Skip to main content

Les mémoires de Mika ou le récit sensible d’une vie de milicienne

Article du | 24 aout 1944 |
« On aura tout vu. C’est une femme qui commande la compagnie et les miliciens qui lavent les chaussettes. Pour une révolution, c’est une révolution ! » ( Ernesto, dans « Ma guerre d’Espagne à moi ».) mika-hippo.jpg ( Mika et Hippolyte Etchebéhère ) Dans « Ma guerre d’Espagne à moi »[[Éditions Denoël, Paris, 1975- Éditions Milena, 2014. lire également : « La Capitana » d’Elsa OSORIO, Bibliothèque Hispano-Américaine. Editions Métailié 2014]], on est loin de ces récits héroïques où les heures de gloires et les coups de force coulent de pages en pages… Mika y parle simplement de ses engagements politiques, initiés en Argentine, de sa participation au front de Sigüenza avec le POUM[[12 Juillet 1936, six jours avant le coup d’État franquiste, Mika est à Madrid. Fin 1936, après la militarisation des milices, elle rejoint la 38è Brigade. Sa compagnie décimée dans de violents combats, elle intègre, avec le grade de capitaine, la XIVè division de l’Armée populaire espagnole, dirigée par Cipriano Mera de la CNT.]] ou de ses combats ultérieurs. Avec humanité, elle évoque son amour complice pour Hippolyte, ses considérations sur l’art ou la sexualité au front [[Lire également : « Mémoires d’une femme dans la tourmente de la révolution espagnole : l’exemple de Mika Etchebéhère »- Mémoire de Master de Vanessa Auroy, Université Angers, 2013.]]. Et puis, elle raconte ses liens d’amitié avec Cipriano Mera, l’un de ses mentors, qui interviendra lorsqu’elle sera incarcérée par la Gépéou…

Hippolyte Etchebéhère

Sa rencontre avec cet homme sera, pour Micaela Feldman, celle d’une vie. Elle l’épousera, deviendra Mika Etchebéhère et lui succèdera, à sa mort, sur le front espagnol en août 1936, en tant que capitaine d’une colonne poumiste. Son souvenir la suivra durant toutes les batailles qu’elle livrera en sa mémoire et pour la lutte révolutionnaire. À de nombreuses reprises, elle évoque son mari décédé quand elle ne se sent pas bien, quand elle est déprimée, apeurée ou tout simplement seule Après la chute de la cathédrale de Sigüenza qui fut la bataille la plus importante et qui lui permit d’obtenir ses galons de capitaine, elle part récupérer des forces chez des amis à Paris. Elle explique alors que ne pas se souvenir ou du moins essayer de ne pas se souvenir de son mari est un rempart contre le laisser-aller : Après cela j’ai dressé un barrage aux souvenirs. Pour pouvoir vivre. Alors je suis vidée. Je n’ai que les pensées utiles à la guerre, les autres me sont défendues. Je ne dois pas lire car j’ai tout lu avec lui, ni regarder le ciel, ni aimer la montagne, ni me pencher sur une fleur, car tout cela appartient à notre vie à deux, à ce séjour où il me disait : « Il faut que nous ménagions notre amour. Nous achèterons moins de livres pour que tu puisses avoir une jolie robe. Tu te souviens de celle que j’avais dessinée pour toi lorsque nous nous sommes connus ? Maintenant tu n’as qu’une vieille jupe et ce manteau de garçon que Marguerite t’a donné. La politique avale toute notre vie, il ne faut pas qu’elle nous dévore.

Rencontre sur le front avec Mera

Quand elle rencontre Cipriano Mera sur le front, elle se rappelle ses premiers engagements vers l’anarchisme et le groupe féministe « Louise Michel » auquel elle adhère dès l’âge de 14 ans…
Il incarne pour moi l’anarchisme intransigeant et austère qui m’a conduite à la lutte révolutionnaire sitôt sortie de l’enfance.
Et lui, de faire le lien avec sa façon de penser, ce qu’elle ne nie pas:
Mera : Avoue que tu aimes causer un brin avec tes anciens frères anarchistes. Toi, le communisme t’est resté à la surface, à l’intérieur tu restes anarchiste.
Mika Tu as peut-être raison…En tout cas, ce qui peut me rester de l’anarchisme, c’est mon incapacité à respecter les hiérarchies imposées et ma foi dans le cercle de l’égalité.
Quand l’un de ses miliciens, Clavelín qui n’avait que quinze ans, est mortellement blessé lors des combats sur la colline de l’Aguila, elle se met à pleurer. Mera lui adresse alors une phrase acerbe :
Allons, petite, cesse de pleurer : vaillante comme tu es, tu pleures ! Bien sûr, tu es femme après tout.
Avec fierté, elle s’oppose à son mentor et lui répond avec un certain mépris :
La phrase me cingle comme un fouet furieux qui me fait serrer les poings et me brûle au visage. Je lève la tête, tâchant de me calmer, cherchant une réponse écrasante, mais je parviens seulement à dire : « C’est vrai, femme après tout, et toi, avec tout ton anarchisme, homme après tout, pourri de préjugés comme n’importe quel mâle.

