La guerre de Tunisie
« Là-bas, la Légion a perdu presque tous ses hommes. Beaucoup sont morts et d’autres ont été faits prisonniers. Je crois que je suis sorti de cette guerre avec une certaine facilité parce que je n’ai jamais eu peur de mourir. Je me suis toujours dit que mourir n’est rien, que le pire serait d’être gravement blessé. »
« Quand la guerre s’est terminée, beaucoup d’entre nous, les survivants, avons déserté la Légion et rejoint la 2e DB, qui avait été formée par quelques officiers proches de la France libre du général de Gaulle pour combattre en Europe. C’est à ce moment-là que j’ai connu Campos, un Canarien très courageux et un brave homme: c’est lui qui s’occupait le plus de tous les Espagnols. Il allait les chercher partout, pour les convaincre de déserter, et il en ramenait des pleins camions pour les enrôler dans les troupes de la France libre. »
« Nous, les Espagnols, on avait tous un faux nom ; moi, on m’appelait « el Mejicano » (le Mexicain). Dans les troupes américaines, il y avait beaucoup de gens d’Amérique du Sud – du Chili, du Mexique –, et avec Leclerc aussi. J’avais choisi le nom de « José Ortega, el Mejicano » pour le cas où on nous ferait prisonniers : qu’on ne sache pas qu’on était Espagnols, parce qu’on savait ce qui nous attendait d’être Espagnol et d’avoir fait la guerre civile. À cette époque, être Espagnol était difficile… »
« C’est là, en Tunisie, qu’on nous a dit que tous ceux qui combattaient avec les Alliés sur le territoire français devaient être démobilisés ou s’enrôler dans les Forces françaises libres de de Gaulle, ou dans celles du général Giraud. Nous, les Espagnols, on s’est enrôlés dans les forces de de Gaulle. Leclerc a récupéré en Tunisie le 3e bataillon du Corps Franc, commandé par le colonel Putz [ex-combattant des Brigades internationales]. À ce moment-là, je l’ai fait aussi, mais avec le cœur serré, parce que j’aurais préféré rester avec les Américains. Je voulais lutter avec eux et, ensuite, m’en aller en Amérique. Ça n’a pas été possible, et je me suis engagé avec plusieurs compagnons – Granell, Campos, el Gitano, Bamba et Ortiz –, le 29 mai 1943, comme volontaire pour la durée de la guerre. »
Daniel Hernández
« Les nouvelles forces qui arrivaient dans la France libre remplaçaient les sol- dats noirs du régiment de marche du Tchad. Les soldats indigènes ont été mis de côté – par ordre supérieur –, après avoir combattu pendant trois ans avec le général Leclerc. On dit que Leclerc n’était pas content du tout, mais il n’a rien pu faire.
« À cause de problèmes entre lui et Leclerc, Giraud, qui commandait la zone, nous a expulsés… »
Manuel Fernández
« […] Les affrontements avec les Allemands ont été si durs, en Tunisie, la peur si intense, à certains moments, que j’ai eu l’occasion de voir une chose difficilement crédible : lors d’un combat, où il nous avait fallu toute une journée et toute une nuit pour déloger d’une maison de campagne les Allemands qui l’occupaient, en avançant petit à petit, pièce par pièce, j’avais à côté de moi un Italien, brave gars aux cheveux frisés. Un garçon pas mal. Quand il est revenu au combat, après la nuit de repos, personne ne l’a reconnu : il avait les cheveux complètement blancs, totalement blancs !…
« Il y a eu là-bas beaucoup, beaucoup de victimes. Un grand nombre d’Espagnols ont perdu la vie. Moi, j’ai été blessé en janvier. On m’a donné un mois de convalescence ; et, après, je suis retourné au front. La guerre s’est terminée le 5 mai ; et, le 7, le capitaine de la compagnie m’a appelé pour m’informer qu’on m’avait nommé « meilleur légionnaire » et me demander si je voulais, comme récompense, une médaille ou un mois de permission. Naturellement, je lui ai dit que je préférais un mois de permission.
« Plus tard, on m’a donné la Croix de guerre parce que, quand j’ai été blessé, et malgré les blessures, j’avais réussi à passer entre les tanks allemands, traverser le fleuve à la nage avec un seul bras valide, et parcourir, avec beaucoup de difficulté, 30 km jusqu’à rejoindre le régiment français.
« Quand ils m’ont vu arriver couvert de sang et tout sale, ils n’en croyaient pas leurs yeux. Le lieutenant de la compagnie ignorait même l’existence de la bataille où on m’avait blessé. Il a appelé l’état-major, qui l’a informé. Alors, on m’a emmené sur une moto avec side-car vers un hôpital de campagne ; peu après, le colonel de notre régiment est venu me voir. Je dois dire que le colonel pleurait comme un enfant, au moment où il me racontait que, sur les 800 hommes du bataillon, j’étais le quatre- vingtième qui s’en était sorti sain et sauf. Tous les autres étaient morts là-bas ; et, parmi eux, énormément d’Espagnols. Beaucoup ont été faits prisonniers et beaucoup d’autres sont morts.
« C’est l’unique bataille de ma vie où j’ai vu la lutte au corps à corps, à la baïonnette. Je me souviens surtout d’un Belge qu’une baïonnette avait transpercé – on était tous encerclés par les Allemands – et qui, au moment où on voulait le secourir, avait refusé en nous disant de partir parce que lui était un homme mort… Et c’était vrai… Il avait toutes les tripes à l’air. On ne pouvait rien faire pour lui.
« C’est après la campagne de Tunisie que j’ai entendu parler, pour la première fois, de la colonne Leclerc et des troupes de la France libre qui arrivaient de Libye. J’ai vite déserté pour m’en aller avec elles. »