Le silence des autres: Un portrait « au présent » des victimes du franquisme
Projection du film : Le silence des autres
Un portrait « au présent » des victimes du franquisme
Le 17 janvier dernier, l’association 24 août 1944, en collaboration avec la société Sophie Dulac distribution, a présenté en avant-première au Centre Paris’ Anim du 19e arrondissement de Paris, le flm de Almudena Carracedo et Robert Bahar Le silence des autres.
Lors de cette soirée, nous avons réuni 170 personnes, battant ainsi notre record d’affluence au Centre Paris’ Anim. La salle étant copieusement remplie, une partie du public a dû s’asseoir sur les marches. Les spectateurs dans leur grande majorité ont réagi avec émotion et des applaudissements nourris ont salué le flm.
Un débat très passionné a succédé à la projection. Miguel Chueca, notre intervenant, a provoqué de nombreuses réactions par son positionnement contraire à l’argument principal du flm qui met en évidence la nécessité de rendre justice aux victimes du franquisme et de remettre en question la loi d’amnistie de 1977. Malgré lui, Miguel Chueca, par sa position originale, aura nourri un débat passionné. Cela a libéré la parole d’un public averti et conscient de la nécessité de lutter contre toute idée de réconciliation sans que justice ne soit rendue pour toutes les victimes du régime dictatorial du général Franco.
Parlons maintenant du flm.:
Le 15 octobre 1977, le Congrès des députés a approuvé une loi d’amnistie, qui a abouti à la libération des prisonniers politiques du régime franquiste. Sous prétexte que la réconciliation entre les Espagnols était impossible autrement, la même loi protégeait les bourreaux du régime, qui non seulement sont restés impunis, mais ont également occupé des postes de pouvoir et de responsabilité pendant la période démocratique.
Plus de quarante ans après la fin officielle de la dictature de Franco, le devoir de mémoire n’est toujours pas reconnu en Espagne et les victimes de l’une des dictatures les plus longues d’Europe sont toujours méprisés dans leur volonté légitime de faire le deuil de leurs parents disparus. Depuis le début des années 2000 de nombreuses victimes de la dictature et leurs familles, ainsi que les associations de défense de mémoire se sont battus pour l’abrogation de la loi d’amnistie afin d’exiger justice.
Almudena Carracedo et Robert Bahar, les réalisateurs se sont intéressés à la lutte de ces victimes lorsqu’ils ont appris l’intention des associations de mémoire de dénoncer certains tortionnaires du régime de Franco. Alors que la loi d’amnistie les en empêchait en Espagne et que les tentatives du juge Baltasar Garzón d’ouvrir un procès devant l’Audiencia Nacional ont mis fn à sa carrière judiciaire. Il s’agit des conséquences du « pacte de l’oubli » voté le 15 octobre 1977 par le Congrès des députés. Contrairement aux autres pays sortis de régimes dictatoriaux comme le Chili, l’Argentine, le Cambodge, le Rwanda, en Espagne il n’y a eu ni procès de Nuremberg, ni Commissions de vérité et de réconciliation, ni jugement des coupables.
Après bien des revers, l’occasion se présenta de se rendre en Argentine, où la juge María Servini reçut les plaignants et commença à écouter leurs témoignages. C’est alors que la « plainte argentine » a été déposée.
L’enjeu était de taille, ce film documentaire a été réalisé de manière indépendante et avec beaucoup d’acharnement durant plus de six années. Le silence des autres constitue un véritable jalon pour l’exercice du deuil pour les familles, en donnant à connaître au niveau international une histoire méconnue du grand public. L’histoire d’une dictature qui a duré plusieurs décennies et que l’on a admis dans le concert des nations lorsque les dirigeants du monde entier, De Gaulle, Eishenower, le pape, l’ONU et toutes les grandes institutions ont officialisé la « bonne entente » avec le régime de Franco.
Le film donne ainsi à entendre une mémoire méconnue en réalisant un véritable équilibre entre les images d’archives, les témoignages des survivants de la dictature, le travail d’instruction de la juge et des prises de vue sur la contemporanéité de la dictature quand elle s’inscrit dans le paysage urbain à travers notamment des noms de rue.