Des églises brûlées, des curés arrêtés

Grâce à son environnement familial, elle a acquis un goût pour les arts et leur conservation. Elle s’insurge quand elle voit les églises brûlées par anticléricalisme :
Vous savez, camarades, il y a de vrais trésors ici. Chaque morceau de bois peint vaut une fortune. C’est très vieux et jamais plus on ne refera rien de pareil. Quand la guerre sera finie, votre chapelle sera déclarée monument national et l’on viendra de partout la voir, même de l’étranger.
Et en face de trois curés arrêtés par les miliciens, assis sur un banc devant la gare, elle s’apitoie :
Sans le milicien armé qui les surveille on pourrait croire qu’ils attendent le train pour partir. Aucun ne prie. Ils ont l’air si lamentable que je rage de sentir ma vieille ennemie, la pitié, et la honte d’avoir toujours pitié, me prendre à la gorge.

Femmes et sexualité au front

Si elle ne consacre pas de chapitre aux femmes en général, elle les évoque au gré des circonstances et du quotidien au front. Les premières qu’elle cite sont ces « quelques femmes, certaines d’allure bizarre » qui se trouvent dans les locaux du POUM aux premiers jours de la guerre. Très vite, elle apprend « que ce sont des filles d’une maison close voisine qui viennent s’enrôler dans la milice. » Une certaine gêne et un dégoût s’affiche alors face à ces prostituées. Elles me ramènent loin en arrière, à un morne soir de Paris, dans le quartier de la Chapelle, rue de la Charbonnerie : je portais un ciré noir, ma lassitude d’une harassante journée de courses, et une valise pleine de Que faire ?, la revue de notre groupe qu’il fallait distribuer dans les kiosques. Une terreur enfantine me saisit, et lorsqu’une grosse brune marcha sur moi avec des gestes obscènes, je me mis à courir comme une folle, poursuivie très longtemps par les éclats de rire de ces femmes que dans nos discours anarchistes, alors que j’avais dix-huit ans, nous appelions « nos soeurs les putains ». Devant ces sœurs qui aujourd’hui viennent à nous, je ne me sens pas l’âme fraternelle. Rancune, peut- être même jalousie parce que nos camarades les couvent du regard. D’autres sont également une source de rejet : celles qui cherchent, à tout prix, à devenir les fiancées des miliciens ou les maîtresses des chefs afin d’obtenir, par procuration, un certain prestige, de l’ascension sociale ou qui essaient simplement de sauver leur vie en profitant de leur féminité. Mais il y a « l’Abysinienne » :
D’où venait cette Abisinia que j’avais trouvée parmi nous au retour de l’hôpital ? Elle avait la peau d’un brun presque noir, des yeux de jais et la tête couronnée de nattes aussi noires que ses yeux, d’où son surnom d' »Abysinienne », et elle avait seize ans – qui en paraissaient vingt. Grande, la poitrine haute, son bleu de milicienne n’arrivait pas à effacer sa taille de maja ni à dissimuler sa démarche balancée de fille des bas quartiers de Madrid. Elle chantait toute la journée Ay Mari-Cruz, Mari-Cruz, maravilla de mujer…, on la voyait se promener, esquisser un pas de danse, aborder un milicien, un autre avec toujours la même exigence : « Montre-moi comment ça se démonte, un fusil. Je sais le charger, mais pas le démonter, et un jour moi aussi j’en aurai un..
Et aussi « Manolita la Fea » (la moche):
Oui, Mocheté. Je suis de la colonne Pasionaria, mais je préfère rester avec vous. Jamais ils n’ont voulu donner de fusils aux filles. On était bonnes pour la vaisselle et la lessive. J’ai entendu dire que dans votre colonne les miliciennes avaient les mêmes droits que les hommes, qu’elles ne s’occupaient ni de lessive ni de vaisselle. Je ne suis pas venue au front pour crever, un torchon à la main. J’ai assez récuré de marmites pour la révolution !
Sa réflexion sur la sexualité des autres femmes évolue après avoir vu toutes les atrocités que peut provoquer une guerre. À Madrid, elle croise une femme dans les rues et entame une discussion avec elle : « On n’a jamais fait autant l’amour ici, me dit une femme qui tient une grosse poule attachée par une patte à sa chaise. Cette poule, tiens, elle nous pond un oeuf chaque jour. Je la sors prendre l’air dès que les obus cessent de tomber. Les filles de Madrid vont aussi pondre des tas de gosses… A ce train-là, les pertes de la guerre seront vite comblées. C’est toujours comme ça en temps de guerre, lui dis-je pour qu’elle n’ait pas honte de ses compatriotes. Les gens veulent vivre vite de peur de mourir… »

