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Rafael Gomez, un survivant de la « Nueve »

« Mercredi, la ville de Paris rend hommage aux survivants de la « Nueve », cette unité composée de Républicains espagnols, la première à entrer dans la capitale le 24 août 1944. Rafael Gomez, habitant de Lingolsheim, faisait partie de cette compagnie. Le premier half-track qu’il a conduit avait été baptisé Guernica. Il côtoyait d’autres blindés aux noms étonnants : Guadalajara, Ebro, Don Quichotte, Teruel… De cette emblématique 9e compagnie (la Nueve) du 3e bataillon du Régiment de marche du Tchad (RMT), il ne reste que deux survivants dont Rafael Gomez, paisible retraité installé à Lingolsheim. L’octogénaire fuit les honneurs mais devrait tout de même se rendre à Paris mercredi où le maire de la capitale l’honorera.

Il s’engage « sur un coup de tête »

De bonne grâce il raconte son épopée, sans l’enjoliver, lui, l’Andalou, mobilisé en 1938 alors qu’il vient à peine de fêter ses 17 ans. «On faisait partie de la classe « biberon », on était des gosses», se souvient Rafael qui intègre le corps des carabiniers, à Barcelone. Comme la plupart des Républicains, il doit fuir son pays après la défaite. «Franco nous a foutus dehors». Son père atterrit dans un camp d’internement à Argelès, lui est dirigé vers Saint Cyprien. Humiliés, maltraités, les Espagnols sont traités comme des animaux.
Le calvaire carcéral dure quatre mois. Rafael tient le coup et réussit à rejoindre Oran en Algérie où vit un de ses oncles. Il y retrouve sa famille. «On logeait à quatre dans une chambre. Mon père a commencé à faire du marché noir. Moi, j’ai appris le métier de cordonnier chez un artisan ». Quelques mois après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, Rafael décide de s’engager, « sur un coup de tête!» «J’ai vu dans un journal que les Corps francs d’Afrique recrutaient. Quand je suis revenu à la mai- son avec un uniforme, ma mère est devenue folle ! »
Nous sommes en été 43, Rafael Gomez est envoyé à Djijelli où il est versé dans la toute nouvelle 2e division blindée que vient de former Leclerc à partir de l’armée d’Afrique et des forces françaises libres.

« On connaissait la guerre… »

On y trouve pas mal de Républicains espagnols qui vont se regrouper dans cette fameuse 9e compagnie du RMT, le régiment d’infanterie mécanisée de la division. C’est à Oran qu’il prend le volant de son half-track Guernica. Il ne va plus le quitter jusqu’à Paris. Les troupes françaises quittent l’Afrique du Nord pour l’Angleterre. « On est arrivé en Ecosse, accueillis par des gars en kilt! On a rigolé en les voyant. C’est en Angleterre que l’on a commencé à s’entraîner à balles réelles ». Puis vient la traversée de la Manche et le débarquement en Normandie où la 2e DB est rattachée à la IIIe Armée de Patton.
« On a eu nos premiers coups durs à Ecouché (Orne). On s’est retrouvé encerclés par les Allemands ». Rafael voit ses premiers camarades tomber. « La Nueve était une unité de choc. Nous étions tous des vétérans de la campagne d’Espagne, certains avaient combattu en Afrique. On connaissait la guerre. Leclerc le savait. Il nous envoyait en première ligne ».
Le 24 août 1944, les troupes de Leclerc arrivent aux portes de Paris, occupée par les forces allemandes sous commandement de von Choltitz. Dans la soirée, après de très durs combats, le général français demande au capitaine Dronne, «patron» de la Nueve, de pénétrer dans la capitale. Les Espagnols entrent par la porte d’Italie, Rafael conduit toujours son Guernica. Paris tombe moins de 24h plus tard. «Tout le monde nous fêtait. Les Parisiens nous offraient à boire, les filles nous embrassaient ».

Croix de guerre mais pas de Légion d’honneur

Les hommes de la « 9 » se remettent en route, direction l’Est. Avec Leclerc, ils libèrent les Vosges, l’Alsace, participent aux durs combats de la Poche de Colmar puis pour- suivent leur offensive jus- qu’au nid d’aigle de Hitler, à Berchtesgaden. Démobilisé le 10 août 1945, Rafael Gomez regagne l’Algérie où il s’installe comme cordonnier. C’est en 1955 qu’il décide de migrer vers l’Alsace. Titulaire de la croix de guerre et de la presidential unit citation (décoration américaine), le vétéran n’a toujours pas de Légion d’honneur. « Peut-être parce que je n’ai pas été blessé », lâche-t-il. Nicolas Roquejeoffre
(Photo de Jean-Christophe Dorn), DNA No 44 – Dimanche 21 février 2010 « 


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  • Depuis cet article, Rafaël Gomez a été fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 2012 ( JO. du 08.04.2012).
  • Cette année,Rafael Gomez est convié par l’association 24 août 1944, à participer à la commémoration du 70ème anniversaire de la libération de Paris.
    Voir : 45


À propos Nicolas Roquejeoffre: Journalisme à Strasbourg après des études de sciences-politiques puis journaliste à La Dépêche du Midi, à l’Est Républicain et depuis 1999 aux DNA.
Fils du général Michel Roquejoffre (voir : 55), il s’intéresse de très près au camp du Vernet d’Ariège et aux combattants espagnols détenus. Est-ce par atavisme ? En tout cas, je m’intéresse aux anciens combattants et à leurs parcours toujours incroyables et originaux. Chaque année, j’essaye d’en rencontrer et de publie leur témoignage en fonction de l’actualité (anniversaire de la Libération, de Dien Bien Phu, de l’incorporation de force en Alsace…). Je pars du principe qu’il faut faire témoigner ces hommes et femmes avant qu’ils ne disparaissent. Pourquoi les Espagnols ? En réalité, M. Gomez est le seul que j’ai fait témoigner car il habite en Alsace. Et j’ai découvert l’existence de la Nueve à travers la lecture du l’ouvrage d’Evelyn Mesquida et ce que mon père m’en a dit. Et, à l’époque, j’ai vraiment voulu faire ce portrait d’autant plus que M. Gomez n’avait pas (encore) été décoré de la Légion d’Honneur et je trouvais cela inadmissible. Enfin, la Nueve, c’est aussi le RMT et ce régiment se trouve en Alsace, dans le Haut-Rhin. Article DNA No 44 – Dimanche 21 février 2010

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