il est advenu.

Q. C’est en Espagne que vous avez combattu pour la première fois. Comment avez-vous rejoint plus tard la division Leclerc ?

Luis Royo-Ibanez. En 1938, à dix-sept ans, je me suis engagé dans l’armée républicaine. J’ai été blessé à la jambe et à la joue au cours de la célèbre bataille de l’Ebre. Puis j’ai participé à la relève des Brigades internationales à Tortosa. En février 1939, j’ai pris la route de l’exil, comme des dizaines de milliers d’autres, en franchissant à pied les Pyrénées sous la neige et le froid pour finir parqué pendant plusieurs mois dans une baraque avec 250 autres Espagnols, à Agde, dans l’Hérault. Des cousins ont réussi à me faire sortir. J’ai travaillé dans les vignes et, un certain 18 juin 1940, j’ai entendu l’appel du général de Gaulle. Ce jour-là , mes cousines cherchaient une station diffusant la musique à la mode lorsque nous sommes tombés, par hasard, sur Radio Londres. À l’époque, deux possibilités s’offraient à moi : le travail en Allemagne ou le retour forcé en Espagne avec au mieux la prison, au pire l’exécution. J’ai alors choisi de m’engager dans la Légion, à Marseille. Avec quinze autres Espagnols, nous avons été expédiés à Oran puis au Maroc avec une seule idée en tête : rejoindre les alliés. Plus tard, lorsque l’occasion s’est présentée, j’ai déserté pour rejoindre Leclerc. Un voyage de deux mille kilomètres à pied, en camion, en chameau. J’étais jeune et costaud ! Le souvenir de mes copains du Half-Track  » Madrid « , depuis soixante ans, ne m’a jamais quitté. J’aimerais leur dire : combien nous étions heureux de libérer Paris, de vaincre les nazis ! Combien nous étions malheureux que le combat s’arrête aux portes des Pyrénées, permettant ainsi à Franco de se maintenir au pouvoir pendant plus de trente ans ! J’aimerais leur dire aussi : notre rôle dans les combats de la Libération a été passé, presque, sous silence.

José Fort