Incarcérée par la Guépéou

Après les journées de mai 1937 à Barcelone (la Contre révolution stalinienne) et la mise hors la loi du POUM, Mika est incarcérée par les staliniens et manque de connaître le même sort que nombre de ses camarades, éliminés par la Guépéou [[Créée en 1922, elle remplaça la Tcheka. Elle joua un rôle important dans la révolution entreprise par Staline à partir de 1929, envoyant dans les camps gérés par le Goulag les saboteurs, les koulaks, les membres du clergé ou de l’ancienne intelligentsia. Elle fut intégrée en 1934 au Commissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD). ]]. Elle échappe à l’exécution sommaire grâce à l’intervention de Mera, son ami et mentor[[Ironie du sort : quelques années plus tard, Mera sera à son tour victime d’autres commissaires politiques, mais cette fois-ci, de la CNT en exil… Lire http://www.autrefutur.net/Ma-plus-grande-victoire-a-ete-la]] . – Comment Mera sauva Mika des griffes staliniennes – À sa sortie de prison, elle rejoint le groupe féministe libertaire, Mujeres Libres, participe aux combats jusqu’en juin 1938, lorsque les femmes sont renvoyées vers l’arrière. À l’entrée des troupes franquistes dans Madrid, elle parvient à leur échapper et à passer en France. Inlassable militante, après avoir participé aux événements de 1968, comme Mera, elle meurt à Paris en 1992.   Relire ainsi quelques souvenirs de Mika, comme ses échanges avec Mera, rajoute un goût amer à l’échec d’un (de leur) espoir partagé… Source : www.autrefutur.net
mika-hippo.jpg

« On aura tout vu. C’est une femme qui commande la compagnie et les miliciens qui lavent les chaussettes. Pour une révolution, c’est une révolution !« 
( Ernesto, dans « Ma guerre d’Espagne à moi ».)
mika-hippo.jpg
( Mika et Hippolyte Etchebéhère )

Dans « Ma guerre d’Espagne à moi »[[Éditions Denoël, Paris, 1975- Éditions Milena, 2014.

lire également : « La Capitana » d’Elsa OSORIO, Bibliothèque Hispano-Américaine. Editions Métailié 2014]], on est loin de ces récits héroïques où les heures de gloires et les coups de force coulent de pages en pages…

Mika y parle simplement de ses engagements politiques, initiés en Argentine, de sa participation au front de Sigüenza avec le POUM[[12 Juillet 1936, six jours avant le coup d’État franquiste, Mika est à Madrid. Fin 1936, après la militarisation des milices, elle rejoint la 38è Brigade. Sa compagnie décimée dans de violents combats, elle intègre, avec le grade de capitaine, la XIVè division de l’Armée populaire espagnole, dirigée par Cipriano Mera de la CNT.]] ou de ses combats ultérieurs. Avec humanité, elle évoque son amour complice pour Hippolyte, ses considérations sur l’art ou la sexualité au front [[Lire également : « Mémoires d’une femme dans la tourmente de la révolution espagnole : l’exemple de Mika Etchebéhère »- Mémoire de Master de Vanessa Auroy, Université Angers, 2013.]]. Et puis, elle raconte ses liens d’amitié avec Cipriano Mera, l’un de ses mentors, qui interviendra lorsqu’elle sera incarcérée par la Gépéou…

Hippolyte Etchebéhère

Sa rencontre avec cet homme sera, pour Micaela Feldman, celle d’une vie. Elle l’épousera, deviendra Mika Etchebéhère et lui succèdera, à sa mort, sur le front espagnol en août 1936, en tant que capitaine d’une colonne poumiste. Son souvenir la suivra durant toutes les batailles qu’elle livrera en sa mémoire et pour la lutte révolutionnaire. À de nombreuses reprises, elle évoque son mari décédé quand elle ne se sent pas bien, quand elle est déprimée, apeurée ou tout simplement seule