Les réalisateurs ont accompagné les victimes pendant tout ce temps sur une route pleine d’obstacles, avec l’opposition du gouvernement de Mariano Rajoy, qui torpillait constamment le processus et en diverses occasions le discréditait. Les déclarations du nouveau président de son parti, le Parti populaire, Pablo Casado, furent alors immondes : » Ce sont des vieux chnoques ! Ils parlent toute la journée de la guerre du grand-père, des fosses communes et de je ne sais quoi, avec la mémoire historique… »
Les témoignages se rejoignent au même rythme que l’émotion s’empare de cette histoire. De toutes les choses que l’on peut dire du Silence des autres , celle qui définirait le mieux le film c’est l’émotion profonde qu’il provoque au fur et à mesure que l’histoire progresse et que nous découvrons la disparition de certains de ses protagonistes. Mais, s’agissant d’un processus judiciaire et politique encore ouvert, il nous reste la sensation de découvrir une histoire encore inachevée.
Les proches de plus de 100 000 personnes encore enterrées dans des fosses communes, victimes de tortures réclamant justice ou les mères de bébés volés cherchent encore la vérité. Pour compenser cela, les réalisateurs se tournent vers les histoires individuelles d’Asunción Mendieta, María Martín ou Chato Galante, les principaux témoins du documentaire. Ils ont permis à l’équipe du film de les accompagner afin de nous montrer les lieux où ils avaient été torturés ou en nous emmenant sur les charniers où leurs parents sont enterrés. Il est impossible de ne pas se laisser emporter par la colère et l’émotion en les écoutant.
Ce documentaire d’une grande qualité cinématographique est subtil, émouvant, il invite à une réfexion profonde sur la légitimité d’une monarchie espagnole qui a reçu son pouvoir des mains d’un dictateur s’apprêtant à mourir. Il provoque aujourd’hui, depuis sa sortie en Espagne en décembre dernier, un véritable bouleversement des consciences en permettant de remettre au cœur des préoccupations des Espagnols la question des atteintes aux droits de l’homme sous le régime dictatorial du général Franco.
Le silence des autres a été primé au Festival de Berlin 2018 en recevant le prix de la paix et le prix du public. En 2019, il est nominé aux Goya, l’équivalent des César français et des Oscars américains.
Il sortira à Paris 13 février.
Daniel Pinós Barrieras
Extraits d’une lettre de revendications envoyée à M. Francisco Martínez, directeur de la Mémoire historique du gouvernement espagnol, signée par la Plainte argentine pour l’exil et la déportation et par notre association :
Nous revendiquons et désirons que vous preniez en compte :
– La reconnaissance officielle, par loi, de l’exil et de la déportation des Espagnols. Prenant en considération que l’Espagne est l’unique pays qui n’a pas reconnu nationalement ses déportés.
– L’hommage à tous les déportés espagnols au niveau de l’État, et officiellement au Congrès des députés et dans chacun de leur village, tous les 5 mai, jour de la libération du camp de Mauthausen, le camp des Espagnols, le plus dur et le seul de catégorie III.
– L’engagement de donner la parole et de la visibilité aux victimes et à leur famille.
– Nous demandons l’annulation des jugements du franquisme, comme partie civile, et de toutes les sentences dictées par les tribunaux fascistes durant ce régime, pour obtenir la restauration de la dignité de toutes les victimes du franquisme – parmi elles beaucoup d’exilés –, qui soufrirent des condamnations injustes et sommaires.
– La reprise de l’octroi naturel de la nationalité espagnole aux petits-enfants de ces Espagnols, qui avait commencé en 2004 et fut paralysé en 2010.
– L’ouverture d’un bureau d’aide aux victimes, aux enfants et petits-enfants des exilés, pour leur rendre justice et réparation.
– Facilité pour les exilés, leurs enfants et petits-enfants de transmettre leur histoire aux instituts espagnols, comme dans d’autres pays.
– Que la carte des fosses communes ne soit pas réduite à l’Espagne. Il y a des fosses partout en Europe et en Afrique du Nord. Il y a des familles qui désirent les mêmes droits et l’exhumation de leurs êtres chers, comme ceux de la division « Azul ».