Après la chute de la cathédrale de Sigüenza qui fut la bataille la plus importante et qui lui permit d’obtenir ses galons de capitaine, elle part récupérer des forces chez des amis à Paris. Elle explique alors que ne pas se souvenir ou du moins essayer de ne pas se souvenir de son mari est un rempart contre le laisser-aller :

Après cela j’ai dressé un barrage aux souvenirs. Pour pouvoir vivre. Alors je suis vidée. Je n’ai que les pensées utiles à la guerre, les autres me sont défendues. Je ne dois pas lire car j’ai tout lu avec lui, ni regarder le ciel, ni aimer la montagne, ni me pencher sur une fleur, car tout cela appartient à notre vie à deux, à ce séjour où il me disait : « Il faut que nous ménagions notre amour. Nous achèterons moins de livres pour que tu puisses avoir une jolie robe. Tu te souviens de celle que j’avais dessinée pour toi lorsque nous nous sommes connus ? Maintenant tu n’as qu’une vieille jupe et ce manteau de garçon que Marguerite t’a donné.

La politique avale toute notre vie, il ne faut pas qu’elle nous dévore.

Rencontre sur le front avec Mera

Quand elle rencontre Cipriano Mera sur le front, elle se rappelle ses premiers engagements vers l’anarchisme et le groupe féministe « Louise Michel » auquel elle adhère dès l’âge de 14 ans…

Il incarne pour moi l’anarchisme intransigeant et austère qui m’a conduite à la lutte révolutionnaire sitôt sortie de l’enfance.

Et lui, de faire le lien avec sa façon de penser, ce qu’elle ne nie pas:

Mera : Avoue que tu aimes causer un brin avec tes anciens frères anarchistes. Toi, le communisme t’est resté à la surface, à l’intérieur tu restes anarchiste.

Mika Tu as peut-être raison…En tout cas, ce qui peut me rester de l’anarchisme, c’est mon incapacité à respecter les hiérarchies imposées et ma foi dans le cercle de l’égalité.

Quand l’un de ses miliciens, Clavelín qui n’avait que quinze ans, est mortellement blessé lors des combats sur la colline de l’Aguila, elle se met à pleurer. Mera lui adresse alors une phrase acerbe :

Allons, petite, cesse de pleurer : vaillante comme tu es, tu pleures ! Bien sûr, tu es femme après tout.

Avec fierté, elle s’oppose à son mentor et lui répond avec un certain mépris :

La phrase me cingle comme un fouet furieux qui me fait serrer les poings et me brûle au visage. Je lève la tête, tâchant de me calmer, cherchant une réponse écrasante, mais je parviens seulement à dire : « C’est vrai, femme après tout, et toi, avec tout ton anarchisme, homme après tout, pourri de préjugés comme n’importe quel mâle.

Des églises brûlées, des curés arrêtés

Grâce à son environnement familial, elle a acquis un goût pour les arts et leur conservation. Elle s’insurge quand elle voit les églises brûlées par anticléricalisme :

Vous savez, camarades, il y a de vrais trésors ici. Chaque morceau de bois peint vaut une fortune. C’est très vieux et jamais plus on ne refera rien de pareil. Quand la guerre sera finie, votre chapelle sera déclarée monument national et l’on viendra de partout la voir, même de l’étranger.

Et en face de trois curés arrêtés par les miliciens, assis sur un banc devant la gare, elle s’apitoie :

Sans le milicien armé qui les surveille on pourrait croire qu’ils attendent le train pour partir. Aucun ne prie. Ils ont l’air si lamentable que je rage de sentir ma vieille ennemie, la pitié, et la honte d’avoir toujours pitié, me prendre à la gorge.

Femmes et sexualité au front

Si elle ne consacre pas de chapitre aux femmes en général, elle les évoque au gré des circonstances et du quotidien au front.

Les premières qu’elle cite sont ces « quelques femmes, certaines d’allure bizarre » qui se trouvent dans les locaux du POUM aux premiers jours de la guerre. Très vite, elle apprend « que ce sont des filles d’une maison close voisine qui viennent s’enrôler dans la milice.« 

Une certaine gêne et un dégoût s’affiche alors face à ces prostituées.

Elles me ramènent loin en arrière, à un morne soir de Paris, dans le quartier de la Chapelle, rue de la Charbonnerie : je portais un ciré noir, ma lassitude d’une harassante journée de courses, et une valise pleine de Que faire ?, la revue de notre groupe qu’il fallait distribuer dans les kiosques. Une terreur enfantine me saisit, et lorsqu’une grosse brune marcha sur moi avec des gestes obscènes, je me mis à courir comme une folle, poursuivie très longtemps par les éclats de rire de ces femmes que dans nos discours anarchistes, alors que j’avais dix-huit ans, nous appelions « nos soeurs les putains ».
Devant ces sœurs qui aujourd’hui viennent à nous, je ne me sens pas l’âme fraternelle. Rancune, peut- être même jalousie parce que nos camarades les couvent du regard
.

D’autres sont également une source de rejet : celles qui cherchent, à tout prix, à devenir les fiancées des miliciens ou les maîtresses des chefs afin d’obtenir, par procuration, un certain prestige, de l’ascension sociale ou qui essaient simplement de sauver leur vie en profitant de leur féminité.

Mais il y a « l’Abysinienne » :

D’où venait cette Abisinia que j’avais trouvée parmi nous au retour de l’hôpital ? Elle avait la peau d’un brun presque noir, des yeux de jais et la tête couronnée de nattes aussi noires que ses yeux, d’où son surnom d' »Abysinienne », et elle avait seize ans – qui en paraissaient vingt. Grande, la poitrine haute, son bleu de milicienne n’arrivait pas à effacer sa taille de maja ni à dissimuler sa démarche balancée de fille des bas quartiers de Madrid. Elle chantait toute la journée Ay Mari-Cruz, Mari-Cruz, maravilla de mujer…, on la voyait se promener, esquisser un pas de danse, aborder un milicien, un autre avec toujours la même exigence : « Montre-moi comment ça se démonte, un fusil. Je sais le charger, mais pas le démonter, et un jour moi aussi j’en aurai un..

Et aussi « Manolita la Fea » (la moche):

Oui, Mocheté. Je suis de la colonne Pasionaria, mais je préfère rester avec vous. Jamais ils n’ont voulu donner de fusils aux filles. On était bonnes pour la vaisselle et la lessive. J’ai entendu dire que dans votre colonne les miliciennes avaient les mêmes droits que les hommes, qu’elles ne s’occupaient ni de lessive ni de vaisselle. Je ne suis pas venue au front pour crever, un torchon à la main. J’ai assez récuré de marmites pour la révolution !

Sa réflexion sur la sexualité des autres femmes évolue après avoir vu toutes les atrocités que peut provoquer une guerre. À Madrid, elle croise une femme dans les rues et entame une discussion avec elle :

« On n’a jamais fait autant l’amour ici, me dit une femme qui tient une grosse poule attachée par une patte à sa chaise. Cette poule, tiens, elle nous pond un oeuf chaque jour. Je la sors prendre l’air dès que les obus cessent de tomber. Les filles de Madrid vont aussi pondre des tas de gosses… A ce train-là, les pertes de la guerre seront vite comblées.

C’est toujours comme ça en temps de guerre, lui dis-je pour qu’elle n’ait pas honte de ses compatriotes. Les gens veulent vivre vite de peur de mourir…« 

Incarcérée par la Guépéou

Après les journées de mai 1937 à Barcelone (la Contre révolution stalinienne) et la mise hors la loi du POUM, Mika est incarcérée par les staliniens et manque de connaître le même sort que nombre de ses camarades, éliminés par la Guépéou [[Créée en 1922, elle remplaça la Tcheka. Elle joua un rôle important dans la révolution entreprise par Staline à partir de 1929, envoyant dans les camps gérés par le Goulag les saboteurs, les koulaks, les membres du clergé ou de l’ancienne intelligentsia. Elle fut intégrée en 1934 au Commissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD). ]]. Elle échappe à l’exécution sommaire grâce à l’intervention de Mera, son ami et mentor[[Ironie du sort : quelques années plus tard, Mera sera à son tour victime d’autres commissaires politiques, mais cette fois-ci, de la CNT en exil… Lire http://www.autrefutur.net/Ma-plus-grande-victoire-a-ete-la]] .

– Comment Mera sauva Mika des griffes staliniennes –

À sa sortie de prison, elle rejoint le groupe féministe libertaire, Mujeres Libres, participe aux combats jusqu’en juin 1938, lorsque les femmes sont renvoyées vers l’arrière. À l’entrée des troupes franquistes dans Madrid, elle parvient à leur échapper et à passer en France.

Inlassable militante, après avoir participé aux événements de 1968, comme Mera, elle meurt à Paris en 1992.

 

Relire ainsi quelques souvenirs de Mika, comme ses échanges avec Mera, rajoute un goût amer à l’échec d’un (de leur) espoir partagé…

Source : www.autrefutur.net

mika-hippo.jpg
Mots-clefs : ,
Partager cet article :
Haut de page